Dépassé, le maire planque les algues vertes sous la pinède

Une crique de la côte bretonne où le nettoyage des algues est impossible (Anne-Kristell Jouan)

 

 

(De Telgruc-sur-Mer, Finistère) La petite ville de plus de 2 300 habitants surplombe la mer. Les bas-côtés des routes sont bien entretenus et les champs d'orge accueillent de rares coquelicots. Mais fin mai, sur le sentier des douaniers, qui traverse la longue plage de Trez-Bellec, la crique de Trez-Bihan et sa pinède, le randonneur se pince le nez.

Au détour du sentier, une tranchée de 200 mètres de long et de 3 mètres de large transperce le bois pour déboucher sur une clairière. A l'abri des regards, 160 mètres cubes d'algues vertes s'y décomposent. Rapidement, les sentinelles de l'association Baie de Douarnenez Environnement réagissent, et dénoncent le scandale sanitaire et écologique.

Depuis le début de la saison, pour des raisons sanitaires et touristiques, le préfet a donné l'ordre de ramasser les algues dans les 24 heures qui suivent leur arrivée sur les plages. Mais la nature prend le maire et le village de court.

A Telgruc, les algues vertes ont deux mois d'avance

Quand Jean-Marc Richard, maire de Telgruc-sur-Mer, raconte son histoire, l'émotion gagne son visage :

« J'ai toujours vécu à Telgruc, j'ai voulu être maire car j'aime cette presqu'île magnifique et je souhaitais apporter quelque chose de bien au village. »

Depuis le début de son mandat, en 2008, c'est la première fois que les algues vertes atteignent sa commune.

« Elles sont arrivées avec deux mois d'avance, à cause du fort ensoleillement et des températures clémentes. »

N'ayant pas d'autorisation d'accès à la station de traitement la plus proche, il aurait fallu faire comme au bon vieux temps, avant que les algues ne posent problème au niveau sanitaire. Soit « les stocker sur les terres agricoles en attendant que les exploitants en aient besoin pour les épandre », explique le maire.

Le chemin qui menait au stock d'algues vertes dissimulé dans la pinède (Anne-Kristell Jouan)

D'après les nouvelles lois, les algues doivent être épandues dans les trente-six heures après leur échouage. Il fallait donc réagir vite. Mais à cette époque de l'année, les agriculteurs n'ont pas de terres libres pour accueillir les algues. Il faut attendre la moisson de l'orge.

Jean-Marc Richard sait que la décision de les entreposer avec candeur sur un terrain communal va lui être reprochée :

« C'était illégal, mais je n'avais pas d'autres solutions et il fallait que ça bouge. Mon acte était calculé. »

Le maire de Telgruc est globalement satisfait de l'aide de l'Etat – « Ils vont financer une nouvelle station de traitement des algues en presqu'île de Crozon » – mais appelle à l'aide les scientifiques :

« C'est à eux de trouver des solutions pour faire quelque chose de ces algues. »

De leur côté, les scientifiques accusent les nitrates et les phosphates d'encourager la croissance et le développement des algues. Or, ces sels nutritifs proviennent essentiellement des exploitations agricoles intensives.

Un taux anormalement élevé de nitrate

Campagne d'affichage des éleveurs de porc bretonMalgré les efforts des agriculteurs de la commune, le taux de nitrates enregistré dans les cours d'eau s'élève encore à 22 mg/L, soit le double de celui préconisé par les scientifiques pour venir à bout des algues vertes.

Dans le bourg de Telgruc-sur-Mer, la campagne des éleveurs bretons est fièrement affichée en 4x3 :

« Il grogne, il pète et pourtant grâce à lui, vous mangez sain, sûr, bon et breton ! »

Normal, sur les 120 exploitations des années 1960, il n'en reste que 24 à Telgruc, toutes productions confondues. Avec une population vieillissante, « c'est la seule source d'emploi que trouvent les jeunes pour rester » insiste le maire.

Un tracteur dans le bourg de Peldruc (Anne-Kristell Jouan)

La Bretagne est le joyau rural français – à titre d'exemple, elle produit 60% des porcs nationaux – et l'Etat entend bien le préserver par des mesures paradoxales et furtives. Ainsi, le ministère de l'Ecologie propose un nouveau programme d'actions relatif à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole.

Consultables en ligne jusqu'au 24 juin, les projets de décrets affolent l'association Eau et rivières de Bretagne. D'après eux, les propositions sont aberrantes. Il est prévu :

  • de relever le plafond d'épandage d'azote, ce qui entraînerait une augmentation de 20% à 40% des quantités jusqu'ici autorisées
  • de modifier les normes d'excrétion d'azote pour les vaches laitières selon un système qui favoriserait les élevages intensifs nourris au maïs

Ceci pénaliserait alors les exploitations herbagères, pourtant reconnues pour limiter les fuites d'azote.

La politique française : limiter les dégâts en aval

Autrement dit, la France n'est pas prête de traiter le problème en amont et préfère chercher à limiter les dégâts en aval. A ce jour, Jean-Marc Richard s'est débarrassé de ses algues vers une station de traitement qui a pu les accueillir et pense que c'est à chacun de prendre ses responsabilités :

« Si nous faisions tous un effort pour acheter nos denrées alimentaires à leur juste prix, alors les exploitants agricoles pourraient réfléchir à un autre mode de production. »

En attendant, certaines communes voisines s'endettent. D'autres ferment leurs plages par manque de moyens pour éradiquer les algues vertes.

La plage de Trez-Bellec, nettoyée à chaque arrivée d'algues vertes (Anne-Kristell Jouan)

Photos : une crique de la côte bretonne où le nettoyage des algues est impossible ; le chemin qui menait au stock d'algues vertes dissimulé dans la pinède ; la plage de Trez-Bellec, nettoyée à chaque arrivée d'algues vertes ; un tracteur dans le bourg de Peldruc (Anne-Kristell Jouan).

Tag(s) : #environnement
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :