Au tableau près, on se croirait dans une salle de classe. Raymond Chauveau, responsable CGT, joue parfaitement le rôle du prof. Bras croisés derrière le dos, il parle fort, ar-ti-cu-le. Fait même l'appel. «J'espère que vous avez tous rapporté votre carte de grève?», commence-t-il.
Au fond de la pièce, Oumar sort de sa poche un petit bout de carton bleu, corné. D'un côté, est écrit «grève des travailleurs sans-papiers, acte II», de l'autre, nom, prénom, employeur, photo d'identité et numéro de gréviste. Le mouvement, entamé le 12 octobre, rassemble aujourd'hui 6.000 sans-papiers en Ile-de-France. La CGT coordonne la mobilisation avec d'autres syndicats (Unsa, CFDT, FSU, Solidaires) et 11 organisations, dont la Cimade et la Ligue des droits de l'homme.
Après trois mois de grève, comment s'organisent-ils pour tenir? Quelle issue pour ce mouvement qui semble s'enliser? Point d'étape vendredi dernier au siège de la CGT, dans le grand bâtiment, en bordure de Paris, porte de Montreuil. C'est ici que se réunissent, tous les quinze jours, responsables syndicaux et délégués sans-papiers, «pour faire le point et décider de la suite.»
Pour commencer, un topo de Raymond Chauveau qui tente de (re)motiver les troupes à coup de «tenez bon. Regardez les choses avancent. Faut pas lâcher.» Les bonnes nouvelles du jour: «Xavier Darcos, le ministre du Travail, accepte de nous recevoir. Et on doit aussi rencontrer la CGPME, la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises. La configuration nous est favorable.»
Applaudissements timides dans la salle. La CGT et les autres organisations réclament une clarification et simplification des conditions de régularisation par le travail. «Il y a beaucoup trop de différences d'appréciation selon les préfectures. Et le document, sans valeur contraignante, présenté par le ministre Besson le 24 novembre dernier ne change rien.»
Premier tour de table des questions. Là encore, on se croirait à l'école. Chauveau écrit sur un coin de feuille la liste des sans-papiers souhaitant s'exprimer. Ils prendront la parole chacun leur tour. Dans l'ordre. Konaté, son manteau duffel coat encore sur les épaules, représente les travailleurs sans-papiers du bâtiment. «Aujourd'hui, c'est de plus en plus difficile de tenir le piquet de grève. Nous n'avons pas suffisamment de soutien financier. Il faut nous aider, sinon comment continuer à "gréver" ?»
Calé par terre contre le mur, Siriman écoute son «camarade» d'une oreille (et son MP3 de l'autre). Malien, il vit en France depuis dix ans et a deux petites filles de deux et cinq ans. Jusqu'ici, il travaillait dans les travaux publics, comme chef de chantier. «Je gagnais bien ma vie, 3000-3500 euros par mois. Heureusement, j'avais de l'argent de côté... Mais, là, ça commence à faire vraiment long». Comme beaucoup, il explique «être coincé». S'il arrête la grève aujourd'hui, la CGT ne soutiendra pas sa demande de régularisation à la préfecture... «Et c'est ma seule chance qu'elle aboutisse.»
La question financière pèse de plus en plus sur le moral des troupes. Une des rares femmes présentes, habituée à la prise de micro: «Je me sens fatiguée, comme beaucoup. Nous voulons expliquer nous-même au ministre dans quelle situation nous vivons. Il faut qu'il se rende compte que nous sommes dans le froid, la faim.»
Gardant le sourire, Oumar représente les travailleurs sans-papiers intérimaires, très nombreux dans le mouvement. Il parle de la fatigue des occupations et des piquets de grève. «On se relaie jour et nuit depuis trois mois. Tous les matins, à 8 heures, on a rendez-vous pour tracter, faire signer des pétitions.» Il raconte encore le système de pointage, obligatoire et régulier, pour s'assurer que les grévistes sont bien actifs et ne travaillent pas «en douce» pendant que les autres continuent la lutte.
Pour la CGT, l'enjeu est ainsi de maintenir un maximum de piquets de grève. 26, selon le dernier décompte. «Au début, on occupait une quarantaine agences d'intérim. Aujourd'hui, il n'en reste que deux, la justice ayant à chaque fois ordonné l'expulsion», regrette Francine Blanche, l'une des responsables CGT. Elle porte une enveloppe sous le bras. «C'est un chèque de 15.000 euros pour soutenir les camarades grévistes. Ça devrait leur remonter le moral.»
Source : Libération.fr