24 septembre 2014

Opinion Les mères des disparus en Amérique latine ressentent la douleur de Gaza

manifestation des mères argentines et palestiniennes plaza de mayo 2014

Opinion/editorial

Les mères des disparus en Amérique latine ressentent la douleur de Gaza

Andrew Klein The Electronic Intifada Buenos Aires 18 September 2014 

L’été dernier, alors qu’Israël détruit Gaza et décime ses habitants les publications de gauche en Amérique latine commençaient à faire circuler un essai de 2012 de l’écrivain uruguayen renommé Eduardo Galeano.  Ecrivant dans le sillage de l’attaque israélienne de novembre 2012 contre Gaza, Galeano a déploré l"effacement de la Palestine de la carte." Les Palestiniens, écrit-il, "ne peuvent pas respirer sans autorisation" et "quand ils votent pour quelqu'un pour qui ils ne devraient pas, ils sont punis. "

Pour Galeano, un historien de l'Amérique latine, l'élection de 2006 dans la bande de Gaza, remportée par le Hamas, ressemblait beaucoup à l'élection de 1932 au Salvador. Alors que les dirigeants militaires du Salvador avaient concédé une place pour la candidature du Parti Communiste longtemps marginalisé (comme George W. Bush a fait avec le Hamas en 2006), ils ont rapidement annulé les résultats après la victoire communiste, et en quelques jours ont lancé une campagne de génocide ciblant la base du parti des paysans indigènes. 

De même, après que la «promotion de la démocratie» de Bush a obtenu le "mauvais" résultat dans la bande de Gaza, les Etats-Unis et Israël ont travaillé à saper le vainqueur de l'élection en utilisant une variété de méthodes, y compris l'orchestration d'une tentative de coup d'Etat avortée avec l'Autorité palestinienne basée à Ramallah. Pendant ce temps, Israël a continué à imposer un blocus étouffant de Gaza depuis 2007, qui a pour but sadique de garder son peuple "au régime» et son «économie au bord de l'effondrement." 

Situations critiques liées

Pour Galeano et d'autres, les situations critiques respectives des Latino-Américains et des Palestiniens ne sont pas seulement liés à une analogie historique fertile - combler le fossé de leurs oppressions distinctes est un fait inattaquable. 

Dans la seconde moitié du XXe siècle, Israël a fourni aux gouvernements répressifs d'Amérique latine, du Guatemala à l'Argentine, des armes, des moyens de transports, de l'équipement militaire de renseignement, de la formation à la contre-insurrection et même des conseils en relations publiques. 

Incontestablement, Israël a gardé des liens étroits avec Augusto Pinochet, le brutal général chilien qui a pris le pouvoir lors d'un coup d'État sanglant en 1973 avec l'aide de la CIA. Au cours de ses dix-sept ans de règne, Pinochet a "fait disparaître" des milliers de ses citoyens et commis d'innombrables violations des droits de l'homme. Tout au long de son règne, il a bénéficie de nombreuses livraisons d'armes israéliennes - et, bien sûr, un fort soutien des États-Unis aussi. 

Moins d’amis 

En Amérique latine aujourd'hui, Israël a beaucoup moins d'amis. Cette réalité devient plus prononcé lorsqu’il intensifie  la guerre contre la population qu'il continue à occuper. 

Quand ceci s’est produit cet été à Gaza, le modèle maintenant prévisible de destruction - infrastructure durement détruite, nombre stupéfiant de victimes civiles - a poussé beaucoup d'Etats latino-américains à prendre une position ferme sur les attaques israéliennes. (Bien sûr, les pays avec des transactions économiques et militaires proches avec les États-Unis - comme la Colombie et Panama, qui a aussi reçu des livraisons d'armes d'Israël ces dernières années - n'étaient pas parmi eux.)

Le cortège des pays debout pour les Palestiniens était impressionnant. À la fin de Juillet, le président bolivien Evo Morales a déclaré Israël "État terroriste."

Le Brésil, l'Équateur, le Chili, le Pérou et le Salvador ont rappelé leurs ambassadeurs de Tel Aviv, et le président d'Argentine s’est joint aux chefs d'Etat du Brésil, du Venezuela et d'Uruguay dans la délivrance d'un "communiqué spécial" condamnant l"usage disproportionné de la force" par Israël.

Cuba, un pays qui a rompu ses relations diplomatiques avec Israël en 1973, est peut-être le critique le plus virulent du sionisme dans l'hémisphère. En 1959, l’emblématique chef de la guérilla Che Guevara a mené une délégation de solidarité cubaine à Gaza peu après le triomphe de la révolution cubaine. En Août de cette année, l'ancien président cubain Fidel Castro a écrit une tribune dans le journal du pays intitulé «L'Holocauste palestinien à Gaza." Ce ne sont que quelques exemples des dernières poussées en Amérique latine visant à isoler Israël pour son mauvais traitement flagrant des Palestiniens. 

Diplomatie forte

Cette diplomatie assurée a une contrepartie dans la presse de la région. Les représentations de la souffrance des Palestiniens par les journalistes latino-américains ne sont pas dilués dans l’inclinaison pro-israélienne de nombreuses publications États-Uniennes. 

Alors que cet été le New York Times a publié une profusion d'articles pleins de fausses équivalences et parle des «deux côtés» (par exemple, «Une pause dans les combats donne aux civils des deux côtés un moment de répit» et «Quartier ravagé à Gaza lors de la journée la plus meurtrière à ce jour pour les deux parties »), le titre le plus commun qui accompagne ce sujet à la télévision et dans les journaux d'Amérique latine était " El Infierno de Gaza "-" l'enfer de Gaza ".

Patrimoine et histoire 

L'Amérique latine dans son ensemble accueille la plus grande population de la diaspora arabe dans le monde, une communauté datant principalement de la fin du XIXe et du début du XXe siècles. Ce groupe a certainement joué un rôle de premier plan dans les efforts de solidarité avec les Palestiniens dans la région. Le Chili, par exemple, un pays avec un demi-million de citoyens de lignée palestinienne, a un Groupe interparlementaire Chili-Palestine comprenant près de 40 pour cent du parlement. 

Alors que les commentateurs ont raison de souligner la présence arabe importante en Amérique latine pour expliquer l'ampleur de sa solidarité avec les Palestiniens, cet élément ne doit pas être surestimé. En effet, les liens qui relient les récits de privation des droits civiques latino-américain et palestinien transcendent les particularités d'une origine ethnique commune. 

Un exemple de ce lien est survenu en 2008 lorsque le président du Chili, Michelle Bachelet, a accordé à 117 réfugiés palestiniens l'asile dans son pays. Au cours de la cérémonie de bienvenue, elle a comparé sa propre expérience de l'exil pendant le règne de Pinochet avec les souffrances des Palestiniens déplacés. "Je tiens à vous dire que je sais exactement comment on ressent le fait d'être un réfugié dans un pays étranger», dit-elle. «Je le sais parce que je l'ai vécu, je suis aussi une réfugiée." 

Cette remarque était sans doute destinée à résonner chez les Palestiniens du Chili, dont la participation à la vie politique du pays à travers des élections et des groupes de pression comme la Fédération Palestine du Chili est loin d'être négligeable. Néanmoins, elle reflète aussi un sentiment de solidarité qui peut être perçu à travers la région. Il suffit de regarder dans des endroits comme la Bolivie, Cuba et l'Uruguay - pays relativement peu peuplés de descendants arabes - où le soutien à la Palestine n'est pas moins robuste que dans les pays voisins. 

Nuisance envers le pouvoir

L'un des plus brutales des dictatures soutenues par les États-Unis et Israël en Amérique latine a été la junte militaire qui a dirigé l'Argentine depuis le milieu des années 1970 jusqu'au début des années 1980. Malgré la «disparition» de  30 000 de ses habitants, la torture de beaucoup d'autres et l'élimination de tous les partis politiques et des médias indépendants, le régime a reçu un feu vert du secrétaire d'Etat américain Henry Kissinger pour sa «sale guerre» contre les opposants. Plus tard, il a connu un partenariat étroit avec le président américain Ronald Reagan. 

En Argentine, toute dissidence était réprimée et une culture de la peur régnait. Et pourtant, un mouvement de protestation sur la Plaza de Mayo - l'épicentre historique de la lutte populaire en Argentine - a finalement pris racine. Il a été mené par un groupe de mères dont les filles et les fils ont été victimes de la dictature. Ce groupe, nommé les Mères de la Plaza de Mayo, a organisé des manifestations hebdomadaires à compter de la seconde moitié du mandat du régime. 

Tous les jeudis, les mères ont défilé gravement sur la place, un foulard blanc couvrant leur tête, tenant des photos de leurs enfants disparus. Par leurs actions très visibles, les mères ont contesté et finalement détruit l'emprise de la dictature au pouvoir. 

Après la chute du régime militaire en Argentine, les mères ont maintenu leur présence dans la sphère publique, en continuant à demander officiellement des comptes sur le terrorisme d'Etat qu'elles ont personnellement enduré, tout en prêtant leur appui à une multitude de causes de gauche. Aujourd'hui, elles se réunissent encore chaque semaine à la Plaza de Mayo. 

Le jeudi après-midi à la mi-août, les mères se sont mobilisés avec des militants palestiniens. Les deux groupes ont commencé par former un cercle et s'adresser à tour de rôle à la foule sur leurs causes semblables. 

Les deux ont parlé de los desaparecidos, les disparus. Bien que ce terme est le plus souvent utilisé par les Latino-Américains pour décrire un phénomène spécifique - les victimes des régimes violents, qui sévirent dans leur continent au XXe siècle - dans ce contexte, l'expression a été généralisée. 

Ici, les Palestiniens furent célébrés parmi les disparus, leurs identités et leurs voix bafouées au-delà des frontières du respectable normalement sanctionné par l'Etat, leur existence même considérée comme une nuisance pour les puissants. Un Palestinien, affirment-ils, est comparable à un militant de gauche argentin des années 70-80. Les femmes portant le voile, serrant des images de leurs enfants depuis longtemps morts, se tenaient au côté des activistes portant des keffiés - foulard à carreaux palestinien - brandissant des pancartes avec les images d'enfants morts à Gaza.

Un minute de silence s'est tenue à la fin. Les têtes étaient inclinées vers le bas avec solennité. Les morts ont été pleurés - tous. 

Andrew Klein est une journaliste indépendante qui écrit actuellement pour KPFA News de Buenos Aires. Il a beaucoup voyagé en Palestine et passé trois mois l'année dernière à travailler à Chatila, un camp de réfugiés palestiniens à Beyrouth. 

Traduit de l'anglais par Justice Pour La Palestine - JPLP

http://electronicintifada.net/content/mothers-disappeared-latin-america-feel-gazas-pain/13871

Tag(s) : #Monde arabe - Israël
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :