Pour en finir

par Raoul-Marc Jennar


Je tiens à remercier celles et ceux qui, via ce blogue ou par courrier personnel, ont apporté leur soutien, ont exprimé leur accord ou, avec cordialité, leur désaccord à propos de mon départ du NPA. D’autres, très peu nombreux, abusant de l’hospitalité de ce blogue où il n’y a aucune censure, ont choisi l’insinuation, le procès d’intention, les sarcasmes, voire la vulgarité et l’insulte. Il y a malheureusement des gens incapables de critiquer un point de vue sans l’assortir d’attaques personnelles à l’égard de celui qui porte ce point de vue. Vieilles traces, sans doute, d’une culture politique où l’insulte faisait partie du vocabulaire politique. Mais bon, je sais aussi que des sociologues ont constaté qu’Internet libère des convenances qui rendent la vie sociale acceptable. Il faut prendre ce risque ou ne pas avoir de blogue.

Je veux, par égard pour celles et ceux qui ont exprimé leur désaccord et qui l’ont fait avec gentillesse et respect, apporter les éléments de clarification que je crois nécessaires. Dans l’espoir, sans doute vain, que cela n’amènera pas sur mon blogue de nouvelles insanités de la part de ceux qui pour combattre une idée qu’ils ne partagent pas choisissent de salir celui qui l’exprime.

On me reproche d’avoir procédé à une « démission fracassante », d’être parti « avec éclat », bref d’avoir fait un coup médiatique. Le reproche qui m’est fait est sans fondement. Je n’ai pas organisé de conférence de presse. Je me suis contenté d’écrire un texte, de l’envoyer aux membres du CPN et des autres assemblées (départementale et locale) NPA dont j’étais membre, puis de le mettre sur mon blogue. Où peut-on voir-là un fracas médiatique ? A moins de m’interdire d’avoir un blogue avec ce que signifie ce nouveau mode de communication. Et c’est bien de cela dont il s’agit. Ce reproche vient de ceux qui n’acceptent des opinions différentes à la condition qu’elles ne s’expriment pas.

On ne s’est pas demandé un seul instant quelle fin pourrait avoir cette prétendue sortie théâtrale. Dans quel but ? Je ne suis pas un leader politique et je n’ai pas l’ambition de le devenir. J’ai un jour écrit que je voyais mon rôle dans le champ politique comme celui de l’instituteur dans le champ éducatif : partager le savoir que j’ai pu acquérir. C’est tout. Je l’ai fait du mieux que j’ai pu pendant la campagne contre le TCE et dans bien des conférences sur les accords de l’OMC. Plutôt que de m’égarer au NPA, j’aurais du continuer et m’en tenir à cela.

Au-delà de mes engagements dans divers combats (altermondialistes, européens, pro-Palestiniens, littéraires) et de mes travaux sur le Cambodge, j’ai rêvé, après la campagne contre le TCE et le succès de mes livres sur l’Europe, la volonté de continuer de dénoncer l’effroyable machine européenne, de devenir député européen parce qu’avec ma connaissance des dossiers européens et des arcanes du Parlement européen, j’ai naïvement pensé que j’aurais pu y jouer un rôle utile, un peu à la manière d’un Francis Wurtz. C’est pourquoi, après m’être investi dans le projet NPA, j’ai accepté, alors que je n’avais rien demandé, d’être tête de liste dans le sud-est. Je n’ai pas été élu. Je ne serai donc jamais député européen. Comme je répugne à prendre des responsabilités dans des domaines où je ne suis pas compétent et comme je n’ai aucun désir d’être candidat pour être candidat, on ne me verra plus solliciter les suffrages. Mais évidemment de cela, mes détracteurs n’en seront convaincus que lorsque j’aurai disparu.

On me dit que ma décision est soudaine et brutale et que rien ne la justifie avant le congrès. Or, ceux qui me lisent savent que j’exprime mes inquiétudes depuis longtemps. Sur ce blogue, on trouvera les textes qui en témoignent :

21 août 2009 : message au NPA

30 septembre : succès de la première réunion de la gauche radicale

2 octobre : battre la droite et mettre en œuvre un programme alternatif dans les régions

6 octobre : après l’échec des européennes, le NPA ne peut pas rater les régionales

22 octobre : pour un rassemblement de la gauche radicale

21 novembre : où allons-nous ?

26 novembre : régionales : pour une nouvelle offre du NPA

9 mars 2010 : les régionales en Languedoc-Roussillon

15 mars : nouvel échec électoral du NPA.

Dès le lendemain des européennes, j’ai entamé une réflexion tirant les leçons de l’échec, réflexion aiguillonnée par le fait qu’il s’agissait aussi d’un échec personnel. Réflexion portant non seulement sur la stratégie électorale du parti, mais aussi sur son évolution depuis le lancement du projet. Cette réflexion, je l’ai confiée aux lecteurs de mon blogue. Alors qu’elle m’écartait de la majorité, je ne l’ai cachée à personne. Elle n’a rien à voir avec un coup de tête ou avec du dépit. Elle n’a rien à voir avec le procès qu’on me fait d’être incapable de me retrouver minoritaire. Quand on a fait du combat contre la mondialisation néolibérale – phase présente du capitalisme – son principal combat, on sait ce que c’est qu’être minoritaire. C’est bien autre chose que de l’être dans un petit parti politique.

Je n’ai pas estimé utile d’attendre le congrès – ce qui me vaut d’être traité de déserteur par des gens qui s’appellent « camarades » (mais comme le dit très bien Véro du NPA Ouest étang de Berre, au NPA, c’est très souvent en intro d’une attaque en règle qu’on se fait appeler « camarade ») pour les raisons suivantes :

a) Mon analyse – et j’ai quand même le droit d’en avoir une – c’est que les cadres de la LCR qui ont créé le NPA et qui ont montré depuis un an leur capacité à garder le contrôle du NPA sur l’essentiel à leurs yeux, avec le savoir-faire qui les caractérise, ne vont pas lâcher prise.

Au niveau national, cela signifierait renoncer à la ligne incarnée par le porte-parole/candidat à moins de deux ans de l’échéance présidentielle. Au niveau des départements et des comités locaux, cela signifierait prendre le risque de perdre le contrôle du CPN.

Au cours de l’année écoulée, au CE, la dizaine de femmes et d’hommes qui imposent leurs choix n’ont rien concédé sur le fond qui s’écarte du discours et des pratiques de la LCR. Et j’ai observé que, malgré de multiples protestations et tentatives, à chaque CPN, c’est leur ligne qui s’impose.

J’ai reçu à de multiples reprises du courrier de gens me disant qu’ils avaient été incités à venir au NPA suite à ma propre démarche et qui m’indiquaient à quel point il leur était difficile d’apporter dans leur comité une voix différente de celle du cadre LCR local, (quand il ne s’agissait pas de quelqu’un de l’Etincelle !). Le nombre de témoignages que j’ai reçus de gens se sentant victimes de sectarisme et leur répartition sur le territoire national dépassait le caractère de cas isolés (ayant fait la campagne du TCE dans toute la France, j’ai la chance d’avoir des contacts dans un grand nombre de départements). Comme j’appartiens à la catégorie d’adhérents sans passé dans un parti et venant de la militance altermondialiste, je me suis senti responsable à l’égard de ces militants que j’ai entraînés sans le savoir. J’ai transmis leurs doléances au CE. En vain.

Lors du dernier CPN auquel j’ai assisté, je suis intervenu, en séance plénière, pour qu’on s’interroge sur la raison du départ de membres qui ne trouvent pas leur place au NPA et j’ai plaidé pour qu’on retrouve l’esprit d’ouverture. J’avais en effet relevé, pendant la campagne électorale, qu’en de nombreux endroits, une cassure s’était produite entre nouveaux venus et anciens de la LCR. Si, au CPN, mon propos a été soutenu par quelques-uns, l’idée même d’ouverture a été combattue par d’autres au nom du « maintien de la ligne. »

J’ai peu à peu acquis la conviction que le NPA, même s’il a considérablement changé dans sa démographie par rapport à la LCR (mais pour combien de temps encore ?) est un habillage neuf de la LCR. A la fois sur les modes de fonctionnement, sur les stratégies et sur les contenus. Je n’y ai pas ma place.

Il y avait un pari auquel j’ai adhéré : c’est que les nouveaux venus étant plus nombreux que les ex-LCR, ils finiraient par imprimer au NPA la ligne correspondant à l’espoir qu’il a fait naître. Et c’est, j’en suis conscient, ce pari que font encore ceux qui restent et se préparent à engager la bataille du congrès. On choisit de s’engager dans une bataille quand on estime qu’il y a une chance de la gagner. Ils pensent la gagner et cela justifie qu’ils restent ; je la crois perdue d’avance et cela justifie que je parte.

b) on me fait le grief de manquer de patience et de ne pas m’inscrire dans la longue durée. Mais je redoute le piège qui consiste à croire qu’on peut changer une structure une fois qu’elle est établie. Et à s’installer dans cette vaine espérance. Aussi loin que je remonte dans ma mémoire, j’ai connu des militants du PCF pour voulaient rénover ou refonder le PCF. Au motif qu’ils allaient le changer ils en restaient prisonniers. Il en va de même de militants à la gauche du PS qui lancent des appels pathétiques pour qu’on les rejoigne afin d’être assez nombreux pour le changer. J’ai observé depuis des années qu’une fois une structure en place, il est presque vain d’essayer de la changer de l’intérieur. C’est d’ailleurs une loi de la sociologie des organisations. Je ne veux pas m’enfermer dans cette situation alors qu’il y a urgence à faire autre chose.

c) ainsi qu’en a déjà été accusé l’artisan du côté NPA du succès en Limousin, « se constituer en courant, c’est tout simplement vouloir prendre le pouvoir à la place de ceux qui y sont. » Et force est de constater que les débats sur les idées et les stratégies finissent presque toujours, dans un parti politique, par se réduire à des luttes de pouvoir. Cela ne m’intéresse pas.

d) j’avais déjà été déçu au terme du congrès de fondation. Comme je l’ai déjà écrit, des amendements soutenus par des départements n’ont pas été soumis au vote en commission au motif selon l’animatrice ou l’animateur (tous ex-LCR) de la commission qu’ils « avaient été intégrés. » Pour découvrir, une fois connus les textes approuvés par le congrès, que ces amendements – parfois importants et portant toujours sur des matières hors culture LCR – n’y figuraient pas. J’en fus profondément déçu et, j’eus alors, pour la première fois, le sentiment de m’être piégé moi-même en entrant dans un parti politique. Comme peu après on m’a proposé d’être tête de liste aux européennes et que j’espérais être élu, je me suis dit, très naïvement, si je suis élu, je porterai avec plus de poids ces idées neuves pour les militants issus de la LCR. Parmi ces sujets, l’écologie et les institutions. Mais ces sujets n’intéressent guère ceux qui dirigent le NPA et s’expriment en son nom. Je l’ai vérifié à plusieurs reprises.

e) Je ne suis pas disponible à 100%, loin s’en faut. Mon énergie et mon temps, je préfère les réserver à combattre le capitalisme, les institutions et les partis qui le défendent plutôt qu’à livrer d’interminables batailles internes qui n’ont pas le moindre impact sur le sort des gens. Comme politologue, j’observe assez les partis politiques pour savoir que ce genre de discussions occupe finalement une part disproportionnée du temps des militants. Et que parfois même cela suffit à leur bonheur.

D’autres raisons m’amènent à quitter un parti politique.

Je quitte le NPA parce que je crois que la démocratie a besoin d’une réflexion approfondie sur la manière dont les citoyens s’organisent et qu’il faut questionner la forme parti. Il y a de la confiscation de la démocratie dans le fonctionnement actuel des partis. La démocratie est en crise et les partis politiques, machines à faire carrière (et il y a aussi une manière de faire carrière dans la militance) expliquent en partie cette crise. Une indispensable réflexion sur une démocratie plus poussée doit intégrer une réflexion sur le fonctionnement des partis politiques. Et qu’on ne m’oppose pas cet espère de terrorisme intellectuel qui voudrait que toute critique des partis s’apparente à une défense de Pétain ou de De Gaulle. Ce n’est que vulgaire polémique. Un parti politique n’est pas une fin en soi ; mais il ne suffit pas de l’écrire dans ses principes fondateurs. Il faut aussi agir en conséquence lorsque les nécessités du combat politique réclament qu’on se fonde dans un ensemble plus vaste.

Je quitte le NPA parce que je considère qu’être dans un parti, c’est se ligoter, c’est amputer sa liberté d’appréciation et d’expression. Je veux pouvoir apprécier un document, une proposition, une initiative des Alternatifs, du MOC, du PG, du PCF, des Verts, etc. et y apporter tout mon soutien si j’estime que c’est justifié. Sans avoir à rendre des comptes aux gardiens de la doctrine d’un parti. Je me sens à l’étroit avec des gens qui sans cesse affirment, parfois même sans s’en rendre compte, qu’eux seuls ont raison.

Je quitte le NPA parce qu’en fin de compte, j’ai vérifié qu’on est beaucoup plus crédible quand on ne porte pas une étiquette partisane. Pendant la campagne contre le TCE, toutes les portes se sont ouvertes pour que j’y expose les raisons de dire « non » parce que je ne portais pas l’étiquette d’un parti. J’ai pu toucher davantage de monde et en convaincre davantage. N’est-ce pas important quand on s’implique dans la bataille des idées ?

Je quitte le NPA, mais je ne renonce pas à l’essentiel : le combat pour une alternative écologique et sociale au capitalisme. Je change seulement de moyen. Je ne suis plus un militant de parti. Je redeviens ce que je n’aurais jamais du cesser d’être, un intellectuel engagé.

Au cours des deux années écoulées, je me suis lancé dans une expérience nouvelle pour moi. Je l’ai fait avec enthousiasme. J’en tire les conclusions. Et je regrette si j’ai blessé certains. Je leur présente mes excuses. Même si chacun est comptable de ses propres choix, j’adresse aussi mes excuses à celles et ceux qui m’ont fait confiance et ont rejoint le NPA sur mon conseil ou sur mon exemple.

J’estime avoir, avec ce dernier message à propos du NPA, fourni toutes les explications légitimement sollicitées. Je n’y reviendrai plus. Et je laisserai les réquisitoires, les procès d’intention, les sarcasmes et les insultes qualifier ceux qui les profèrent.


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