Hadopi : un arbitraire made in Sarkozy

LE PLUS. Critiquée de toutes parts pour ses inefficacités multiples, son caractère anti-économique, la Hadopi s’avère aujourd’hui arbitraire dans sa gestion des dossiers des internautes avertis. Jérôme Bourreau-Guggenheim et Renaud Veeckman, co-créateurs de SOS-Hadopi, demandent au législateur qu’une règle précise et applicable à tous soit définie, afin que cesse ce qu’ils estiment être un "fait du prince".

Jérôme Bourreau-Guggenheim / Renaud Veeckman

> Par Jérôme Bourreau-Guggenheim / Renaud Veeckman SOS-Hadopi

Edité par Melissa Bounoua   Auteur parrainé par Boris Manenti

 

 

 


Notre nation, à travers l'action de ses représentants politiques, a depuis des décennies fait preuve d'un manque de vision et d'audace, quand il ne s'est agi de conservatisme. Corollairement à ce refus de modernité, la préservation des intérêts des grands groupes industriels et la concentration économique entre quelques mains n'ont cessé de s'accroître.

 

 

La Hadopi - en tant que structure administrative en charge d'intervenir de façon coercitive sur un secteur économique en pleine mutation - est devenue le symbole de ce conservatisme à la française ; celui de la défense exacerbée du fort contre le faible, celui de l'interventionnisme au dépend de l'innovation. Hadopi est à Internet, ce que le Rafale est à l'aéronautique : une réussite autoproclamée 100% Made in France. Autrement dit un échec annoncé comme une perte de temps préjudiciable pour l'ensemble des Français.

 

Nombreuses sont les critiques formulées à cet égard. On ne compte plus les analyses ayant montré tant son inefficacité à défendre les artistes qu’à faire baisser les téléchargements illégaux. Preuve en est la volonté présidentielle d’extension du domaine de la lutte par la Hadopi au streaming ou au direct download. Inefficacité complète enfin en matière répressive, aucun dossier n’a encore été transmis chez le juge de crainte que celui-ci ne mette en pièce cette "subtile" construction administrativo-juridique.

 

Une fois exposé l’ensemble de ses inefficacités, la Haute Autorité pourrait apparaître comme une fantaisie surréaliste ; une sorte de père Fouettard inoffensif, extrêmement budgétivore, dont la seule vocation serait de faire peur aux pirates. Cette image est en partie portée par la Hadopi elle-même ; préférant faire croire que sa qualité première est pédagogique et non répressive. Mais qui pourrait se satisfaire d’un tel bilan ou de la continuité de ce dispositif ? Certainement pas les ayants droits qui participent à son financement et voudraient un jour le rentabiliser. Certainement pas les artistes-créateurs de contenus qui n’ont rien vu changer. Enfin, certainement pas les internautes qui se voient suspectés d’un délit ubuesque : le délit de négligence caractérisée. Restent donc pour seuls promoteurs : les salariés de la Haute autorité, défendant leur emploi et quelques responsables politiques faisant de cette autorité administrative le fer de lance communicationnel et culturel de leurs prochaines élections présidentielles.

 

Un arbitraire avéré


Il n’en demeure pas moins que la riposte graduée a des incidences sérieuses pour certaines personnes que nous nommerons "les délinquants honnêtes ". L’appellation est intéressante car elle est l’invention de Mireille Imbert-Quaretta, haute magistrate et présidente de Commission de protection des Droits de la Hadopi (CPD), le bras armé de l'Hadopi, autrement dit l’organe en charge de la transmission des dossiers au juge. Celle-ci notait en février qu’un pourcentage significatif des personnes recevant une seconde recommandation n’avait pas conscience d’avoir commis un délit.

 

En effet, notre expertise nous montre de façon probante que les personnes allant le plus loin dans le dispositif de la réponse graduée sont celles ayant la compétence la plus faible en matière informatique. A notre connaissance aucun "pirate" n’a jamais été inquiété par la Hadopi. Les moyens technologiques permettant de la contourner étant si développés que seuls les plus faibles se retrouvent inquiétés et convoqués. A nos yeux, la Hadopi dans son fonctionnement actuel relève donc du trouble à l’ordre public. Le délit de négligence caractérisée s’avère moralement inapplicable.

 

Les cas varient

 

Afin de mettre un peu de chair à ces dossiers, nous pouvons exposer les cas de personnes que nous avons assistées, ou assistons, pour leur convocation devant la CPD. SOS-Hadopi propose une assistance technique et juridique aux internautes inquiétés par la Hadopi. Force est de constater que nous sommes très loin de l'idée du méchant pirate menaçant la survie des industries du spectacle.

 

Tout d’abord, un cheminot retraité se voit averti pour le téléchargement de films qu’il ne connait pas ("L’agence tout risque"). Cependant, fait surprenant, il avoue à la CPD avoir téléchargé des films de son époque ("La bataille du rail"), évidemment non surveillés. La commission lui demande simplement de complexifier son mot de passe de connexion et de passer sa clef de connexion Wifi de Wep à Wpa2. Notons, qu’en tant que retraité SNCF, cette personne habitant en province n’a pas eu à payer son billet de train pour aller faire ses remarques auprès de la Haute Autorité à Paris.

 

Second cas : l’affaire Thollot. Professeur de sciences économiques dans le Forez, il se voit reprocher le téléchargement d’œuvres de Rihanna et de David Guetta. Amateur de musique baroque, le professeur est outré de cette incrimination de "mauvais goût". Après une enquête auprès de son fournisseur d’accès, nous établissons que Robert Thollot n’a rien téléchargé depuis son accès internet personnel mais que ses identifiants de connexion Free Wifi ont été utilisés à son insu. Face à son opiniâtre défense et la médiatisation du cas, la Hadopi fait le choix de venir l’auditionner à Saint-Etienne, créant de facto la jurisprudence Thollot : en cas de convocation, la Hadopi vient à vous.

 

Une règle mise à mal dans notre troisième cas. Celui d’une mère de famille, avec deux enfants à charge, travaillant à son domicile. Sa fille âgée de 20 ans reconnait avoir téléchargé un titre du groupe Muse. Sa mère l’avertit lors de la seconde recommandation. Sa fille tente alors de désinstaller le logiciel de peer to peer. Malheureusement, par manque de connaissances, elle laisse en partie l'application sur son ordinateur portable. Dès lors, à chaque démarrage de l’ordinateur, le programme de partage se lance. Une négligence que tout utilisateur moyen considèrera certainement comme compréhensible mais qui pénalement est répréhensible d'une amende de 1500 € et une coupure de la connexion d'un mois.

 

Une condamnation que nous estimerions disproportionnée au regard du préjudice subi par les ayants droits, soit le téléchargement d'un seul titre ! Plus choquant encore : la position de la Hadopi quant à son déplacement pour interroger les internautes suspectés en province. En effet, celle-ci est revenue sur la "jurisprudence Thollot".

 

Dans le cas de cette mère de famille, ni sa situation financière ni sa situation professionnelle ne lui permettent de se payer un titre de transport pour se présenter à la convocation. Au courrier relatant ses difficultés, la Hadopi a répondu que ses "remarques" avaient été prises en compte et versées au dossier qui serait ultérieurement jugé par la CPD. Sans SOS-Hadopi, sa défense ne pourrait de ce fait s’exprimer que partiellement et par courriers interposés.

 

Force est d'admettre que les décisions de la Hadopi, illustrés de ces trois cas, sont le fait d’une règle arbitraire. Cette non-fixation de la règle par la CPD a été synthétisée à la perfection et de façon sibylline par Mireille Imbert-Quaretta, indiquant à propos de la commission qu'elle préside : "La Hadopi peut ou ne peut pas". En un mot, la CPD est libre de toute décision sans avoir à motiver ses jugements.

 

Hadopi3 : le risque sécuritaire doit être considéré


La volonté affirmée du chef de l'Etat d'étendre le champ d'expérimentation de la Hadopi au streaming et au Direct Download doit être considérée avec la plus grande attention. Il est nécessaire de se poser les questions suivantes. Quels seront les dispositifs de surveillance du réseau utilisés ? Sera-ce le DPI (Deep Packet Inspection), préconisé par les experts de la Hadopi à ses débuts ?

 

Rappelons que certaines entreprises françaises liées à l'armement sont devenus expertes en matière de systèmes d'écoute et d'interception des communications. Elles vendent, avec le soutien avéré et l'assentiment de nos dirigeants, aux pays les plus répressifs de la planète (Iran, Egypte, Libye) des systèmes d’espionnage de masse. La France sera t-elle demain un marché pour ces entreprises ? Après avoir créé les conditions d'une insécurité permanente au profit des industries du spectacle, vivrons-nous demain sous haute-surveillance au nom d'un principe erroné de "civilisation du net" ?

 

Selon nous, Internet n’a pas vocation à être "civilisé" mais il peut être tout-au-plus "régulé". Créé ex nihilo par une multiplicité d’acteurs citoyens, il ne répond à aucune règle autre que celle des usages de ses utilisateurs/créateurs. La transnationalité du réseau lui confère également une spécificité qui ne peut être négligée.

 

C'est pour ses raisons que nous appelons à ce que cesse la criminalisation des pratiques sur internet liées au partage de la culture, première étape avant un contrôle généralisé des flux. A ce titre, le délit de négligence caractérisée doit être supprimé du code pénal. On ne peut, non plus, accepter que la Hadopi s’exonère d’un principe d’égalité entre les citoyens. C’est pour mettre fin à cette situation - que nous estimons grave - que nous avons alerté les Députés et Sénateurs, garants du respect de l’égalité républicaine.

 

>> Voici la lettre que nous leur avons adressé par courriel.

 

 

Source: Nouvel obs

 

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