Gatignon: «dépénalisons le cannabis et décriminalisons les autres drogues»
TCHAT / Libération

 

 

Le maire écologiste de Sevran réclame la présence de l'armée dans certains secteurs de sa ville en raison d'échanges de tirs entre les dealers. Auteur de «Pour en finir avec les dealers» (Grasset), il a répondu à vos questions.


 

 

Arnaud. Quand vous dites qu’il faut légaliser les drogues pour lutter contre les trafics, cela inclut-il les drogues dures comme l’héroïne et le crack ?
Stéphane Gatignon. Je pense qu'aujourd'hui, comme le dit le rapport de l'ONU, la légalisation porte sur le cannabis. Par contre, je suis pour décriminaliser les autres drogues. On a vu qu'au Portugal la dépénalisation de l'ensemble des drogues fait qu'il y a un meilleur soutien aux gens qui consomment des drogues. On les considère plus comme des gens malades à aider que comme des criminels.

Pierre. Pour maintenir la sécurité dans certains quartiers ne vaudrait-il pas mieux, plutôt que l'armée, remettre en place des polices de proximité?
Dans le cas précis du quartier à Sevran, on a eu affaire à une «guerre de gangs» qui se tiraient dessus. Il faut avoir une police qui s'interpose, une police qui est là vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le problème c'est que ça fait un mois et demi que j'ai demandé au préfet d'avoir la police vingt-quatre heures sur vingt-quatre à cet endroit-là pour empêcher les tirs.

Hostile. Vous dites que c'est le trafic de drogue qui est à l'origine des problèmes des banlieues, mais ne serait-ce pas plutôt l'absence de perspectives? De quels moyens manquez-vous en tant que maire de Sevran?
Je n'ai jamais dit que les problèmes des banlieues étaient seulement liés au trafic de drogues. Le problème des banlieues est multiple. Une ville comme Sevran, et d'autres villes, ne sont que le laboratoire de la société française de demain. Juste un exemple: aujourd'hui, la métropole parisienne est la plus inégalitaire d'Europe, en terme de répartition de richesse, tant au niveau des individus qu'en terme de collectivité locales. Bien sûr, qu'il faut aborder les questions de l'emploi, de la formation, de l'habitat, de la fiscalité locale, de la culture, du sport. Des questions sur quelle conception, on a de la société de demain?

Pauline. Que pensent les autres maires de votre demande de faire intervenir l'armée dans certains quartiers? Avez-vous échangés avec vos collègues?
Je reprécise, au début j'ai parlé de Casques bleus. Avec l'idée que les Casque bleus que l'on envoie dans le monde sont là comme force d'interposition pour empêcher deux belligérants de se taper dessus. Il y a peu de contact avec les autres élus. Chacun gère sa situation, un peu seul, c'est un des drames des élus en France.

Ingrid. Aves-vous consulté votre ami Nicolas Hulot avant de pousser votre «coup de gueule» public?
 Non, mais j'ai déjà eu avec Nicolas des discussions importantes sur la sortie de la question de la prohibition.

André. Je trouve ces deux propositions tout à fait d'actualité. Il n'est jamais trop tard pour enfin résoudre les problèmes actuels. Dommage que les Français n'aient pas cru cela possible en 2007 comme l'avait préconisé Ségolène Royal dans son programme...
Juste un mot, en parlant de Casques bleus, aujourd'hui, avec une vision de mission de paix, je tiens alerter aussi, sur le fait que dans quatre, cinq ans, si on ne change pas la politique de prohibition, des groupes de l'armée seront envoyés dans certaines zones pour contrecarrer le trafic. On ne sera plus dans une vision de paix, mais dans une vision d'intervention.

Djavo07. Un élu de gauche qui fait appel à l'armée, ça fait un peu tache, vous ne trouvez pas?
 J'ai parlé des Casques bleus, et je parle depuis longtemps de forces d'interposition. Je regrette d'être obligé d'avoir eu ces propos pour que les pouvoirs publics prennent conscience de la situation. Je ne veux plus être le maire qui enterre des gens qui sont morts de mort violente liée au trafic. En ce concerne la gauche, je pense que c'est encore plus dramatique les élus qui mettent en place les polices municipales ou la vidéosurveillance.

Curieux. Dans quoi se reconvertiront les malfrats qui perdront le marché de la drogue?
Aujourd'hui, il a 100.000 petits dealers en France qui touchent entre 800 et 1400 euros par mois, qui n'ont pas de sécurité sociale, pas de vacances. Et tous les risques puisque maintenant, ils prennent les coups de feu. C'est un problème économique et sociale, il faut réussir à leur offrir du travail. Sur le milliard d'euros dépensé dans la lutte policière contre les trafics, il y a certainement de l'argent pour qu'ils retrouvent un emploi, une vie sociale.

Natan. Pensez-vous que la légalisation entraînera une augmentation de la consommation de cannabis?
 Non. Le Portugal qui a seulement dépénalisé a vu sa consommation baisser de moitié en dix ans. Par contre, en légalisant, le produit sera nettement de meilleure qualité qu'il ne l'est aujourd'hui.

Nicolas R. Quelle méthode préconisez-vous pour la légalisation du cannabis? Quel circuit de production-distribution-contrôles envisagez-vous ?
 Il faut réguler à la fois la production en travaillant avec les agriculteurs, autoriser la cannabiculture et des accords internationaux qui permettent des importations de résine de cannabis en provenance de certains pays, qui permettra de contrôler la qualité du produit. Ensuite, pour la distribution on pourrait par exemple dans les années qui viennent, aller au tabac acheter des cigarettes de cannabis. Vous pouvez lire pour plus de détails mon livre Pour en finir avec les dealers (Grasset). Regardez ce qui s'est passé dans les années trente aux Etats-Unis à la fin de la prohibition.

Yffick 56. Maintenant, en tant qu'ex-toxico et ce durant trente ans, je pense que la dépénalisation si elle se fait, doit concerner tous les produits stupéfiants. Mais si l'économie souterraine ne se fait plus sur les stups, elle se fera sur les armes!?
On ne sera jamais dans une société de «zéro problème». L'idée tenue par de nombreux sarkozystes autour du thème de la tolérance zéro est un échec flagrant et intenable. La question de l'argent sale, c'est toute la question du rapport de l'ONU.

Edouard. Faire intervenir l'armée, c'est une mesure extrême, il n'y a, selon vous, plus d'autres solutions? Etes-vous désespéré à ce point?
Je répète, l'idée c'est une vision de Casques bleus. Aujourd'hui, il faut du monde sur le terrain. Du monde pour empêcher tous règlements de compte.

Djavo07. Je connais bien la ville de Sevran. Elle est clairement coupée en deux. D'un côté, la mairie avec ses commerces, son parc et sa gare et puis il y a les autres. Il faudrait peut être ressouder cette ville non?
C'est tout le travail que l'on essaye de mener aujourd'hui. Malheureusement, tout ce que l'on fait en positif avec les habitants est mis à mal par cette question de trafic, de crimes organisés. ll faut bien faire la part des choses entre le trafic et la vie quotidienne des habitants, et entre les problèmes liés au trafic et la question des banlieues, ce sont deux choses bien différentes.

Cham_sevran. J'ai habité vingt-deux ans à Sevran, mes parents y sont toujours... La situation n'a jamais été aussi catastrophique. Les hélicos tournent sans cesse au dessus de la ville qui est souvent en état de siège. Trente ans de communisme derrière nous...
Vous oubliez qu'il y a eu pendant un mandat un maire RPF qui était un bras droit de Charles Pasqua. Si les problèmes n'étaient qu'à Sevran ça serait facile de tout régler.

Nicolas R. Comment comptez-vous crédibiliser le débat aux yeux de Français victimes de l'amalgame cannabis - drogue dure? Pourquoi ne pas proposer un référendum, plutôt que de laisser un candidat à la présidentielle en faire un débat stérile de conquête de voix?
Ce n'est pas une question franco-française, c'est un problème mondial. Aujourd'hui, les lignes bougent à gauche et à droite, et le débat doit toucher toute la classe politique. En même temps, il y a urgence à avancer.

Morbius. Quelles sont les chances que ce débat sur la dépénalisation-légalisation des drogues douces devienne un enjeu de l'élection présidentielle? Les écologistes poseront-ils des conditions à ce sujet quant à leur participation à un futur gouvernement socialiste?
Sur cette question, je ne peux pas vous répondre aujourd'hui. Ce n'est pas une question qui est posée qu'aux écologistes, elles doit être posée à toutes les forces politique du pays, y compris à droite. Pourquoi? Parce que dans la commission mondiale, il y a des économistes proche de Georges Soros qui est un libéral, et d'anciens présidents su- américains qu'on ne peut pas considérer de gauche. C'est une question qui dépasse largement les enjeux nationaux.

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