LETTRE OUVERTE A MITTERRAND, par Luc Chatel, Journaliste
Monsieur le Ministre,
Un homme est en train de mourir pour son théâtre. Aidez-le. Richard Martin, fondateur et directeur du théâtre Toursky, à Marseille, est en grève de la faim depuis le 3 octobre pour dénoncer la
suppression des subventions de votre ministère. Vous ne pouvez continuer à garder le silence comme vous le faites depuis onze jours. Il y a peu de temps, vous avez pris la défense d'un cinéaste
poursuivi pour viol, en justifiant votre geste “ au nom de la justice et de la beauté ”. Si ces mots ont un sens pour vous, ne les utilisez pas au gré de vos affinités personnelles ou
artistiques. Ou au gré des micros qui se tendent.
Richard Martin n'est pas passé au journal de vingt heures. Doit-il pour cela être condamné à votre mutisme ?
Richard Martin n'est le frère, ni le père, ni le fils d'aucun ministre, président ou grand patron. Doit-il pour cela être condamné à votre désintérêt ?
Oui, dans le geste de Richard Martin, la justice est en jeu : la justice sociale. Dans un quartier de Marseille où l'Etat fait sentir son absence année après année, comme dans de nombreux
quartiers populaires de notre pays, le théâtre Toursky a su recréer du lien social. A travers une programmation culturelle ouverte, des rencontres et des débats riches et contradictoires et des
invitations d'artistes étrangers (l'un des premiers lieux en France à avoir accueilli théâtre et marionnettes russes), le théâtre Toursky a su favoriser l'éveil à la culture, à la vie civique, à
l'attention aux autres, voisins de quartier ou voisins du globe.
Oui, dans le geste de Richard Martin, la beauté est en jeu : en mettant en péril son intégrité physique, à la manière des quêteurs d'absolu, il nous dit combien la création artistique est
indissociable de notre condition et notre destinée commune, et rejoint ainsi les plus belles causes qui seules peuvent à la fois nous rassembler et nous transcender. Nous donner un sursaut de
dignité.
Monsieur le Ministre, Richard Martin vous lance un cri, écoutez-le. Il vous tend la main, prenez-la.
Son geste périlleux est plein d'une vitalité créatrice et d'une foi en l'art. Il n'est pas désespéré, il est ultime. Ne ratez pas cette occasion de nous montrer votre amour des artistes.
Rendez-nous le Toursky !
Veuillez agréer, monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments distingués. »
Petit rappel des faits :
Marseille / Théâtre Toursky : Grève de la faim et résistance