KEMPF Hervé

Copenhague Envoyé spécial du Monde

C’est une première : les discussions sur le climat au sein de l’Organisation des Nations unies sont remises en cause par une part croissante du mouvement social. Deux coalitions d’associations, Climate Justice Now et Climate Justice Action, critiquent le contenu des négociations en cours au sommet de Copenhague. Elles préparent des manifestations dans la capitale danoise samedi 12 décembre, mais aussi mercredi 16 décembre, jour où les chefs d’Etat - une centaine sont attendus - commenceront à arriver. Depuis 1992, les associations écologistes, très impliquées dans la diplomatie climatique, avaient cherché à peser de l’intérieur.

Pour prendre la température de la contestation, il faut se rendre au Klimaforum, où se tient le « sommet populaire du climat » organisé dans un centre sportif, à proximité de la gare de Copenhague mais très loin du centre de conférences où se déroulent les négociations.

« Le but de Klimaforum est de réunir des gens du monde entier, et pas seulement des experts et des politiques, afin de porter les valeurs de l’écologie et de la justice sociale », dit Niels Fastrup, porte-parole du forum. Depuis l’ouverture du sommet, lundi 7 décembre, la réunion s’est transformée en contestation du contenu, voire de la logique même des négociations onusiennes. Nombre d’ONG se sont ainsi unies dans le réseau Climate Justice Now, intégrant des mouvements tels que Via Campesina, Attac, International Forum on Globalisation, Third World Network - des associations centrées sur les questions sociales et la solidarité internationale plus que sur l’écologie.

« Climate Justice Now s’est formé lors de la conférence de Bali, en décembre 2007, dit Dorothy Grace Guerrero, des Philippines, porte-parole. Le but est de faire entendre la voix du peuple. Les paysans ont leur mot à dire, les indigènes, les femmes, les pêcheurs : il n’est pas seulement question d’environnement dans ces discussions. Le climat concerne aussi le mode de vie, l’existence des peuples à travers le monde. » Climate Justice Now veut placer la question de la justice sociale au cœur des débats, et critique la place de plus en plus grande qu’y prend le marché du carbone.

Une autre coalition, Climate Justice Action, a un discours plus radical. Elle a tenu un atelier lundi 7 décembre, au Klimaforum, sous le titre « S’attaquer au capitalisme et au changement climatique », organisé par les animateurs anglais des « Camps action climat ». Moyenne d’âge des participants : 25 ans environ. Pour eux, le système économique est indissociable du changement climatique, il en est la cause, et il faut donc en changer. « La crise écologique résulte du besoin du capitalisme pour une croissance illimitée, dit Tadzio Mueller, venu d’Allemagne. Mais on n’a pas besoin de dire qu’on est contre le capitalisme ; il y a un argument très simple, que tout le monde comprend : la croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini. »

Climate Justice Action prône ainsi l’arrêt de l’exploitation de nouvelles ressources fossiles ; la sortie de la logique de développement sans fin du commerce international ; la décentralisation et la « socialisation » de la production d’énergie et la reconnaissance de la dette écologique du Nord envers le Sud.

« Sur le fond, il n’y a pas de différence entre les deux coalitions, dit Geneviève Azam, d’Attac. C’est plutôt sur les formes d’actions que nous n’avons pas la même approche. L’ONU n’est ni l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ni le G8, et nous demandons un accord - contraignant dont les engagements ne s’appuient pas sur les marchés carbone - dans le cadre de l’ONU. »

Climate Justice Action refuse les discussions au sein de l’ONU : « Nous sommes absolument sûrs qu’il n’y aura pas un bon accord à Copenhague, dit Tadzio Mueller. Il faut faire du rendez-vous dans la capitale danoise un moment décisif pour le lancement du mouvement social, comme Seattle l’avait été il y a dix ans. »

Quoi qu’il en soit, la remise en cause du capitalisme et le refus du recours aux marchés du carbone sont désormais partie prenante du débat. Au sein du processus officiel de négociations, les ONG écologistes, réunies de longue date au sein du Climate Action Network (CAN), sont déstabilisées. Une fracture se dessine entre celles qui acceptent la logique du marché du carbone et les autres. Le bureau international de Friends of the Earth (les Amis de la Terre) a quitté le CAN en 2007, mais plusieurs groupes nationaux de l’organisation y sont restés. Chez Greenpeace, le malaise grandit : « Pour ce qui est du marché du carbone, dit Karine Gavand, on estime qu’il doit jouer le rôle le plus minime possible. Mais pour l’instant, on est encore à fond dans les négociations. Cependant, cette année, une équipe est en dehors du processus de négociation pour évaluer son résultat. » Greenpeace verra après Copenhague quel camp elle rejoint.

Tout le monde se retrouvera samedi 12 décembre. L’enjeu sera de faire masse, de montrer que « le peuple du monde regarde ce qui se passe », dit Dorothy Grace Guerrero. « On attend de 7 000 à 10 000 personnes par jour à la fin de la semaine », annonce Niels Fastrup. Des trains de militants doivent arriver d’Angleterre, de Belgique et de France. Il faut aussi que la police laisse passer les cars à la frontière entre l’Allemagne et le Danemark.

D’ici là, Climate Justice Action a décidé de lancer des actions tous les jours, jusqu’au 16 décembre, date-clé où elle veut perturber le sommet. La négociation climatique n’est décidément pas un long fleuve tranquille.

 

Source :  Le Monde : Hervé Kempf le 10/12/09


Tag(s) : #environnement
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