Négocier à Cancun… ou agir localement
AGUITON Christophe


Présentée de cette manière l’alternative est caricaturale et la réponse qui s’impose est « nous devons agir à tous les niveaux, local, national et mondial ». Mais l’échec de Copenhague et le peu d’espoir dans les résultats de Cancun font peser la balance du côté des initiatives locales et sectorielles, et celles-ci peuvent venir de bords très différents.

Ce sont tout d’abord les collectivités locales. Déjà présentes dans l’enceinte de l’ONU, elles multiplient les initiatives autonomes, sur leur territoire, comme en France avec les « plans climat », et aussi par le biais de coopérations internationales. Certaines sont des espaces d’échanges et de débats, comme le « sommet mondial des maires sur le climat » qui s’est tenu à Mexico du 16 au 21 novembre de cette année et qui a réunit plus de 3000 maires du monde entier. D’autres ont de plus grandes ambitions, comme l’accord signé ce 16 novembre par les états de Californie, aux Etats-Unis, du Chiapas, au Mexique et d’Acre, au Brésil. Cet accord vise à appliquer les mécanismes « REDD », discutés en ce moment à Cancun, pour permettre à des entreprises californiennes d’acheter des « droits à polluer » contre la non-déforestation ou la reforestation de territoires au Chipas ou en Acre.

Les entreprises et secteurs industriels multiplient également les initiatives. C’est tout d’abord le cas des secteurs qui développent des technologies « vertes » et qui cherchent à s’assurer une avance technologique et des parts de marchés en pleine croissance. L’Allemagne et la Chine sont aujourd’hui, par exemple, très bien placées dans l’éolien et le solaire. Plus généralement le changement climatique et les préoccupations environnementales, sont utilisés par les entreprises pour comprimer leurs dépenses et améliorer leurs résultats financiers : limiter les impressions papiers, voyager moins, et en classe économique, faire baisser les coûts de packaging, etc. Toute une série d’actions qui, prises une à une, ont un impact dérisoire mais qui globalement permettent à la fois d’améliorer les marges des grands groupes capitalistes… et de participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Et il faut également compter sur les transformations des comportements individuels et collectifs, en y incluant bien sur les initiatives militantes. Il serait fastidieux d’énumérer les gestes quotidiens et les arbitrages concernant les achats et les investissements plus substantiels, type de voiture ou de mode de chauffage, qui ont un impact réel sur les émissions de gaz à effet de serre, mais il est clair que nous vivons une phase de transition pour tout ce qui relève de ces comportements. Les secteurs militants ne sont pas en reste et peuvent jouer un rôle de précurseur ; ici à Copenhague, c’est le Klimaforum qui joue ce rôle, un peu comme peuvent le faire les « camps climat » qui se sont multipliés en Europe, camps et forum où le but premier est d’expérimenter des modes de vie alternatives.

Les objections à cette description rapide sont nombreuses. Comprendre le développement de la « green economy » ne doit pas nous faire oublier le poids économique et politique du secteur pétrolier et les résistances des branches industrielles, comme l’automobile ou le bâtiment, où la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre se traduit par une hausse des coûts de fabrications. Intégrer les efforts de réduction des dépenses énergétiques dans les entreprises ne doit pas masquer le fait que la réduction des émissions de gaz à effet de serre que nous observons ces dernières années dans les pays développés est avant tout du à la récession économique, et que l’essence même du capitalisme est la croissance sans limite. Quant aux mutations dans les comportements individuels et collectifs, ils sont surtout possibles pour ceux qui en ont les moyens, ce qui n’est pas le cas de nombreux travailleurs à petits salaires qui ne peuvent s’offrir le surcoût de logements à faible dépense énergétique et qui sont contraints à utiliser leur voiture car ils sont relégués dans les banlieues excentrées.

A toutes ces objections qui pèsent pour des décisions politiques radicales et un accord international qui les facilitent, se rajoute un argument essentiel, celui de la « justice climatique ». Les pays développés auxquels on peut ajouter la Chine sont à la fois les grands émetteurs de gaz à effet de serre et ceux qui peuvent assumer les coûts de l’adaptation au changement climatique et de la transition énergétique. En revanche, les pays les moins développés ne sont responsables en rien du changement climatique, ni aujourd’hui ni historiquement, et ils peuvent qu’en subir les effets sans avoir les ressources nécessaire à l’adaptation et à la transition énergétique. La moindre des justice est d’assurer à tous ces pays les ressources nécessaires, et cela n’est possible que si un accord international oblige les pays développés à les fournir et établit un mécanisme de répartition qui ne soit pas soumis aux grandes puissances comme peuvent l’être le FMI ou la Banque mondiale.
Jour de manif !

09 Décembre 2010

Tous les mouvements et groupes militants mexicains s’étaient mis d’accord pour faire du mardi 7 décembre la journée des actions et des manifestations.

Pour le reste, les différentes coalitions ont adoptés des tactiques et mode d’action différenciés.

Le regroupement large « Dialogo Climatico - Espacio Mexicano », qui rassemble de nombreux mouvements, des altermondialistes du RMAC à Greenpeace Mexique, avait décidé de privilégier la mobilisation des militants de Cancun. Ceux-ci avaient décidé de manifester en centre ville, pour éviter tout problème avec les forces de l’ordre et surtout pour permettre une participation large des habitants de la ville. Dans la matinée, près de 3000 personnes ont parcouru le centre de Cancun (Cf. article d’Hélène Cabioc’h).

Via Campesina et ses alliés de l’ANAA (victimes environnementales) et du MLN (mouvement politico-social créé il y a 4 an) avaient choisi des formes d’action plus audacieuses : un groupe de militants accrédités par l’ONU devaient se regrouper dans le Moon Palace puis rejoindre le gros de troupes qui se rapprocherait le plus possible de lieu des négociations pour y tenir une « assemblée des peuples ». LVC_assemblea.JPG

Une vingtaine de militants ont réussi à tenir une conférence de presse improvisée dans le centre de négociation avant d’être poussés dehors par la sécurité de la conférence d’où ils ont rejoint la manifestation sur l’autoroute qui longe la Riviera Maya (Cf. les articles de Claude-Marie Vadrot et de Maxime Combes).

Pendant ce temps là le camp de Via Campesina se vidait de ses occupants qui allaient en manifestant vers les bus qui leurs avaient permis de rejoindre Cancun en caravane. La cohorte de bus s’est dirigée vers le Moon palace et a été bloquée par d’imposantes forces de police qui avaient coupé l’autoroute par un mur d’acier. Ils y ont été rejoints par une délégation de Klimaforum, un autre espace militant peuple de jeunes alternatifs aux bus psychédéliques. Toute l’après midi a pu être consacrée à une assemblée de débats où les représentants de Via Camesina se sont succédés, avec Pablo Solon, ambassadeur de Bolivie auprès de l’ONU, pour dénoncer le projet d’accord sur les forêts - REDD -, la remise en cause de l’accord de Kyoto ou la généralisation des mécanismes de marché dans le financement de la transition à laquelle seront confrontés les pays du sud.

Pendant ce temps, les négociations se poursuivent en attendant l’entrée en scène des ministres et chefs d’état qui arrivent mercredi 8 et jeudi 9 décembre. Des éléments nouveaux, avec la Chine qui annonce son accord pour s’engager à des réductions d’émission mais exige en même temps la prorogation de l’accord de Kyoto qui arrive à son terme fin 2012, le Kenya et l’Ethiopie qui se rapprochent des positions des Etats-Unis et de l’Union Européenne s’éloignant ainsi des objectifs ambitieux qui étaient défendus jusqu’alors par le groupe de pays africains, et enfin les nombreuses attaques portées en « off » par la plupart des pays développés contre la Bolivie, accusée de « bloquer le processus de négociations »...
Négociations climatiques mode d’emploi

02 Décembre 2010

Sur le papier, tout est simple. Les négociations sur le climat sont un processus inter-étatique comparable à tous ceux qui ont déjà été organisés par l’ONU. Si un nombre suffisant de pays se mettent d’accord sur un accord ou une convention, celui-ci est approuvée par ceux-ci - sous l’égide de l’ONU - puis soumis à ratification par les parlements ou organes habilitées et enfin mis en œuvre. Des accords comme l’interdiction des mines anti-personnel ou la création de la cour internationale de justice ont été signés par des coalitions d’états, sans les Etats-Unis, et la première phase de négociations sur le climat ressemblait à ce processus : le protocole de Kyoto avait été élaboré par un grand nombre d’états, y compris les Etats-Unis qui, dans une deuxième étape, ne l’ont pas ratifiée, et mise en œuvre à partir de 2005, date à laquelle un nombre suffisant de pays l’avait ratifié.

Mais en pratique ces mécanismes ne fonctionnent plus, et les mécanismes de négociations apparaissent beaucoup plus complexes que ce que les règles de l’ONU prévoient.

La première difficulté porte sur le nombre et la qualité de pays susceptibles de signer un accord. L’accord sur les mines antipersonnel avait pu être signé sans les deux principales puissances militaires de l’époque, les Etats-Unis et la Russie, parce que les signataires considéraient pouvoir se passer de ces armements, n’étaient en rien pénalisés sur le plan économique par cet accord et espéraient que le pouvoir de l’exemple et les campagnes d’opinion aboutiraient à une prohibition généralisée, comme pour l’usage des gaz de combat. Là, à l’inverse, si de grands pays émetteurs de gaz à effet de serre ne signent pas l’accord, le processus de réchauffement climatique se poursuivra et les pays signataires seraient pénalisés par le coût économique des mesures qu’ils mettraient en œuvre. En pratique tout se joue sur l’implication des pays du G20 qui représentent 80% des émissions de gaz à effet de serre et surtout sur celle des Etats-Unis et de la Chine. Certains des principaux signataires du protocole de Kyoto, Japon en tête, refusent ainsi à Cancun de donner une suite à ce protocole si les Etats-Unis ne sont pas intégrés au processus d’une façon ou d’une autre et les pays développés, Etats-Unis en premier lieu, exigent que la Chine s’engage sur une réduction de leurs émissions, ce qui n’est pas prévu par le protocole de Kyoto.

La deuxième difficulté porte sur le champ d’application de l’accord. A Bali, en 2007, le processus décidé avec l’accord de toutes les parties est d’une extrême complexité et met en discussion de nombreuses questions de nature très différentes. Il y a deux processus de négociations parallèles, un sur les suites du protocole de Kyoto et un autre sur les « actions coopératives de long terme », dans la lignée de Rio et qui, surtout, inclut les Etats-Unis. Les questions traitées vont des objectifs de réduction des gaz à effet de serre qui doivent tenir compte des besoins de développement des pays pauvres et de la dette historique des pays développés, aux mécanismes de financement des coûts que les pays en développement auront à supporter pour l’adaptation au changement climatique et la transition vers de nouveaux modèles énergétiques, en passant par les questions de propriété intellectuelle des technologies « vertes », les mesures spécifiques pour la protection des forets, les droits de peuples indigènes, les « mécanismes de développement propre » et les marchés des droits d’émission de gaz à effet de serre et la définition de ce qui relève de mesures contraignantes et le liste des pays concernés par ces contraintes... C’est comme si l’on avait demandé au parlement français de voter une loi unique et non amendable sur la totalité des mesures préconisées par le Grenelle de l’environnement ! Les Etats-Unis dénoncent la difficulté de l’exercice et préconisent des négociations plus ciblées où l’on chercherait à aboutir à des accords sur une ou l’autre des questions. Même si les résultats de Cancun pourraient relever de cette logique - des accords paraissent possible dans deux domaines, la déforestation avec l’accord REDD, et les mécanismes de financement pour les pays en développement, beaucoup de pays sont en désaccord avec cette logique car ils craignent que les sujets qui leur tiennent à cœur ne passe à la trappe en cas d’addition d’accords partiels. En effet la logique de commencer par « qui est partie prenante de l’accord » s’appliquera aussi à ces négociations partielles ce qui donnera aux grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, en premier lieu les Etats-Unis et la Chine, un droit de véto absolu, ce qui leur permettra de tricoter des accords à leur convenance, sans prendre en compte les demandes qui ne leur conviendraient pas.

La troisième difficulté, qui tient à la présence de nombreux acteurs non-étatiques dans le processus de négociation, est la conséquence directe de la première. En effet l’obligation d’intégrer à l’accord les grands pays émetteurs leur confère un droit de véto sur tout le processus et leur donne un pouvoir écrasant face aux autres pays. Certains commentateurs ont accusé des pays comme la Bolivie, l’Equateur, le Venezuela ou les états insulaires du pacifique d’avoir « pris en otage » le processus onusien alors que ce sont avant tout les difficultés de l’administration Obama sur ce dossier et les désaccords entre la Chine et les Etats-Unis qui expliquent l’échec de la conférence de Copenhague. Si le G20 et les grands pays s’étaient mis d’accord sur un texte un tant soit peu solide à Copenhague, la non-signature de la Bolivie ou de Tuvalu n’aurait eu aucun poids, mais c’est parce que l’accord était vicié de l’intérieur que les déclarations d’Evo Morales ou de Hugo Chavez ont eu un impact certain.

On touche là du doigt certaines des caractéristiques de ce type de procédure de décision, où il faut décider au consensus d’accords complexes qui portent sur des enjeux environnementaux, mais aussi industriels, économiques, sociaux et politiques. L’analyse scientifique est en tant que tel un élément important des négociations, les rapports du GIEC servant de base aux décisions en débat. La situation géographique de certains états est également mobilisée dans les discussions, les petits états insulaires, dont le poids politique et économique est très faible dans les arènes internationales, jouent ainsi un rôle symbolique important - leur survie même étant en cause - ce qui explique pourquoi les Etats-Unis et le G20 ont tenus à associer les Maldives à l’accord de Copenhague. Les ONGs et mouvements sociaux enfin peuvent acquérir un poids symbolique dans les négociations dès qu’ils supportent des causes, comme les droits des peuples indigènes ou la défense de la biodiversité, qui ont un écho dans l’opinion publique et participent ainsi de la construction des rapports de force.

Face au rapport de force brut qui voit les grands états avoir de fait tous les pouvoirs, des acteurs mineurs utilisent les rapports scientifiques et le poids symbolique d’une cause ou d’une situation particulièrement dramatique pour construire des alliances hybrides qui leur permet de peser dans les négociations. C’est ce qu’à réussi la Bolivie en organisant la conférence de Cochabamba avec de nombreux mouvements sociaux, groupes indigènes et ONGs en avril dernier, et c’est ce qui explique la présence aux conférences internationales sur le climat de milliers « d’observateurs », issus des mouvements et des ONGs. Officiellement ces observateurs sont là pour convaincre les délégations officielles, mais leurs capacités en ce domaine sont quasi inexistantes ; en revanche les mouvements et ONGs participent à la construction des rapports de force par les campagnes d’opinion qu’ils sont capables d’initier, par leur travail de contre-expertise et par leurs mobilisations militantes.

Les conférences internationales annuelles sur le climat telles sont le théâtre où est mis en scène le jeu de ces alliances hybrides, où des acteurs hétérogènes défendent leurs positions et cherchent à construire des rapports de force leur permettant de les faire avancer. Nous verrons dans quel sens celle de Cancun penchera !
Cancun, un sommet international… et une mobilisation militante mexicaine

01 Décembre 2010

Depuis Mexico.

Rio de Janeiro 1992, Seattle 1999, Gênes 2001, Copenhague 2009...Pour comprendre l’impact qu’ont pu avoir ces grands rendez-vous à l’échelle mondiale il faut à la fois analyser le résultat des négociations internationales mais aussi comprendre la réalité des mobilisations militantes, dont l’essentiel est toujours national et local, et la façon dont ces deux niveaux se sont articulés.

La manifestation des paysans mobilisés hier à Mexico La manifestation des paysans mobilisés hier à Mexico© Christophe Aguiton Cancun n’échappe pas à la règle : de nombreux dossiers ont été publiés sur les enjeux des négociations, mais ce qui restera de cet évènement sera fortement influencé par la capacitéd’actions des différents réseaux militants qui se sont donné rendez-vous dans le Yucatan. Il est possible de décrire les principaux regroupements militants qui seront présents à Cancun en les séparant de manière un peu arbitraire - mais nous reviendrons plus en détail sur ces réseaux - en trois niveaux :

au niveau international, l’essentiel des militants qui seront présents pour la conférence se regroupent en deux coalitions, d’un côté CAN (Climate Action Network) et leurs alliés, les grandes ONGs environnementales comme WWF et Greenpeace ainsi Oaxfam ou ActionAid, de l’autre CJN ! (Climate Justice Network !) qui s’est créé pendant laconférence de Bali, en 2007, et qui regroupe des mouvements environnementaux comme les Amis de la Terre, des mouvements sociaux comme Via Campesina et des altermondialistes comme ATTAC ; CJN ! entend lier les questions environnementales et les questions sociales et dénonce les mécanismes de marché comme le « marché des droits à polluer » ;

au niveau latino-américain une coalition internationale s’est créée dans les derniers mois, sur une orientation assez proche decelle de CJN !, à partir de « l’Alliance Sociale Continentale », coalition de mouvements sociaux de l’ensemble des Amériques qui s’est créé à la fin des années 1990 pour organiser la résistance aux accords de libre échange ;

au niveau mexicain plusieurs coalitions se sont formées pour préparer Cancun, Klimaforum 2010, qui a repris la formule - offrir un forum ouvert à tous - inventée par des militants danois pour Copenhague, mais en le conditionnant à une orientation idéologiquede type « décroissance » qui les a isolés des autres composantes ; un espace anticapitaliste qui s’inscrit dans la lignée du mouvement zapatistes et du mouvement autonome étudiant ; mais les deux plus importantes coalitions sont une coalition large, le « Dialogo Climatico », qui regroupe des mouvements environnementaux comme Greenpeace Mexique et des mouvements militants altermondialistes comme le RMALC, le réseau mexicain de lutte contre les accords de libre échange et enfin les mouvements paysans qui ont décidé d’organiser des caravanes dans tous le pays et ont formé une coalition avec d’autres mouvements sociaux.

Mardi 30 novembre, dans la ville de Mexico, c’est la journée des mouvements sociaux préparant leur départ pour Cancun.

Trois caravanes sont arrivées la veille dans la capitale après de premières étapes à partir de Veracruz, Acapulco et Guadalajara. Ces caravanes sont organisées par l’UNORCA, une des principales organisations paysannes du pays, le SME, le syndicat des électriciensde la capitale, en pleine lutte pour la défense des droits des salariés et de pour la démocratie syndicale [1] , l’ANAA,l’assemblée nationale de groupes locaux affectés par des problèmes environnementaux et le MLN, le mouvement de libération nationale, un mouvement politico social radical créé à la suite de la vague de protestation qui suivit la défaire de Lopez Obrador [2].Les caravanes, auxquelles s’étaient joints de nombreux militants nord-américains ont été accueillis dans les locaux du SME, au centre ville, sur la plus longue avenue du monde, l’avenida Insurgentes, où un forum international s’est tenu en milieu de journée avant la manifestation de plus de 5 000 personne qui a rejoint la place centrale de la ville, le Zocalo.

Les mouvements sociaux mexicains sont nés des transformations qui ont affecté le Mexique pendant les trente dernières années. Historiquement les syndicats de salariés, mais aussi les mouvements de femmes, de jeunes, de paysans, étaient structurés sur le modèle corporatiste qui était dominant en Amérique Latine, au Mexique comme au Brésil ou en Argentine. Le parti dominant, au Mexique le PRI, parti révolutionnaire institutionnel, héritier très bureaucratisé et corrompu de la Révolution Mexicaine, organisait les syndicats et les différents secteurs sociaux en structures corporatistes obligatoires ce qui lui assurait le contrôle du pays.Ce modèle a été remis en cause dès les années 1980 à la fois par l’offensive mondiale du néolibéralisme et par les luttes populaires pour les droits démocratiques et sociaux. Au niveau politique, le PRI a perdu dès les années 1990 son rôle dominant avec la croissance du PRD sur sa gauche et du PAN sur sa droite.

Dans les mouvements sociaux, la gauche et les forces démocratiquesont d’abord réussi une percée dans les mouvements urbains, qui ont été très puissants dans les années 1980 mais sont aujourd’huitrès affaiblis, et dans les mouvements paysans, contrôlés de manière plus lâche par le PRI. L’UNORCA, qui fédère des regroupements paysans très divers,s’est ainsi créée en 1985.

Sur le plan syndical, l’affaiblissement du PRI a touché un peu plus tard la centrale historique qu’il contrôlait, la CTM, confédération mexicaine du travail. Un affaiblissement dont une des conséquences a été d’accentuer encore la corruption de certains secteurs, le syndicalisme « charro [3] », qui utilisent la règle de la syndicalisation obligatoire en décrétant l’existence de syndicats en accord avec le patronat - qui les rémunère pour cela - et bloquent la possibilité d’expression directe et démocratique des salariés. Mais cet affaiblissement a aussi permis une démocratisation relative de secteurs importants, comme celui des télécommunications, qui ont créés une nouvelle centrale, l’UNT,union nationale des travailleurs. Certains secteurs ont évolués encore plus à gauche, comme le SME, le syndicat des électriciens,qui a utilisé le droit du travail favorable aux syndicats - ce qui ne posait guère de problème au gouvernement quand le PRI contrôlaitles syndicats - pour défendre réellement les droits des salariés.

Ce sont donc les mouvements sociaux les plus critiques dunéolibéralisme qui se sont retrouvés dans la mobilisation pour la« justice climatique.

Christophe Aguiton

[1] Les 29 et 30 novembre étaient des jours d’élections ; 16000 salariés en activités et 30 000 retraités étaient appelés à voter pour leurs représentants syndicaux, le SME devant recueillir 50% des voix plus une pour être reconnu et voir conforté sa lutte pour la défense des droits des employés...

[2] Lopez Obrador, dit AMLO était le candidat du PRD pour les présidentielles de 2006 et le résultat a été très serré entre lui et Felipe Calderon, du PAN ; devant la décision des instances constitutionnelles de donner la victoire à Felipe Calderon des millions de mexicains sont descendus dans la rue pour dénoncer la fraude électorale...

[3] Charro, expression mexicaine décrivant le personnage de l’homme machiste, armé et porteur d’un grand chapeau traditionnel... métaphore d’une domination corrompue et de type mafieuse.
AGUITON Christophe

* Paru sur Mediapart.

Tag(s) : #environnement
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