L’abstention, cet acte politique (Chronique France Culture)
Dans moins de quinze jours, nous sommes invités à nous rendre aux urnes pour élire les prochaines assemblées régionales. Différents sondages montrent d’ores et déjà que l’abstention sera, une fois de plus, le premier parti de France. Surtout, l’intention de ne pas aller voter grimpe à mesure que la campagne avance. Le sondage CSA publié hier dans Le Parisien indique une hausse de trois points des abstentionnistes – à ce stade, l’abstention représenterait 50% des intentions de vote. Les jeunes et les ouvriers ne sont plus les seuls à s’apprêter massivement à bouder les urnes. Fait inhabituel, l’abstention gagne du terrain chez les personnes âgées, ce qui explique pour une part le recul de l’UMP, rattrapé par le PS avec lequel il ferait maintenant jeu égal. Si un tel ordre de grandeur se confirmait, nous battrions vraiment des records ! Pour mémoire, aux dernières régionales, en 2004, l’abstention s’élevait à 38% au premier tour. C’est aux présidentielles que la mobilisation est généralement la plus forte, avec une participation qui varie en gros de 70 à 80%. Aux municipales de 2008, par exemple, l’abstention était de 35%. Bref ! Le cru 2010 s’annonce particulièrement sévère. Alors, de quoi cette abstention est-elle le nom ?
Spontanément, j’ai d’abord envie de répondre qu’elle signe une mauvaise campagne. Après la phase pénible de composition des listes, les questions de casting ont continué à monopoliser l’attention, prenant le pas sur les affrontements concernant l’avenir des régions, c’est-à-dire le cœur de cette élection. Le cas Georges Frêche, la candidate au foulard du NPA et l’affaire Ali Soumaré ont notamment polarisé l’attention de manière totalement disproportionnée. Ces polémiques ont en fait pourri la campagne en contribuant à rendre inaudibles les clivages, les propositions des différentes listes. Mais pourquoi un tel emballement médiatique au point d’éclipser le contenu des programmes ? La responsabilité des médias est clairement engagée. Il revient aux journalistes de sérier les enjeux et de mettre en lumière ce qui se joue vraiment pour les régions et en matière de rapports de force politiques. Pour autant, la part des responsables politiques dans cette déviation de la campagne ne peut être évacuée. Pas seulement en raison de leur incapacité à affronter ces affaires de façon préparée et cohérente. C’est aussi leur difficulté à donner à voir et à entendre leur projet pour les régions qui est en cause.
Franchement, qui arrive à percevoir l’orientation, le sens des projets portés à droite et à gauche ? Qui peut citer les deux ou trois mesures phares des grandes familles politiques en compétition ? Je ne dis pas que ces différences n’existent pas, ni même que l’on ne perçoit rien des tonalités qui divergent (sur France 2 hier soir tard, par exemple, dans l’un des rares débats de fond entre candidats), je dis que les partis pris fondamentaux et les imaginaires politiques en concurrence peinent à se formaliser et à pénétrer le grand public. Sans doute sont-ils, pour une large part, en cours de redéfinition. A droite, le modèle libéral est remis en cause avec la crise. C’est la panne. A gauche, les façades ne sont pas si mal ripolinées mais l’essentiel reste à produire pour recréer une espérance après les lourds échecs du XXe siècle. Alors, la déclinaison pour les régions, on comprend que ce ne soit pas si facile, ni tracé d’avance. Le manque de convergence dans les gestions à dominante socialiste des régions a par exemple été pointé dans un récent article paru dans Le Monde : pas de grandes mesures communes, ni de partis pris forts mis en œuvre dans toutes les régions de gauche. Il faut ajouter, dernier ingrédient à mon avis néfaste pour la participation électorale, la mise en scène à nouveau de l’ouverture par l’actuelle majorité. En effet, l’ouverture contribue à favoriser l’idée du gouvernement des meilleurs et à brouiller les identités droite/gauche.
Au total, le manque de conflictualité politique est un moteur de l’abstention. Et en pleines crises, on s’interroge : que peut la politique ? Et quelles sont les réelles alternatives en compétition ? L’abstention n’est pas un désintérêt vis-à-vis du politique mais sans doute d’abord un acte politique pour signifier une déception, une attente. J’y vois comme un « coup de pied aux fesses », un vif encouragement à chercher, à creuser plus encore, à dépasser les querelles qui ne forment que l’écume des choses pour reprendre le fil de la conflictualité entre différentes visions du monde. Et des régions, bien sûr.