Le Mouvement BDS a 10 ans : interview d’Omar Barghouti
11 juillet | Adam Horowitz et Philip Weiss pour Mondoweiss |Omar Barghouti ,
Traduction J.Ch. pour l’AURDIP
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Les codirecteurs de Mondoweiss Adam Horowitz et Philip Weiss parlent avec le militant palestinien des droits de l’Homme et cofondateur du mouvement BDS Omar Barghouti pour le dixième anniversaire de l’appel palestinien aux boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël.
L’Appel BDS a été émis par des représentants de la société civile palestinienne le 9 juillet 2005 dans le but d’acquérir les droits fondamentaux pour les Palestiniens selon la législation internationale. BDS demande la fin de l’occupation par Israël des terres arabes, dont Jérusalem Est, la fin de ce que même le Département d’État américain a critiqué en tant que système israélien de « discrimination institutionnelle, juridique et sociétale » envers les citoyens palestiniens, ce qui recoupe la définition américaine de l’apartheid, et la fin de son refus du droit au retour, tel que stipulé par l’ONU, des réfugiés palestiniens dans leurs maisons d’origine d’où ils furent chassés par la force pendant la Nakba de 1948 et empêchés d’y revenir depuis.
L’Appel BDS concerne ces trois droits parce qu’ils correspondent aux trois principaux constituants de ce qui fait le peuple palestinien. Selon les chiffres de 2014 émis par l’Office Central Palestinien des Statistiques, sur les 11.800.000 Palestiniens, ceux des territoires palestiniens occupés (TPO), c’est-à-dire Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem Est, représentent seulement 38 % de la totalité de la population palestinienne. Les citoyens palestiniens d’Israël représentent environ 12 %, et les Palestiniens en exil constituent les 50 % restants.
Adam Horowitz et Philip Weiss : Au bout de dix ans, comment caractériseriez vous le succès du mouvement BDS jusqu’ici ?
Omar Barghouti : BDS a joué un rôle déterminant dans le changement de discours sur la question de la Palestine après plus de deux décennies d’un « processus de paix » frauduleux qui a sapé les droits des Palestiniens et a servi de feuille de vigne pour l’expansion et l’enracinement du régime israélien d’occupation, de colonisation de peuplement et d’apartheid.
Aujourd’hui, Israël reconnaît pour plusieurs raisons en BDS une « menace stratégique » contre tout son régime d’oppression. BDS intègre la quête des droits, stipulés par l’ONU mais longtemps ignorés, de tous les Palestiniens et réussit progressivement et méthodiquement à isoler Israël académiquement, culturellement et, à un moindre degré, également économiquement.
S’inspirant de la lutte anti-apartheid sud-africaine, BDS réussit aussi à mettre en lumière la toxicité de la « marque » Israël. L’impact du mouvement BDS non-violent et mondial conduit par les Palestiniens s’est régulièrement amplifié depuis son lancement en 2005. Mais ces deux dernières années, il s’est accéléré pour diverses raisons. Quand vous semez des graines et que vous les nourrissez avec attention et persévérance, elles finiront par vous donner de bons fruits. Nous commençons maintenant à récolter les fruits de 10 ans de campagne BDS pour les droits de l’Homme, stratégique, moralement cohérente et indéniablement efficace.
BDS gagne les batailles dans les coeurs et les esprits à travers le monde, en dépit de l’influence toujours hégémonique d’Israël auprès des gouvernements américain et européens.
L’impact de BDS à 10 ans est maintenant reconnu par les plus importants leaders israéliens de la politique, de la sécurité et du commerce et même par un ancien directeur de la CIA.
Un rapport de l’ONU qui vient de sortir montre que les investissements directs étrangers ont chuté de 46% entre 2013 et 2014. Un coauteur israélien de ce rapport a attribué cette nette baisse en partie à BDS.
Une récente étude de la Rand a estimé que, si BDS continue, les pertes économiques d’Israël dans les 10 années à venir s’élèveront à 47 milliards $. D’où la panique que vous voyez dans l’establishment israélien.
Depuis juin 2013, le premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu a affirmé que le mouvement BDS était une « menace stratégique » en en confiant l’entière responsabilité au ministère des affaires stratégiques.
Le président d’Israël Reuven Rivlin a récemment caractérisé le boycott universitaire d’Israël de « menace stratégique de premier plan » pour le régime israélien d’occupation et d’apartheid.
L’ancien chef du Mossad Shabtai Shavit est convaincu que BDS est devenu un « dangereux » défi pour Israël, tandis que l’ancien premier ministre Ehud Barak admet qu’il est en train d’atteindre un « point de non retour ».
L’élection en Israël d’un gouvernement ultra droitier le plus extrême de son histoire, qui perd ses dernières prétentions démocratiques et qui adopte ouvertement une politique coloniale, va sans doute accroître les souffrances des Palestiniens. Mais cela va également renforcer la croissance déjà impressionnante de BDS.
Le sondage de Globescan pour la BBC au sujet de l’opinion publique internationale a clairement montré ces dernières années qu’Israël concurrençait la Corée du Nord pour sa popularité à travers le monde, y compris auprès des plus grandes nations européennes.
Quand vous avez lancé l’appel, comment imaginiez vous l’évolution du mouvement ? Quel effet pensiez vous qu’il aurait alors ?
L’appel a été lancé par 171 partis politiques, syndicats, associations et organisations palestiniennes, qui représentaient l’écrasante majorité du peuple palestinien dans la Palestine historique et en exil. Il est enraciné dans des décennies de résistance populaire palestinienne et s’inspire, entre autres, du mouvement anti-apartheid sud-africain et du mouvement des droits civiques américain.
Il ne serait pas exagéré de dire que l’impact de BDS 10 ans après son lancement est allé bien au-delà de nos attentes les plus optimistes lors de la fondation du mouvement en 2005.
Êtes vous surpris par la croissance du mouvement ?
Je ne suis pas surpris par sa croissance en elle-même, mais par son taux. Comme l’archevêque Desmond Tutu me l’a dit un jour, BDS croît considérablement plus vite que le mouvement de boycott anti-apartheid ne l’avait fait.
Quel a été le rôle du lobby israélien dans l’opposition à BDS ?
La première réponse d’Israël à la phase initiale de BDS, l’établissement en 2004 de la Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël (PACBI), fut de lancer sa campagne extrêmement bien rodée « Marque Israël ». Elle exploite la culture, l’université et la technologie israéliennes pour rhabiller l’État et montrer au monde son « meilleur profil », spécialement après chaque massacre commis par Israël contre la population indigène palestinienne.
Le lobby a toujours fait partie intégrante de cette dynamique. Le lobby israélien de Washington en particulier est reconnu aujourd’hui, comme le montre un récent sondage, par 3 sur 4 des leaders d’opinion du Parti Démocrate comme exerçant une trop grande influence sur la politique étrangère américaine. Que l’on se demande si le chien impérial agite la queue ou si c’est l’inverse, on ne peut qu’admettre que la queue et le chien sont biologiquement liés ! Les intérêts impériaux des USA et l’influence massive d’Israël vont main dans la main.
Dix ans de BDS nous ont appris que la dernière et la plus rude ligne de défense du régime israélien, c’est le Congrès américain. Je ne dévoilerai pas un secret en disant que la plupart des politiques et des élus américains sont plus redevables et sensibles à leurs bailleurs de fonds qu’aux intérêts de leurs électeurs qu’ils sont censés représenter. Beaucoup de membres du Congrès sont « achetés et financés par le lobby israélien », comme même Thomas Friedman l’a admis lorsqu’il expliqua le nombre étonnant et en yoyo d’ovations debout qui saluèrent le premier ministre israélien Netanyahu en 2011.
N’ayant pas réussi à résister à BDS dans les nombreux combats pour gagner les coeurs et les esprits aux niveaux populaires et de la société civile, Israël a adopté en 2014 une nouvelle stratégie centrée sur la guerre juridique pour combattre BDS. Le lobby israélien mène cette bataille, faisant passer une législation anti BDS dans plusieurs corps législatifs des Etats et au Congrès américain.
Mais cela, on s’y attend. Ce qu’Israël n’a peut-être pas prévu, c’est l’érosion continue de son maintien dans le Parti Démocrate et parmi les Afro-américains, les Latino-américains, les femmes et les jeunes Américains, y compris les Juifs américains. Le rôle d’Israël n’est pas facile après tout. Il essaie de façon arrogante de délégitimer le boycott, tactique de résistance à l’injustice consacrée par l’usage aux Etats-Unis et sorte de liberté d’expression,comme statué par la Cour Suprême.
Ivre de pouvoir, Israël et ses lobbies ont oublié à quoi ressemblent les carottes ; ils ont recours à des bâtons de plus en plus gros pour amener les critiques à se soumettre. Mais en s’alliant de plus en plus à l’extrême droite américaine tout en l’encourageant et en créant un nouveau MacCarthisme de pure intimidation et de terrorisme intellectuel où l’obéissance au régime d’Israël est le test décisif de loyauté, le lobby israélien s’aliène encore davantage le courant libéral et va perdre le leadership des USA, comme le comprend bien l’ancien chef israélien du Mossad, Shabtai Shavit.
Ainsi, l’intimidant lobby israélien va peut-être écorcher la mère de tous ses objectifs et se diriger vers une accélération de l’érosion du bouclier d’Israël de complicité avec les USA et au-delà.
Vous dites que la ligne de défense d’Israël la plus dure est le congrès, mais la candidate à la présidence Hilary Clinton a récemment promis au méga donateur Haïm Saban d’aider à combattre les boycotts. Quelles ramifications voyez-vous alors que BDS devient un sujet dans la compétition présidentielle à venir ?
Le Mouvement BDS a 10 ans : interview d'Omar Barghouti
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