« La rigueur n’est pas la condition sine qua non de l’appartenance à l’euro » – Interview d’une députée de Syriza


26 mai 2012
   

Rena Dourou est députée au Parlement grec, responsable des questions européennes, au sein de Synaspismos, la composante principale de Syriza, la coalition de gauche radicale. Son parti, qui a effectué une percée spectaculaire lors des élections législatives du 6 mai en arrivant deuxième (16,75 % des voix), jouera un rôle déterminant lors du scrutin du 17 juin. Opposé aux mesures d’austérité incluses dans l’accord du deuxième prêt international en mars, Syriza dispute la première place à Nouvelle Démocratie (ND, droite).

En cas de victoire, Mme Dourou entend que son parti fasse sortir la Grèce de son rôle de « cobaye de la rigueur en Europe », transformant le peuple grec en modèle de la résistance au capitalisme financier.

 



Claire Gatinois – La Grèce doit-elle rester dans l’Union monétaire ?

Rena Dourou – Un retour à la drachme aurait des conséquences catastrophiques pour notre pays et pour l’Europe en général tout en favorisant les guerres commerciales. Cela dit, nous revendiquons un changement radical de la politique économique et monétaire européenne : la politique de l’euro fort n’a que des conséquences néfastes sur des économies comme la Grèce.

Syriza évoque l’idée d’annuler la dette : peut-on se le permettre ? Dès le début de cette crise inique, Syriza a répété qu’il fallait que le pays se débarrasse du mémorandum menant à la catastrophe la société grecque et la zone euro. Mais nous excluons les décisions unilatérales : nous voulons négocier avec nos partenaires pour tout changer. Nous ne ferons rien qui puisse justifier des sanctions.

Pour autant, nous allons enfin - les gouvernements précédents n’ont pas eu cette audace - remettre sur la table des négociations une politique qui porte l’accent sur l’emploi et la croissance. Nous le ferons au nom du peuple grec, qui, le 6 mai, a envoyé un message très clair : assez de cette politique d’austérité qui désorganise l’économie et est en train de tuer la société. Ce message sera amplifié le 17 juin.

Refuser l’austérité, c’est risquer de quitter la zone euro...

Nous contestons l’équation qui veut que la rigueur soit la condition sine qua non de l’appartenance à l’euro. Sans être contre l’assainissement de nos finances, nous revendiquons de tout renégocier dans une logique bien différente de la politique actuelle.

Mais on se gardera bien de procéder à une action unilatérale qui pourrait se traduire par des sanctions. Même si nous avons noté que le FESF [le fonds européen] n’a transféré, début mai, qu’une tranche de 4,2 milliards d’euros à la Grèce, au lieu de 5,2 milliards prévus, sans que cela soit justifié par les conditions de l’accord...

Le pays souffre de désindustrialisation, quel est votre projet pour relancer l’activité ?

Pour enrayer la désindustrialisation galopante, il faut repartir sur des bases saines, dans le cadre d’une restructuration productive totale de notre économie, en mettant l’accent sur l’esprit d’entreprise public et coopératif. Et cela dans le but d’une croissance durable, loin de la spéculation. Notre logique est différente de celle des gouvernements précédents : elle vise la satisfaction des besoins sociaux.

La Grèce est décriée, notamment du fait d’une lourde bureaucratie imposée aux entrepreneurs. Comment y remédier ?

Vous avez raison, l’écueil de la bureaucratie, créée depuis quarante ans par les deux partis au pouvoir, Pasok (socialistes) et ND, décourage souvent les jeunes entrepreneurs. Nous proposons des mesures concrètes pour aider la création de PME, en facilitant, par exemple, l’accès à des programmes de financement européen ou public et en simplifiant les procédures. Ce qu’il faut, c’est restaurer la confiance entre les jeunes entrepreneurs et l’Etat, sapée par la corruption. Si le jeune entrepreneur sait qu’il n’a pas à verser des pots-de-vin à tout bout de champ, cela changera radicalement le climat économique en faveur des activités saines créatrices d’emploi.

Les Grecs se plaignent du clientélisme : comment rétablir la justice sociale ? Eviter la corruption ?

L’Etat grec moderne a été fondé sur le clientélisme et la corruption par les conservateurs et les socialistes. Pendant quelque quatre décennies, nous avons assisté au développement d’un dispositif étatique éteint tout le dynamisme d’une société qui, juste après la chute de la dictature, aspirait à la justice sociale.

Les responsabilités de ces deux partis sont extrêmement lourdes. Après les résultats des législatives du 6 mai, nous sentons que nous sommes face à un nouveau départ. Nous ne devons pas décevoir les citoyens qui sont en train de se porter vers nous pour mener les réformes nécessaires de l’Etat et du secteur public.

A titre d’exemple, les entreprises publiques, pour servir la restructuration économique que nous prônons, doivent fonctionner sous contrôle social et public, de façon transparente. Ce sont là des gages pour le changement de cap nécessaire.

On entend dire que les syndicats ont eu un rôle dévastateur. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit là d’une petite musique bien connue depuis longtemps. Le rôle principal dans le développement de la bureaucratie, qui mène à la corruption, revient aux deux partis et à leurs représentants qui en ont largement profité.

L’Etat doit-il maigrir ?

L’Etat doit être réformé pour mieux servir les besoins sociaux. Actuellement, on constate des manques criants de personnel dans les hôpitaux ou l’éducation. Dans le même temps, le Mémorandum impose 150 000 suppressions d’emplois dans le secteur public... Ce qu’il nous faut, c’est mieux répartir le personnel vers les services publics. Depuis quarante ans, le Pasok et la ND affectent des gens à des postes dans des bureaux, loin des besoins des gens. Ce favoritisme politique a ruiné les finances publiques.

Que faire pour lutter contre le chômage des jeunes ?

Rejeter le Mémorandum ! La récession provoquée par la politique de rigueur qu’il prône a fait qu’un jeune sur deux est sans boulot. Triste record qui démontre l’échec de cette politique. Ce qu’il faut, ce sont des investissements publics pour créer de l’emploi.

Quel rôle l’Europe devrait jouer pour soutenir la Grèce ?

Surtout pas le rôle de père fouettard ou de donneur de leçons. Elle doit accompagner et assister la Grèce dans son effort de redressement, non seulement financier mais aussi politique.

La société grecque, au lieu de servir de cobaye pour la rigueur en Europe, deviendra ainsi un nouveau paradigme pour les peuples européens : celui de la résistance aux logiques du capitalisme financier, le genre de la résistance prônée par Stéphane Hessel !

Propos recueillis par Claire Gatinois


* LE MONDE | 26.05.2012

Tag(s) : #actualités
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :