Les Roms victimes d’un racisme séculaire
 
1er novembre 2012
 

Boucs émissaires, pauvres parmi les plus pauvres, les Roms ou Rroms [1] sont rejetés et réprimés, souvent dans la plus grande indifférence. Le racisme à leur égard est tenace, comme les idées reçues sur leur culture. Avec des conséquences dramatiques pour cette population. Mise au point.

 

Le 27 septembre dernier, des habitants d’une cité des quartiers nord de Marseille ont contraint par la menace une quarantaine de Rroms à quitter leur campement de fortune établi sur un terrain vague. Puis, ils ont mis feu à leurs affaires. De tels actes sont la conséquence de la politique lancée lors du quinquennat de Sarkozy, poursuivie avec zèle cet été par le gouvernement et le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. L’Association européenne des droits de l’homme a compilé les chiffres des expulsions de Rroms en France depuis le 1er janvier 2012, trimestre par trimestre [2]   : 5 000 personnes, soit un tiers de la population des Rroms migrants a été évacuée de force durant le troisième trimestre 2012, soit une augmentation de 50 % par rapport aux pires périodes précédentes.

Dans un contexte général de rejet croissant des étrangers [3], les Rroms gagnent la malheureuse première place  : 77 % des personnes interrogées, lors du sondage organisé par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, ont répondu qu’ils sont «  un groupe à part  ». Les préjugés sur les Rroms sont parmi les plus tenaces  : ils seraient voleurs, sales, exploiteurs d’enfants... et clandestins. Quand enfin on ne les accuse pas de cacher des lingots d’or… dans des bidonvilles  ! Parmi les préjugés les plus fréquents, on trouve le rejet du travail par les Rroms, attirés qu’ils seraient par le vol et la rapine. Si de nombreux Rroms vivent de mendicité… cela a aussi à voir avec le fait que de nombreux métiers leur sont interdits, depuis longtemps.

 Un peuple qui revient de loin

Originaires du nord de l’Inde, les populations rroms se sont distinguées de longue date par une spécialisation dans différents métiers jugés «  impurs  » par les brahmanes, mais nécessaires à la communauté  : bouchers, tanneurs, bûcherons... Il leur est alors interdit de se sédentariser. Vers l’an 1000, sans doute pour échapper au rejet de la société indienne, divisée en castes, ils ont commencé à migrer vers l’Iran et l’Asie centrale. Parvenus en Europe, par l’Asie mineure et le Bosphore, ils se sont installés d’abord dans les Balkans, puis dans les Carpates et peu à peu dans tous les pays européens, de la Grèce à la Finlande et de la Russie à l’Europe occidentale.

Du fait du système féodal en place, ils n’ont pu devenir propriétaires. Ils n’ont eu d’autre choix que de servir les autres, notamment comme musiciens, commerçants ambulants, rétameurs, chiffonniers. En Roumanie, ils avaient un statut proche de l’esclavage, dont ils pouvaient se défaire en rachetant leur liberté. C’est pour cela que les Rroms portaient leur or sur eux, bien visible, sous forme de colliers ou de bijoux, pour montrer leur solvabilité. Perçus comme des étrangers dans les pays chrétiens (on les disait musulmans, entre autres en raison de leur teint mat), ils ont été 
opprimés. Au XIXe siècle, dans toute l’Europe, les processus d’abolition de l’esclavage et des statuts qui s’en rapprochent entraînent à la fois un retour à la liberté personnelle pour les Rroms mais aussi au nomadisme, car ils sont chassés des domaines seigneuriaux, notamment par la petite paysannerie dans le cadre des réformes agraires.

C’est aujourd’hui la minorité la plus importante en terme numérique en Europe avec environ 12 millions de personnes, les deux pays qui en abritent le plus étant la Roumanie et la Bulgarie.

 Une vieille présence en France

A écouter le tout-venant, les Rroms ne viendraient en France que pour mettre la main sur quelques centaines d’euros, avant de repartir (tous frais payés) en Roumanie. La belle vie en somme… mais dont personne ne voudrait  ! Qui plus est, cette image du Rrom errant tient plus du mythe que de la réalité. Les premiers Rroms sont arrivés en France autour du XIVe siècle. C’est donc une vieille immigration. Il y a actuellement en France environ 500 000 Rroms, dont la quasi-totalité est de nationalité française.

L’ancienneté de la présence des Rroms en France est d’ailleurs attestée par la littérature, avec l’Esmeralda de Victor Hugo, héroïne de Notre-Dame de Paris, ou la Carmen de l’opéra de Bizet, qui est une «  gitane  ». Cette présence est aussi attestée par l’adoption dans l’argot de mots issus du rromani  : chourer, chouraver, poucave, maraver, pillaver [4]… Tout un symbole  !

 Discrimination, répression, enfermement…

Ce qui n’est pas moins ancien que la présence des Rroms sur le territoire, ce sont les politiques répressives dont ils font l’objet, notamment en tant que nomades. Jusqu’à aujourd’hui, la confusion est courante entre Rroms – parfois sédentarisés – et gens du voyage. En 1912, une loi oblige toutes les personnes non sédentaires à se munir «  d’un carnet anthropométrique d’identité  » qui doit être­ tamponné à chaque déplacement  ! Cette loi va rester en vigueur jusqu’en 1969, date à laquelle le carnet anthropométrique est abandonné mais pas le livret de circulation, toujours en vigueur, qui oblige à pointer au commissariat ou à la gendarmerie de manière régulière. Tous les nomades, indépendamment de leur nationalité ou de leur origine, sont ainsi traités comme des «  étrangers de l’intérieur  ».

Lors de la Deuxième Guerre mondiale, des mesures de privation de liberté sont prises contre les nomades vivant en France. A partir de 1940, des camps d’internement sont construits. 6 000 Rroms auraient été internés en France entre 1940 et 1946. Il faut aussi signaler que leur internement a continué deux ans après la libération du pays, jusqu’en 1946  ! Et dans toute l’Europe, près de 500 000 Rroms ont été exterminés entre 1941 et 1944 par les nazis et leurs alliés.

 La France, l’Union européenne et les Rroms migrants

Aujourd’hui, il n’y a pas plus de 15 000 Rroms de nationalité étrangère présents en France, essentiellement roumains et bulgares. Ce chiffre est stable depuis de nombreuses années. Ces Rroms sont des migrants économiques, fuyant la dégradation de leurs conditions de vie et l’absence de perspective d’avenir dans leur pays. Ainsi, le taux d’émigration est le même chez les Rroms roumains que dans l’ensemble de la population roumaine (environ 10 %). Ils ont effectivement «  voyagé  » de Roumanie en France, mais étaient sédentaires là-bas (où ils vivaient en maison, généralement en milieu rural).

L’Union européenne, en multipliant les entraves à la circulation des personnes en son sein, en différant, au moins jusqu’en 2014, le droit à la liberté de circulation, d’installation et de travail pour les Roumains et les Bulgares, a fait des Rroms des exclus du marché du travail, du fait de la lenteur avec laquelle les préfectures leur délivrent une autorisation de travail, de la liste restreinte des métiers qui leur sont autorisés et des taxes que doivent payer les patrons quand ils sont d’accord pour les embaucher. Privés de droit au travail, les Rroms sont condamnés à une précarité extrême ou doivent se débrouiller en utilisant l’économie parallèle et la mendicité. Et si les Rroms migrants s’entassent dans des bidonvilles ou des «  campements  », c’est aussi parce que la plupart d’entre eux sont exclus du droit au logement, puisque l’état les considère comme des personnes en situation «  irrégulière  ». Ils errent ainsi, d’expulsion en expulsion. Les enfants sont d’ailleurs les premières victimes de ces expulsions en série puisque cela les empêche d’être scolarisés. Et on leur reproche ensuite de ne pas parler correctement le français  !

 Pogroms et travaux forcés en Hongrie

Les populations rroms, présentées parfois comme une charge pour la société, alors que l’accès aux services sociaux et à la plupart des droits sont refusés aux migrants, sont parmi les plus mal loties. Avec la crise, la volonté de mettre en avant des boucs émissaires est renforcée. Et les Rroms en font les frais, comme en Hongrie. Désignés à la vindicte publique, ils y sont régulièrement victimes de pogroms, encouragés par le premier ministre Victor Orban qui collabore avec le parti néo-fasciste Jobbik, afin de détourner l’attention de la crise économique et des immenses problèmes sociaux que connaît le pays. Aux cris de «  sales Tsiganes, vous allez tous crevez  », les membres de la «  garde hongroise  » les attaquent régulièrement. Sous prétexte de lutte contre le chômage, le gouvernement de ce pays européen les a contraints au travail forcé, parfois à des heures de chez eux, parqués dans des hébergements de fortune, sous la garde de policiers retraités.

Partout en Europe, les Rroms sont maintenus dans la misère et l’insécurité. En France, ils sont interdits de travail, forcés à survivre dans des bidonvilles, contraints à la mendicité, ce qui les laisse du coup beaucoup plus vulnérables face aux réseaux mafieux qui n’hésitent pas, à l’occasion, à les exploiter. Ils subissent un sort que chacun s’accorderait à trouver inacceptable pour n’importe quel autre groupe de la société. Et pourtant, tout cela se passe dans la plus grande indifférence.

C’est la politique qui produit des parias qui est inacceptable, pas la présence des Rroms. Une évidence que doit porter le mouvement ouvrier, avec bien plus de force, y compris contre l’actuel gouvernement de gauche.

Marie-Hélène Duverger


Notes

[1] Rrom signifie «  homme  » en langue rromani. Ceux qui ne sont pas des Rroms sont des gadjé ou étrangers. Voir l’argumentaire de Saimir Mile, président de l’association La voix des Rroms (http://www.cafebabel.fr/societe/art...)

[2] Rapport de Philippe Goossens pour l’AEDH (http://www.aedh.eu)

[3] Rapport 2011 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie de la CNCDH.

[4] Synonymes de voler, mouchard, frapper, boire de l’alcool.

* Paru dans la Revue L’Anticapitaliste n°37 (novembre 2012). http://npa2009.org/

Mis en ligne le 20 avril 2014
 
SOURCE / ESSF
Tag(s) : #actualités
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