Deir Yassine est sans doute le massacre le plus connu - mais non le seul, loin de là - commis par les troupes juives, en l’occurrence révisionnistes, à la veille de la guerre de 1948-1949. Le 9 avril 1948, 120 hommes de l’Irgoun et du Lehi donnent l’assaut à un village arabe niché sur une colline, à l’ouest de Jérusalem, et s’en emparent. Spécialistes, depuis les débuts de la guerre civile, du terrorisme anti-arabe, les miliciens de Menahem Begin et d’Itzhak Shamir se livrent à une véritable boucherie : après avoir massacré les familles une à une, ils ratissent le village et abattent les survivants. Au total, quelque 250 personnes sont ainsi assassinées. Les habitants qui en réchappent sont expulsés vers Jérusalem-Est.

Vingt-quatre ans plus tard, dans le quotidien Yediot Aharonot, Meïr Païl, alors colonel de la Haganah, présent en tant qu’officier de liaison, témoignera. « Vers midi, raconte-t-il, la bataille était terminée et les coups de feu avaient cessé. Bien que le calme règnât, le village ne s’était pas encore rendu. Les hommes de l’Irgoun et du Lehi sortirent de leurs cachettes et commencèrent à »nettoyer« les maisons. Ils tiraient sur tous ceux qu’ils voyaient, y compris les femmes et les enfants ; les commandants n’essayèrent pas d’arrêter le massacre (...). J’implorais le commandant d’ordonner à ses hommes de cesser le feu, mais en vain. Au même moment, 25 Arabes avaient été chargés dans un camion (...) on les emmena à la carrière entre Deir Yassine et Givat Shaul, et ils furent assassinés de sang-froid (...). Les commandants refusèrent également, lorsqu’on le leur demanda, de prendre leurs hommes et d’enterrer les 254 cadavres arabes. Cette tâche déplaisante fut assurée par deux unités amenées au village depuis Jérusalem. » Zvi Ankori, qui dirigeait les forces de la Haganah chargées d’occuper ensuite le village, ajoutera dans un témoignage de 1982 : « Je suis entré dans 6-7 maisons. J’ai vu des parties génitales coupées et des ventres de femmes broyés. À voir les traces de balles sur les corps, il s’agissait purement et simplement de meurtres. » Condamnée par l’Agence juive, la Haganah et le Grand rabbinat, l’affaire fait l’objet d’un message d’excuses de David Ben Gourion au roi Abdallah de Transjordanie.

Selon l’historiographie israélienne traditionnelle, il s’agirait d’une « bavure » dont la responsabilité reviendrait exclusivement aux troupes révisionnistes. L’action, il faut le noter, s’inscrit dans l’opération Nahshon, lancée dans la nuit du 31 mars au 1er avril, avec l’aide des armes arrivées de Tchécoslovaquie, pour dégager l’axe Tel Aviv-Jérusalem, où les quartiers juifs sont encerclés par les forces arabes. L’objectif, en ce début avril, est de reprendre aux combattants palestiniens les villages qui dominent la route. Ordre est donné de les détruire en cas de résistance. Au moment où l’Irgoun et le Lehi s’attaquent à Deir Yassine, les unités régulières du Palmah et de la Haganah se battent pour Qastel - le chef Abdel Qader Al Husseini tombe dans ces combats.

Non seulement l’initiative révisionniste est coordonnée avec celles de la Haganah, mais elle a reçu le feu vert - non sans réticence, il est vrai - de son commandement général et bénéficiera d’un appui de son artillerie, comme en témoigne formellement Meïr Païl dans l’article déjà cité. Pour sa part, à l’époque, l’Irgoun soulignera d’ailleurs dans un communiqué que « le Commandement de la Haganah a menti sciemment quand il a affirmé, après l’attaque de Deir Yassine, qu’elle était contraire au » plan général « . La vérité toute nue, c’est que la conquête de Deir Yassine faisait partie de son propre plan. » Un communiqué du Lehi accuse même la Haganah, entrée en possession du village, d’avoir laissé des hommes de Solel Boneh, la compagnie de travaux publics du syndicat Histadrout, le piller systématiquement... Mais les villageois de Deir Yassine n’ont pas seulement péri au nom de la « liberté » de Jérusalem. Ils ont été délibérément sacrifiés pour accélérer, par l’horreur de leur sacrifice, l’exode des Palestiniens.

Le but de guerre de la direction sioniste, c’est de conquérir la proportion la plus grande possible de la Palestine, mais aussi la plus ethniquement pure. Si les « officiels » ne peuvent guère se targuer d’un massacre qu’ils réprouvent, les révisionnistes font fi de ces scrupules. « La conquête de Deir Yassine, explique le communiqué de l’Irgoun, a développé la terreur et l’épouvante parmi les Arabes des villages environnants (...) une fuite panique a commencé qui a facilité la reprise des communications (...) entre la capitale et le reste du pays. » Dans la version hébraïque de ses Mémoires, Menahem Begin, élargit encore le phénomène, qu’il attribue à la « propagande arabe » (sic). Celle-ci, précise-t-il, « répandit une légende de terreur parmi les Arabes et les troupes arabes, qui furent pris de panique lorsque les soldats de l’Irgoun étaient mentionnés. Cette légende valait bien une demi-douzaine de bataillons des forces d’Israël ». Et d’ajouter : « Amenés à croire les contes sauvages sur la »boucherie de l’Irgoun", les Arabes à travers tout le pays furent pris d’une panique illimitée et commencèrent à fuir de leurs villages. Cet exode massif se transforma en une folle débandade, incontrôlable. Des quelque 800 000 Arabes qui vivaient sur le territoire actuel de l’État d’Israël, seuls 160 000 sont encore là. La signification politique et économique de ce développement ne saurait être surestimée "...


Extrait de « 100 portes du Proche-Orient », Alain Gresh et Dominique Vidal, éditions de l’Atelier
Source : www.monde-diplomatique.fr/livre/100...






Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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