Lors d’une conférence de presse à la Ligue des droits de l’Homme, les mis en examen de Tarnac et les proches d’Adlène Hicheur ont fait cause commune contre les méthodes de l’antiterrorisme français.


Depuis octobre 2009, Adlène Hicheur dort en prison. Ce Lyonnais de 35 ans, docteur en physique des particules, est mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Soupçonné d’avoir préparé des attentats islamistes sur le sol français à partir de ses conversations sur Internet, il sera jugé les 29 et 30 mars prochains au tribunal correctionnel de Paris. Deux demi-journées d’audience sont prévues, en formation antiterroriste.

Ce jeudi dans les locaux de la Ligue des droits de l’homme, à Paris, Halim Hicheur porte un T-shirt orange, floqué des “902 jours” de détention de son frère. Il s’élève contre une image fabriquée d’Adlène Hicheur, présenté comme “un loup solitaire autoradicalisé”.

Une vingtaine de journalistes a fait le déplacement. Aurait-il obtenu un tel auditoire sans ce mariage de la carpe et du lapin ? Près de lui siègent deux des “jeunes révoltés” de Tarnac, selon le mot de leur avocat. Une affaire invisible en côtoie une autre, surmédiatisée, à l’occasion d’une démarche commune : dénoncer “la justice d’exception” antiterroriste, quelles qu’en soient les cibles.

Les deux faces d'une même pièce

Pour les animateurs de la discussion, “l’affaire de Tarnac” et “l’affaire Hicheur” seraient les deux faces d’une même pièce : l’utilisation des services de renseignement comme police politique. La désignation commune d’un “ennemi intérieur”, l’ultragauche dans un cas, l’islamisme dans l’autre. Patrick Baudoin, l’avocat d’Adlène Hicheur, parle de son client quand il déclare :

“Il faut combattre la justice antiterroriste. On part d’une vérité pré-établie qu’il faut confirmer à tout prix, à partir d’un “profil idéal”. L’affirmation de la culpabilité est le seul objet qui a guidé le magistrat instructeur, censé instruire à charge et à décharge. Nous revendiquons le droit à un procès équitable.”

Mais ses propos pourraient aussi bien sortir de la bouche de Jérémie Assous, son homologue dans l’affaire de Tarnac. Celui-ci donne des billes à son confrère, en reprochant aux médias leur réflexe d’adhésion à la version policière :

“Si, plusieurs mois après les arrestations, l’affaire de Tarnac a déraillé, c’est en grande partie grâce aux médias. C’est lié à la personnalité des mis en cause : des personnes 'de gauche', blanches, issues de la classe moyenne. Pour Adlène Hicheur, il n’y a pas eu cette identification des journalistes. Il y a eu une espèce de confiance : ce sont des musulmans, on s’en remet à la justice.”

Dans les deux cas, le ministre de l’Intérieur s’est félicité publiquement des arrestations avant même la fin des gardes à vue. Ce qui fait dire à Benjamin Rosoux, l’un des mis en examen de Tarnac :

“Nous sommes les deux mamelles de l’antiterrorisme aujourd’hui réunies. Toute l’oeuvre de la DCRI depuis sa création est une grande entreprise de communication. Les opérations antiterroristes visent à convaincre l’essentiel de la population qu’il y a effectivement une menace. Ce qui reste, c’est la première image : celle du terroriste islamiste qui travaille dans le domaine nucléaire.”

"Le but de l'antiterrorisme est de raconter une histoire qui fait peur"

En Suisse, où travaillait Adlène Hicheur, la justice a clos le dossier. Faute de preuves, explique l’un de ses collègues. “Il est très difficile de savoir exactement ce qui lui est reproché”, renchérit Jean-Pierre Lees, le président de son comité de soutien. Il cite une phrase du procureur français pour en démontrer l’acharnement : “Je ne pense pas que deux ans de prison suffisent pour le faire revenir sur ses opinions radicales.” Malgré une vingtaine de demandes de remise en liberté, le chercheur est toujours enfermé à Fresnes.

Les mis en examen de Tarnac, eux, sont tous libres depuis belle lurette. Pourtant, Mathieu Burnel estime qu’il n’y a “aucune raison d’attaquer l’antiterrorisme dans notre cas et de ne pas le faire pour Adlène Hicheur”.

“Le but de l’antiterrorisme n’est jamais vraiment de saisir des faits, mais de raconter une histoire qui fait peur, pour ensuite mieux rassurer.”

Dénonçant le “marketing sécuritaire”, Patrick Baudoin soulève plusieurs points problématiques dans la procédure qui frappe son client : “l’absence d’éléments nouveaux” en deux ans d’instruction, un procès-verbal d’interrogatoire tronqué en Algérie, des “traductions approximatives ou inexactes de l’arabe au français”, des “tentatives de subornation de témoin”.

Dans quinze jours, l’affaire Hicheur pourra être débattue publiquement. Pour celle de Tarnac, l’instruction est toujours en cours, depuis trois ans.


Camille Polloni

 

 

Source : LES INROCKS

Tag(s) : #actualités
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