Alors que la fréquentation des réseaux sociaux en ligne explose en France, on observe une implication croissante des plus de 65 ans dans cette vague de communication virtuelle. Ils seraient notamment 700.000 en France à posséder un compte Facebook, leur nombre ayant doublé en un an. Parallèlement, les médecins s’approprient les nouvelles technologies de communication, développent la télémédecine, et réussissent même à faire de la chirurgie à distance. Au Centre Emotion de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP/CNRS), les patients apprennent à retrouver ou à préserver un bon fonctionnement de leur cerveau, avec l’assistance de logiciels informatiques. Le Professeur Roland Jouvent, chef du service de psychiatrie adulte et responsable du Centre Emotion, fait le point sur la question.
A quels problèmes notre cerveau est-il confronté en vieillissant ?
Le sujet âgé, ayant quitté sa vie active, voit l’éventail de ses relations sociales se rétrécir et il s’isole peu à peu. La télévision, la lecture, les mots croisés ou d’autres activités culturelles jouent un rôle positif pour entretenir sa mémoire et son intelligence, mais elles s’avèrent insuffisantes pour stimuler certaines fonctions du cerveau. Par exemple, le déficit d’attention n’est plus « sanctionné » par la réaction d’une tierce personne. Ce qui s’use le plus vite est appelé la flexibilité cognitive : c’est la faculté d’exécuter facilement et automatiquement un certain nombre de tâches routinières, particulièrement lorsqu’il s’agit de doubles tâches, comme parler au téléphone en surveillant la cuisson d’un plat sur le feu. Cette lenteur ou cette difficulté à accomplir certaines routines s’aggrave évidemment lorsque l’état dépressif s’ajoute à la solitude, ou encore lorsqu’une maladie psychiatrique sous-jacente, ou une pathologie neuro-dégénérative comme la maladie d’Alzheimer se développe parallèlement au vieillissement.
De quoi notre cerveau a-t-il le plus besoin pour ne pas s’user trop vite ?
Le fait important consiste dans l’efficacité particulière de ce qu’appelle la cognition sociale. De même que le jeune enfant ne peut développer son intelligence que dans l’échange avec des humains, de même l’âgé ne peut conserver son potentiel intellectuel que grâce aux interactions sociales : lors d’une conversation entre deux personnes, chacun écoute et s’exprime tout en observant la tonalité de la voix, en décodant l’expression du visage de son interlocuteur ; il doit connaître l’histoire du sujet , ses antécédents, s’agissant d’un confrère ou d’un ami par exemple. Le discours évolue réciproquement du fait que chacun se met spontanément à la place de l’autre. C’est ce qu’on appelle la théorie de l’esprit. Ce mécanisme fait appel à la partie la plus sophistiquée de la communication humaine. Ceci implique une rotation mentale, il faut inhiber temporairement sa propre culture pour se mettre dans la tête de l’autre . Le vieillissement atteint prioritairement cette fonction essentielle du cerveau. Elle n’est d’ailleurs pas accessible aux autistes, et elle demande un effort aux personnes dépressives, un état que connaissent souvent les sujets âgés. La psychothérapie consiste à réveiller ou à entraîner le cerveau des patients chez qui cette fonction s’est usée, de même que d’autres fonctions exécutives.
Justement, quelle prise en charge proposez-vous à ce type de patient ?
En consultation, nous commençons par établir un bilan avec le patient. Nous évaluons ses performances, ses réactions émotionnelles, ses éventuels déficits d’attention, de mémoire, de flexibilité cognitive. Nous disposons pour cela de tests et d’outils de mesure informatisés, qui se perfectionnent et se généralisent progressivement en psychiatrie. Au-delà de la consultation classique, ce que nous développons au Centre Emotion consiste à orienter progressivement les patients vers une psychothérapie pouvant se faire à distance, avec l’assistance d’un ordinateur : nous leur apprenons, en les plaçant dans une pièce voisine, à se connecter de manière autonome sur un poste informatique, pour se mettre en relation avec le thérapeute.
La spécificité de notre démarche tient au fait que nous développons des logiciels conçus précisément pour cette utilisation. Il s’agit de combiner dans un système sécurisé, l’échange visuel entre le patient et le médecin, et la pratique interactive d’exercices propres à remédier aux déficits ou aux éventuelles phobies dont souffre le patient. Selon le degré des atteintes à traiter, nous pouvons utiliser sans que le patient soit physiquement présent, mais comme si nous étions en consultation classique, des objets d’entraînement cognitif, des objets de remédiation, ou des images destinées par exemple à traiter une phobie. Cette méthode présente des avantages remarquables en évitant progressivement de déplacer des patients âgés souvent éloignés de l’hôpital, pour des consultations d’une demi-heure. Le bénéfice est également écologique et économique, par l’absence de transports en véhicules sanitaires légers ou en voiture particulière. En fonction de ses capacités de départ, le patient âgé peut passer une ou deux journées en hospitalisation de jour pour acquérir son autonomie d’utilisation de l’ordinateur, puis venir à l’hôpital une fois sur deux, et évoluer de plus en plus souvent vers des consultations à distance. C’est ce que j’appelle la e-thérapie.
La mise au point de nos interfaces dédiées aux patient âgés répond à un besoin actuel qui disparaîtra avec les futures générations habituées à cette technologie, mais la thérapie à distance assistée par des logiciels va se développer de plus en plus.
Un mot sur le rôle des réseaux sociaux en ligne ?
Ils représentent effectivement une opportunité sans précédent pour les personnes âgées. Ils entretiennent leur cognition sociale, et ce malgré réduction de leur mobilité ou leur isolement. L’échange entre deux individus est beaucoup plus stimulant d’un point de vue neuronal que l’activité solitaire, fût-elle intellectuelle. Une nuance s’impose tout de même : il faut distinguer les réseaux sociaux offrant l’utilisation en direct d’une webcam, de ceux qui sont basés sur le texte. La perception du visage simultanément à la conversation reste un atout important pour enrichir les capacités de métacognition, qui consistent, comme nous l’évoquions plus haut, à savoir prendre en compte plusieurs points de vue , à laisser dialoguer en soi plusieurs personnages à la fois.
Source : Webzine de l’AP-HP
URL: http://www.artesi.artesi-idf.com/