Les blogueurs répliquent au sénateur qui veut leurs noms
C'est un débat aussi vieux que les blogs : leurs auteurs doivent-ils révéler leur identité ? Le sénateur Jean-Louis Masson vient de déposer une proposition de loi en ce sens. « Frédéric Lefebvre,
à côté, c'est un bisounours », assure un des blogueurs visés.
Jusqu'ici, Jean-Louis Masson n'était pas vraiment une star sur Internet. Sénateur de la Moselle, il siège parmi les non inscrits : cet ancien du RPR a préféré fonder son propre parti, Démocratie
et République.
Traiter les amateurs comme des professionnels
C'est le 3 mai qu'il a déposé sa proposition de loi sur l'anonymat des blogueurs. Un texte très court, se limitant à un seul article : il s'agit simplement d'appliquer aux blogueurs les mêmes
règles qu'aux professionnels. Pour l'instant, la loi sur la confiance dans l'économie numérique les dispense de fournir au public leur nom et leurs coordonnées.
Jean-Louis Masson n'a pas répondu à nos sollicitations. Dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, il explique que « la distinction entre le non professionnel et le professionnel est
malaisée ». Il ajoute :
« Compte tenu de la multiplication des sites et des propos litigieux qu'ils peuvent contenir, il apparaît de plus en plus nécessaire de faciliter l'exercice concret du droit de réponse des
personnes nommément mises en cause par des auteurs anonymes. »
Ces auteurs anonymes peuvent pourtant être identifiés par la justice. Celle-ci peut en effet obtenir leurs coordonnées auprès de l'hébergeur du site ou du blog, par exemple en cas de plainte pour
diffamation ou violation du droit d'auteur.
Pour Maître Eolas, le web est « un bal masqué »
« Certains sénateurs gagneraient à rester dans l'anonymat », réplique un des blogueurs anonymes les plus célèbres de France, Maître Eolas. Contacté par Rue89, cet avocat qui écrit sur son métier
tient à son pseudonyme :
« Si je n'étais pas anonyme, je n'écrirais pas différemment, mais je serais lu différemment. Et le premier réflexe sur le Web, par exemple sur Rue89, c'est de prendre un pseudonyme, Internet est
un bal masqué. C'est aussi une garantie d'égalité : ce qui compte, c'est ce qu'on dit, pas qui on est.
Mon métier et mon blog sont deux choses séparées. Sur mon blog, je ne vais pas à la pêche aux clients, je ne parle pas des affaires que je plaide. D'ailleurs, on ne sait même pas si
je suis un bon ou un mauvais avocat. La base de ma crédibilité, c'est que je ne me mets pas en valeur. »
Pour Maître Eolas, la proposition de loi ne tient pas la route, ni juridiquement, ni concrètement : pour rester anonyme, il suffira de faire héberger son blog à l'étranger.
« Un allumé de première »
Au Sénat, certains prennent pourtant le texte très au sérieux. Authueil, autre blogueur anonyme et très bon connaisseur du Parlement, explique dans un billet moqueur :
« Jean-Louis Masson est un hurluberlu bien connu des assemblées parlementaires […]. Personne ne le prend au sérieux, sauf que là, visiblement, sa proposition de loi semble destinée à aller au
bout, puisqu'une rapporteure, Marie-Thérèse Bruguière, a été désignée. »
Jean-Louis Masson risque pourtant d'être déçu. Il n'est pas le premier à essayer, en vain, de mettre fin à l'anonymat des blogueurs. Et le gouvernement n'a pas vraiment intérêt à toucher à la loi
sur la confiance dans l'économie numérique : il s'est déjà mis le Web à dos avec la loi Hadopi sur le droit d'auteur.
Pour l'instant, Jean-Louis Masson risque surtout de remplacer Christine Albanel ou Frédéric Lefebvre parmi les cibles préférées de certains blogueurs. Et à en lire certains, on comprend qu'il ait
envie de savoir qui se cache derrière les pseudos. Comme Authueil, par exemple :
« Le Web s'est trouvé une nouvelle tête de turc en la personne de Jean-Louis Masson. Et ça promet, car c'est un allumé de première qui a le cuir très très épais. Frédéric Lefebvre, à côté, c'est
un bisounours… »
Source : RUE 89