La mer vue par le peintre Renaud Jobin : une histoire de regard

Premier jour de peinture - détail Les Sablettes

Premier jour de peinture – détail Les Sablettes

 

Quand un peintre rencontre la mer et qu’il s’obstine à la peindre tous les jours jusqu’au complet dépouillement, cela donne une peinture où l’effort de réalisme mène à l’abstraction.

J’ai interrogé Renaud Jobin sur son travail autour de la mer et ses réponses sont surprenantes.

 

Marie Kern : Renaud Jobin bonjour, lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois sur la plage tu peignais la mer.

Renaud Jobin : Bonjour Marie Kern . Oui effectivement je peignais la mer. J’ai peint la plage de Mar vivo une année durant, tous les jours, je voulais me rapprocher du réel, dépouiller mon regard de toute superficialité. C’est paradoxal, le résultat semble abstrait, très éloigné de la réalité avec cet espace bleu entouré de jaune paille, un chapeau de ciel posé comme en équilibre. Tout le monde me l’a fait remarquer et pourtant c’est le réel, au plus près, sans fioriture, sans marque de subjectivité.

En cours d'année, la représentation se modifie

En cours d’année, la représentation se modifie

Jusqu'à l'abstraction

Jusqu’à l’abstraction

 

MK : On est dans le conceptuel ici, même si ta peinture n’est pas conceptuelle, ton intention picturale relève du concept, celui de l’épuration. C’est une histoire aussi, celle du regard.

RJ : Oui Marie, c’est une histoire de regard. Au départ je suis – du verbe suivre je précise – un effet, une impression, et je remonte la source jusqu’à comprendre l’image dans son essence. Est-ce que je me fais bien comprendre ?

MK : C’est un peu flou Renaud, une impression… remonter la source… l’image dans son essence… pardonne moi, j’ai un peu de mal à suivre…

RJ : C’est simple en fait. L’histoire de la peinture c’est l’histoire de la représentation. A la Renaissance la perspective apparaît. De là vient toute l’histoire de l’image « moderne » si je puis dire. Sans la perspective l’image n’était qu’une « imagination ». Avec la perspective on entre dans la réalité. S’ensuit la philosophie, les sciences, la littérature… tout ce qui accompagne la recherche de la compréhension du réel. Les peintres ont toujours cherché à s’approcher au plus près du réel. Matisse disait qu’il avait passé sa vie à apprendre à peindre comme un enfant. La réalité – c’est à dire l’ensemble de ce qui est réel – c’est objectif. En admettant qu’un peintre puisse être objectif, c’est tout au moins ce vers quoi il veut tendre, l’objectivité. Tu comprends mieux Marie ?

MK : C’est très paradoxal quand même, aucun peintre n’est objectif. Aucun n’a le même geste face à la réalité.

RJ : Parce qu’aucun peintre n’est le même alors son regard, sa quête vers l’objectivité, sont différents. Mais chacun essaie, à sa manière, de capter l’essence de la réalité. Je parle de la peinture figurative bien sûr. La peinture contemporaine n’obéit pas aux mêmes principes. La peinture contemporaine décompose au lieu de composer. Je suis d’obédience classique.

MK : Très bien Renaud, j’ai compris. Mais dis moi, pourquoi la mer ?

RJ : Parce c’est beau et que j’aime la beauté. Et puis la mer c’est symbolique. La mer c’est la mère, l’Odyssée, Homère, l’histoire de la vie, la mer m’inspire énormément, tout comme l’eau d’ailleurs. J’aime les mouvements de l’eau oui, je suis attiré visuellement par l’eau. Ses reflets, ses gestes, ses transparences, ses nuances, l’eau vit intensément.

MK : Et le ciel alors ?

Détail ciel - milieu d'année

Détail ciel – milieu d’année

Ciel en fin de saison

Ciel en fin de saison

 

RJ : Ceux qui regardent ma peinture me disent que c’est étrange, on a l’impression que le ciel se referme parce que je passe d’un détail à la représentation de toute la hanse de la mer dans le même format. Pourtant c’est le contraire très exactement. Le ciel s’ouvre, les mouvements s’étirent, c’est paradoxal mais toute ma peinture est paradoxale. On est trop dans des codes. Il faut en sortir. C’est le leitmotiv de ma peinture, sortir des codes. L’abstraction c’est peut-être le comble du réalisme en fait. Quand plus rien ne mystifie le réel. Le ciel se vide, il n’est plus qu’un espace, abstrait, confronté à un autre espace, celui de la mer.

MK : Toutes ces réflexions sur ton art, c’est un peu comme une introspection. Est-ce que cela te fait progresser ? Je suppose que oui.

RJ : Bien sûr Marie ! J’ai plein de nouvelles idées, de nouvelles envies. M’interroger sur mon art c’est une façon de le comprendre encore plus et puis de le dépasser. Il faut sortir du convenu pour parvenir à s’effacer derrière l’extrême beauté de la réalité.

MK : Merci Renaud de m’avoir accordé quelques minutes pour cet entretien. Un mot pour la fin ?

RJ : Maintenant je vais peindre… la mer, pour la comprendre encore et toujours mieux. Aller plus loin… mettre en espace le ciel et la terre face à face.

MK : Rendez-vous dans un an ?

RJ : L’espace n’a pas de temps. Je n’en sais strictement rien. Bon vent Marie.

Jour de pluie

Jour de pluie

Entretien Marie Kern/ Renaud Jobin 1er octobre 2016

 

 
SOURCE/ MARIE-KERN-AUTEUR.COM
Tag(s) : #arts
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