L'«an zéro» de l'écologie macroniste?
Du 30 août au 1er septembre se tiendra, à Guéret, un festival «écolo» de masse intitulé «l'An zéro». De nombreuses organisations écologistes, paysannes et des collectifs de gilets jaunes dont Solidarités paysans considèrent que ce festival participe au «verdissement illusoire du macronisme».

Du 30 août au 1er septembre devait se tenir à Gentioux-Pigerolles (Creuse), sur le plateau de Millevaches, un festival « écolo » de masse. Il y était accueilli par un entrepreneur agricole connu pour ses prises de position macronistes, et pour avoir déjà plusieurs fois reçu François de Rugy sur son exploitation. Face à l’opposition d'une partie des habitants, les promoteurs de l’événement, intitulé « l’An zéro », ont décidé qu’il n’aurait finalement pas lieu là, mais plutôt sur un aérodrome sécurisé près de Guéret. Mais la question posée alors demeure : malgré son allure bon enfant et ses bénévoles sincères, ce festival ne participe-t-il en réalité pas de la manœuvre actuelle de verdissement illusoire du macronisme ?

Il est certain que plusieurs personnes, parfois engagées de longue date dans les luttes écologistes, ont répondu à l’invitation de « l’An zéro » sans en connaître les tenants et aboutissants. Mais comment tenir pour insignifiantes les activités des initiateurs et des partenaires de cet événement ? Derrière ses slogans vagues voire douteux (constituer un « nous des acteurs de la transition » afin de « relever ensemble les défis démocratiques, écologiques et sociaux », former des candidats « citoyens » pour les prochaines élections municipales, créer des « start-up à impact positif » et des « solutions innovantes »...), l'intention des organisateurs est bien de promouvoir une écologie consensuelle qui désarme toute conflictualité et invisibilise les responsables du désastre en cours. C'est pour cela qu'il faut selon eux faire « converger » tout le monde ou presque dans un consensus amnésique : « mouvements de citoyens, d’entrepreneurs sociaux et ESS, associations, collectifs d’artistes, agriculteurs, investisseurs, élus, bénévoles, étudiants ...».

Le projet est porté par La Bascule, un « lobby national citoyen » animé par Maxime de Rostolan, dont les ONG et start-up (notamment « fermes d’avenir » [2]) ont pour sponsors et partenaires des multinationales aussi écologiques que Fleury-Michon, Casino et Metro (groupes de distribution agro-alimentaire bien connus pour leur soutien à la cause de l’écologie), BPCE (4e banque française pour ses investissement dans l’énergie sale du charbon) ou encore Jardiland (filiale depuis 2018 du groupe groupe InVivo, organe du productivisme agricole à la française).

Ce qui se profile derrière le projet en apparence « associatif » et sympathique de Fermes d'avenir est en réalité inquiétant : sous couvert d'économie sociale et solidaire et de « permaculture intensive », il s'agit bien de réenchâsser – avec « managers d'exploitations », « salariés » et « rentabilité » à la clé – des alternatives écologiques qui existent et se fédèrent déjà (organisations agro-écologiques, Confédération paysanne, AMAP, Terre de liens, ZAD, etc.), dans l'économie de marché – ce qui explique l'intérêt de grandes entreprises de l'agro-industrie pour ce type de projet.

Resituons l'initiative de « l’An zéro » dans notre contexte politique. Les désastres climatiques et écologiques de cinq siècles de colonisation de la Terre par le capitalisme et les impasses de notre système politique verrouillé se révèlent chaque jour plus dramatiques (canicules, extinctions , inégalités, répression des revendications sociales et climatiques). Dans ce contexte d’effondrement, ce qui inquiète nos dirigeants est que le peuple, la jeunesse, le mouvement climat, comprenant que le pouvoir actuel est au service du seul monde de l’économie, passent à des modes d’action de plus en plus désobéissants et radicaux

Face à ce danger, certains cherchent à faire émerger un « mouvement » de transition qui rende « l'écologie » compatible avec l'essentiel de l’ordre économique et politique actuel. L’opération vise à capturer un vivier électoral sincèrement « écolo », tout en restant durablement inoffensif pour les intérêts et pouvoirs économiques qui polluent et détruisent la planète.

Comment éviter que tout « transitionne » en rond, sans que rien ne change vraiment ? Il est désormais évident que le maintien du productivisme, du niveau d’inégalité régnant aujourd’hui et du commerce mondial libre-échangiste, ne sont tout simplement pas compatibles avec celui de la vie humaine et non-humaine sur terre. Avec leur mot d’ordre « tout commence maintenant », les initiateurs du festival « l’An zéro » semblent orchestrer la confusion pour mieux nous faire oublier qui sont les responsables du désastre en marche.

On s'interroge devant le rôle trouble joué dans les derniers mois par certains acteurs de ce festival, comme ces visiteurs du soir de l’Élysée et des ministères avec leur « assemblée de citoyens tirés au sort afin de faire des propositions sur la transition écologique », qui auront bien aidé Emmanuel Macron à sortir de la crise des gilets jaunes. Face à la légitime colère des gilets jaunes, ces « gilets citoyens » se sont mis au service d'un pouvoir qui dans le même temps méprisait, insultait et mutilait dans la chair sa propre population. Macron, largement isolé politiquement, aura trouvé ainsi une nouvelle manière de rebondir.

Que penser encore de la convergence de visée et de langage entre La Bascule (qui affirme vouloir susciter des listes « citoyennes » aux municipales) et les députés LREM qui ont récemment signé dans Le Monde une tribune intitulée « L’écologie est au coeur de l’acte II du quinquennat » ? Et comment ne pas s'interroger aussi quand Maxime de Rostolan présente son « An zéro » dans ces termes : « Il y aura plusieurs villages thématiques avec de nombreux intervenants. Des entreprises par exemple, mais aussi des philosophes, des débats, des conférences. On veut aussi mettre en place de nombreux ateliers de réobéissance civile (...) ».

Dans les prochaines semaines, pour « transitionner » au-delà du désastre capitaliste, allons faire du woofing chez des paysan·ne·s hors des normes de l'agro-business, allons nous former à la désobéissance au camp climat de Kingersheim, lutter à Bure pour soutenir ceux qui résistent à l'enfouissement des déchets nucléaires, à Ende Gelände en Allemagne contre le charbon, au Contre-G7 ou aux actions d’Extinction Rebellion, soutenons les luttes contre l’extractivisme et contre les grands projets, accueillons les migrants !

Faisons un rêve  : et si les invité·e·s du festival décidaient de ne pas se laisser duper par une écologie cooptée par le macronisme et les pouvoirs économiques destructeurs de la Terre ? Et si les nouveaux militants et nouvelles arrivantes dans les mobilisations transition/climat n’accordaient leur énergie qu’à des initiatives basées sur un choix clair et franc de non-coopération avec l’actuel gouvernement comme avec toute entité économique qui participe à la destruction de la vie sur Terre ?

Et si les leaders autoproclamé·e·s de l’écologie clarifiaient leur position ? Dans l’état actuel de la Terre et des sociétés, et après les échecs d'une écologie d'accompagnement de l'ordre politique et économique existant, il ne devrait plus être possible de se dire « écolo » tout en étant financé par une entité du type de Veolia, investisseur mondial dans les centrales à charbon et dans les entreprises d’extraction .

 

Premiers signataires :

Accueil Paysan ;

Ambazada, ZAD Notre Dame des Landes ;

Arrêt du Nucléaire Hérault (ADN34) ;

Assemblée de lutte du Marais, Caen ;

L'Atelier Paysan ;

Cerveaux non disponibles, média coopératif ;

Collectif Gilets Jaunes « Enseignement Recherche » ;

Collectif « Plein le dos ». Pour une mémoire populaire. Toulouse ;

Comité Adama ;

Désobéissance Ecolo Paris ;

Désobéissance écolo Rennes ;

Des rebelles d'Extinction Rebellion, Bordeaux ;

Extinction Rebellion Paca (Provence-Alpes-Côte d'Azur) ;

FADEAR (Fédération des Associations pour le Développement de l'Emploi Agricole et Rural) ;

Fondation Sciences Citoyennes ;

Génération Climat, Bruxelles ;

Gilles Jaunes Rungis, Ile de France ;

Gilets Jaunes Place des Fêtes, Paris ;

Institut Momentum ;

Kachinas, Laboratoire d'écologie politique, Liège ;

Laboratoire d’Imagination Insurrectionnelle ;

MIRAMAP (Fédération des AMAP) ;

Naturalistes en lutte ;

Observatoire du nucléaire ;

Rennes en lutte pour l'environnement ;

RISOMES (Réseau d'Initiatives Solidaires, Mutuelles et Ecologiques) ;

Sources et rivières du Limousin ;

Stop nucléaire 26-07 ;

Solidarités Paysans ;

Terre de Liens ;

Les Terrestres ;

Union Syndicale Solidaires...

 

 
(1) Voir Léo Coutellec, « Ils ont 20 ans pour sauver le capitalisme » et « Maxime de Rostolan, l’entrepreneur vert ».


(2) « Les élections municipales constituent une opportunité formidable : il s’agit de faire souffler un vent nouveau pour accélérer la transition écologique, pour tous et par tous. Notre mouvement s’attache à travailler en lien avec les experts issus de la société civile et les citoyens qui s’engagent à déployer des solutions concrètes en faveur du développement durable ».

 

 

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SOURCE / MEDIAPART

Tag(s) : #actualités, #environnement
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