Le débat sur l’immigration en France véhicule beaucoup de fantasmes. Une idée bien ancrée dans les esprits voudrait que de plus en plus d’immigrés arrivent chez nous, aient du mal à s’intégrer et gangrènent les finances du pays. Pour démêler le vrai du faux, la réalisatrice Martine Delumeau est partie à la rencontre de plusieurs primo-arrivants, d’origines et de catégories sociales différentes, qui cherchent à s’installer ou à poursuivre leur vie en France. En les suivant dans leur quotidien, en chiffrant les aides qu’ils perçoivent, mais aussi en mettant en exergue leur contribution économique et culturelle à la collectivité, ce film révèle l’envers du décor et rend compte sans détour d’une réalité inattendue qui pourrait faire bouger les lignes. Yazan, le jeune réfugié syrien, Milli, la consultante péruvienne, Julia, la vendeuse polonaise, Mohamed, le médecin marocain, ou Christian, l’entrepreneur camerounais, reviennent sur les raisons de leur venue en France et donnent à voir une autre image de l’immigration. Plusieurs experts – économistes, démographes, chercheurs, historiens – apportent des précisions essentielles et laissent entrevoir ce que serait la société française sans immigrés.
Entretien avec la réalisatrice Martine Delumeau
Comment est née l’idée de ce film ?
Martine Delumeau : C’est en discutant avec le producteur Michel Welterlin que l’idée de faire un film sur l’immigration légale en France a germé. Le sujet m’intéresse depuis longtemps, puisque, il y a des années, j’ai collaboré à un magazine de France 3 qui s’appelait Premier Service et qui entendait favoriser les échanges entre les différentes composantes de la société. Je suis toujours étonnée de voir que les informations véhiculées dans les médias, les débats télévisés, les interviews des politiques ne correspondent pas aux résultats des études des chercheurs ni à la parole des experts. Les idées reçues sur l’immigration régulière sont nombreuses et bien ancrées dans l’imaginaire collectif. Il y a une fonction sociale des idées reçues, au sens où les propager, les renforcer permet de faire perdurer des formes d’inégalités qui conviennent à une partie de la société française. C’est aussi un moyen de détourner le regard des vraies questions. Quand un politique déclare par exemple qu’il ne faut pas que les immigrés aient accès au RSA à leur arrivée, il sait très bien que ce n’est pas le cas. Mais pendant ce temps il ne parle pas d’autre chose.
Comment avez-vous sélectionné vos témoins ?
M. D. : Nous souhaitions avoir un panel d’immigrés originaires de pays différents et de catégories sociales diverses. Mon seul regret est de ne pas avoir pu recueillir le témoignage d’un Asiatique. J’ai été aidée dans mes recherches par une journaliste enquêtrice. J’ai rencontré toutes sortes de personnes dans des associations, par le bouche à oreille. Finalement, ceux qui s’expriment dans le film sont ceux qui avaient vraiment envie de raconter leur vie, leur parcours, qui avaient un message à faire passer.
Le film n’aborde pas la question de l’immigration clandestine. Pourquoi ?
M. D. : La question de l’immigration illégale est un autre sujet et il est extrêmement vaste. On peut parler de tout, mais en 52 minutes, si on le fait, on finit par ne parler de rien. Ce serait d’ailleurs très intéressant d’essayer de savoir dans quelle mesure les immigrés en situation irrégulière – ceux que l’on recrute sur les parkings ou pour faire les vendanges – participent à l’économie, mais ce serait un autre film. J’aurai peut-être l’occasion de me pencher sur le sujet… Mais, majoritairement, ceux qui sont en France ont le droit d’y être. Parlons déjà de cette majorité que l’on n’entend pas ou peu ; de ceux qui sont là, qui travaillent, qui essayent de s’intégrer, d’apprendre la langue.
Quelle était votre intention en réalisant ce film ? Quel message avez-vous voulu faire passer ?
M. D. : Il fallait montrer un autre visage des immigrés. Surprendre un peu le téléspectateur dans sa vision de l’immigré « forcément » pauvre, dépendant des aides sociales. Certes, la plupart des immigrés en France ont un niveau de vie plus bas que les natifs. Mais donner à voir un médecin, un chef d’entreprise, une vendeuse dans une boutique de prêt à porter de luxe, une cadre bouscule les idées reçues.
Documentaire
Durée 52’
Auteurs Martine Delumeau et Michel Welterlin
Réalisation Martine Delumeau
Production Intuition Films & Docs, avec la participation de France Télévisions
Année 2015
SOURCE / FRANCE 5