Le projet de loi créant la fonction qui remplace cinq autorités indépendantes passe à l’Assemblée. Les opposants y voient la volonté d’éliminer des contre-pouvoirs.
Sur son site web, Dominique Versini, la défenseure des enfants, organise la mobilisation : «2011 sera-t-elle l’année qui verra la disparition du défenseur des enfants ?»54 003 personnes auraient déjà signé une pétition «pour un défenseur des enfants indépendant». Les autres autorités administratives indépendantes (AAI) font profil bas. Sur leurs sites, pas d’allusion à la discussion qui s’ouvre cet après-midi à l’Assemblée. Doit s’y poursuivre, pourtant, l’examen du projet de loi créant la fonction de défenseur des droits, adopté en première lecture le 3 juin par le Sénat, qui remplacera cinq AAI : le médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Le contrôleur général des lieux de privation de liberté sera absorbé, lui, en 2014, au terme du mandat de son président, Jean-Marie Delarue.
Un rôle gravé dans la constitution
La fonction de défenseur des droits est prévue par l’article 71-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Le projet de loi, dont l’examen débute aujourd’hui, doit préciser le statut du défenseur des droits, ses missions, ses pouvoirs et les moyens mis à sa disposition.
Le 9 septembre 2009, une première version de ce texte était déposée au Sénat. «Elle prévoyait la fusion de trois autorités indépendantes : le médiateur, la CNDS et le défenseur des enfants», rappelle Patrick Delouvin d’Amnesty International. Dominique Versini alerte les médias, affirme que «la disparition des autorités indépendantes»a«un sens politique». Les sénateurs centristes, sensibles aux arguments de cette ancienne ministre de Jean-Pierre Raffarin, font sortir le défenseur des enfants du champ de la loi. L’Elysée tape du poing sur la table. «Après le vote du Sénat du 2 juin 2010 maintenant un défenseur des enfants indépendant, le gouvernement a demandé une seconde délibération, le 3 juin, qui a abouti à réduire le défenseur des enfants à un rôle d’adjoint du défenseur des droits, dépourvu de toute autonomie dans ses attributions et ses pouvoirs», tacle Dominique Versini. «Les sénateurs sont revenus dans le rang avec la vague promesse que la défenseure des enfants garde son titre, poursuit Patrick Delouvin. Elle s’est donc retrouvée incluse dans le périmètre. Le Sénat a ajouté la Halde. Bref, on était passé de trois à deux, et on s’est retrouvé à quatre.»
La rançon des critiques
Dominique Versini l’a dit et répété, elle a payé ses coups de gueule, par exemple sur la présence d’enfants dans les centres de rétention administrative où sont enfermés les étrangers en instance d’expulsion. Par leurs critiques, les autres AAI aussi ont pu déplaire aux pouvoirs politique et économique : la Halde, en se prononçant contre les tests ADN pour les candidats au regroupement familial prévus par la loi sur l’immigration défendue par Brice Hortefeux en novembre 2007, ou en épinglant publiquement des grandes entreprises comme BNP Paribas ou Airbus pour des pratiques discriminatoires ; le contrôleur des lieux de privation de liberté en pointant, dans chacun de ses rapports, les conditions de détention ; la CNDS, enfin, en dénonçant des pratiques policières abusives.
Vers la fin d’un contre-pouvoir ?
«Il y a une vraie volonté politique de faire taire des contre-pouvoirs», affirme Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère. Afin de limiter les dégâts, certains responsables d’AAI mènent, depuis quelques semaines, un lobbying intensif auprès du cabinet du garde des Sceaux, Michel Mercier, et des députés. «J’ai été nommé le 10 décembre, confie ainsi Eric Molinié, le président de la Halde. Avec mes équipes, on a travaillé sur une dizaine d’amendements au projet de loi, que j’ai fait voter - à l’unanimité - par le collège de la Halde le 3 janvier. Le 4, j’avais rendez-vous avec Michel Mercier, le garde des Sceaux. Le 5, j’ai eu Pierre Morel A l’Huissier [le rapporteur UMP du projet de loi, ndlr] au téléphone. Je me suis également entretenu avec Bernard Accoyer [le président de l’Assemblée nationale, ndlr].»
Le fait du prince en question
Pour Jean-Jacques Urvoas, le «point nodal» du projet de loi, le plus problématique, est la nomination du défenseur par le seul chef de l’Etat. «Le premier amendement que je déposerai dit que le défenseur est choisi par le président de la République dans une liste établie par des commissions des deux assemblées», précise le député PS. Un des amendements de la Halde porte sur la nomination des adjoints du défenseur. Le projet de loi prévoit qu’ils seront nommés par le Premier ministre sur proposition du défenseur. «J’aime bien l’idée développée par les députés Vanneste et Dosière dans leur rapport sur les autorités administratives indépendantes, qui est que la nomination des adjoints du défenseur ait l’aval des trois cinquièmes du Parlement», indique Eric Molinié.
Bataille féroce ou pétard mouillé ?
Le sujet est technique. A l’intérieur de l’hémicycle, comme à l’extérieur, la disparition des AAI n’a pas donné lieu à une forte mobilisation. Les responsables de ces entités n’ont pas fait alliance. Du côté des associations, il n’y a pas eu, non plus, de mouvement unitaire. Regroupées depuis juin dans le collectif SOS Halde, une cinquantaine d’associations et organisations syndicales ont rappelé, jeudi, leur crainte que les conditions de rattachement de la Halde au futur défenseur des droits conduisent à «sacrifier la lutte contre les discriminations». L’Unicef France et la Convention nationale des associations de protection de l’enfant ont demandé aux députés de «préserver la spécificité des droits de l’enfant au sein de la nouvelle autorité». D’autres associations ont lancé un appel contre «la suppression du contrôleur général des lieux de privation de liberté». Signe que la bataille est jugée perdue d’avance ? Dessin Muzo
Source : Libération.fr