Une question de temps, Samuel W. Gailey, chez Gallmeister

Il y a deux rentrées littéraires par an, certes celle de septembre demeure la plus importante, mais celle de janvier nous offre actuellement quelques belles surprises, en particulier la sortie du deuxième roman de Samuel W. Gailey, chez Gallmeister : Une question de temps.

 

 

Parfois dans nos premières années, un événement dramatique peut conditionner toute la suite de notre vie. Sans doute injuste, mais difficile d'y échapper. C'est le cas pour le personnage central de ce roman, Alice. Dès les premières pages de Une question de temps, la mort rode autour de cette jeune fille de quatorze ans en 2005. Une mort accidentelle, certes, mais une mort qui détruit la vie des survivants. Le récit va ainsi osciller entre 2005 et 2011 où Alice a vingt et un ans. Vivante, mais détruite. Sa vie est une longue errance, de bar en bar, dans des villes paumées et anonymes. L'alcool pour seul compagnon. En quelques années, son casier judiciaire s'est bien étoffé, sans pour autant diminuer sa culpabilité. Presque la routine, quand Alice se réveille d'un sommeil agité... Sauf que ce matin-là, à ses côtés, un inconnu est mort, avec en prime, une très grosse prime, un sac bourré de drogue et d'argent.

 

Prends l'oseille et tire-toi, aurait dit Woody Allen. Alice prend donc la fuite, sans bien comprendre comment ce type est mort, et sans se poser la question du propriétaire du magot. Dès lors va débuter, une poursuite, assez classique, entre Alice et les méchants. Au-delà de cette trame qui pourrait faire penser à quelques bons polars à tous ceux qui en lisent souvent, il s'agit en réalité d'un magnifique portrait de femme, comme il est rare d'en lire. Avec une grande habileté, Samuel W. Gailey, construit son roman en flash-back. L'accident et ses suites immédiates, et six ans plus tard, la dérive alcoolisée d'Alice poursuivie par les propriétaires du fric. Une mécanique implacable qui permet au lecteur, à la fois, de se plonger sans le moindre temps mort dans l'action, mais aussi, et on pourrait dire, surtout, de s'attacher à Alice. Une sorte de long et émouvant portrait d'une jeune femme en dérive. A noter que sort en format poche le premier roman de Samuel W. Gailey : Deep winter.

 

 

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Une question de temps

Samuel W. Gailey

Traduit de l'américain par Laura Derajinski

Éditions Gallmeister

Collection Americana

2018 / 336 p / 21,30 euros

 

Site de l'éditeur

Site de l'auteur

 

 

EXTRAIT :

Superman

Septembre 2005

 

Ka-plonk. Ka-plonk. Ka-plonk. Malgré le martèlement régulier de la pluie sur les bardeaux au-dessus d’elle, Alice entendait à travers la maison l’écho sourd qui montait de quelque part, à l’étage du dessous. Les tambourinements ressemblaient à ceux de Jason, sans doute allongé sur le dos à frapper les murs avec ses Keds, en proie à un accès de colère ou s’imaginant faire du karaté. L’un ou l’autre, peu importait – il faisait son sale gosse. À quatre ans, Alice ne s’en serait jamais tirée à si bon compte avec ce genre de comportement, elle. Pas qu’elle ait été un ange non plus, mais si elle s’était avisée de piquer un caprice pareil, elle aurait été mise au coin ou elle se serait pris une bonne fessée. Jason, lui, s’en tirait toujours avec ses crises de colère. Petit Jason, le bébé miracle.

Après sa naissance à elle, le docteur avait prévenu la mère d’Alice qu’elle ne pourrait plus jamais enfanter. Les lésions graves subies par son utérus suite à l’accouchement difficile laissaient à penser qu’une autre grossesse serait impossible. Ses parents avaient fini par accepter de n’avoir qu’une fille unique, concentrant la totalité de leur amour et de leur énergie et de leur attention sur Alice, dix années durant. Et soudain, l’impossible s’était produit – sa mère était tombée enceinte.

Ka-plonk. Ka-plonk. Ka-plonk.

Les martèlements résonnaient depuis un moment – un bruit continu et presque provocant – et Alice en conclut que son petit frère faisait un caprice. Il avait trouvé ses flacons de vernis à ongles un peu plus tôt et avait décidé de décorer le papier peint de sa sœur de gribouillis couleur rouge pomme d’amour. Un Jason Pollock, voilà l’expression qu’employaient ses parents. Que ce soit aux pastels ou au stylo, sur les murs ou le plan de travail, les œuvres de Jason étaient invariablement mignonnes ou impressionnantes aux yeux de ses parents. Oh, regardez le chef-d’œuvre de Jason, disait sa mère, mains sur les hanches, hochant la tête et souriant comme si ces gribouillages étaient la plus belle chose du monde. Ce sera un artiste quand il sera grand. Un peintre. Un créatif, j’en suis certaine.

 

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