Miossec: «Je voulais un album musclé et spontané»

Recueilli par PHILIPPE BROCHEN

Christophe Miossec sort "Chansons ordinaires", son huitième album. - Léa Crespi

 

 

 

 

Le chanteur sort «Chansons ordinaires», son 8e album très rock qu'il défend jusqu'à vendredi au Nouveau casino. Rencontre au long cours, en guise d'apéritif (sans alcool) avant notre chronique du LP qui paraît ce mardi dans «Libé».

 

 

Ce «chansons ordinaires» est votre huitième album depuis vos débuts en 1995 avec «Boire». Quand vous avez commencé il y a seize ans, imaginiez-vous aller aussi loin?

Après le premier disque, c'était assez surréaliste. J'ai tout fait pour aller au crash. On s'est retrouvés à jouer à la Cigale et à l'Olympia comme si on jouait dans un bistrot à Brest. Il y a une forme d'inconscience qui était totale. Quand je me retourne sur ces seize ans, je me dis que ce qui est cool, surtout, c'est d'en être sorti vivant. Car il y avait des moments où le processus de mise en danger est allé un peu loin. On ne sait pas où se trouve le frein à main et le mur est en face ! Du coup, je suis super content d'avoir arrêté l'alcool.

Vous êtes donc toujours au sec, comme Robert Wyatt?

Oui, obligé. Jusqu'à la fin de ma vie. Une neurologue du CHU de Brest m'a découvert une maladie génétique chronique, l'ataxie cérébelleuse, une pathologie neuromusculaire liée au système nerveux qui affecte la marche et l'équilibre. Si j'avais continué à boire de l'alcool, je risquais à court ou moyen terme de me retrouver en chaise roulante. Donc j'ai tout arrêté. Je m'en sors super bien. Je ne suis pas passé loin du peloton d'exécution. Mais attention, hein, je ne joue surtout pas à l'alcoolo repenti!!! Je trouve cette attitude horrible, pathétique! D'ailleurs, j'ai toujours la même méfiance envers les buveurs d'eau ! (il rit)

Est-ce que l'abstinence a changé votre rapport à l'écriture?

Disons que désormais je vais au plus près. L'écriture est même plus jubilatoire. Il faut dire que mes horaires ont complètement changé. Avant, je pensais que l'écriture était liée à la nuit. Là, je me rend compte qu'elle est attachée au matin, après un grand bol de café. C'est assez étonnant et drôle.

Monter sur scène à jeun ne vous pose pas de difficultés?

Non, bizarrement. Du coup, je suis extrêmement conscient de ce qui se passe. Et t'as quand même le cerveau qui disjoncte en concert. La musique te prend la gueule. La scène, c'est un truc chimique.

Cet album «Chansons ordinaires» marque une rupture par rapport à «Finistériens». Aviez-vous cette volonté en le commençant ou est-ce venu petit à petit?

Non. C'était conscient. Par rapport au rythme qu'il n'y avait pas sur Finistériens. Je voulais quelque chose de plus nerveux, du premier jet, que ça attaque d'entrée. Quelque chose qui ne soit pas dans la réflexion, l'accumulation. Il y a eu un seul morceau jeté à la poubelle sur ce disque. Et toutes les prises ont été rapides. On n'a jamais fait six fois une prise pour un morceau. Tout rentrait naturellement. L'idée était de bourrer dedans, avec un gros rapport physique avec les choses. Ça a aussi changé mon rapport au chant.

Vous avez tricoté cet album en mars dans un studio près de Rennes avec les musiciens de scène de Dominique A. En quoi cela vous a-t-il amené à travailler différemment?

Le contrat était simple avec les trois bonhommes : j'amenais des bouts de morceaux en répétition et tout le monde prenait les arrangements. Chaque mélodie qui est jouée provient de chaque musicien. Chacun a participé à l'édifice même si c'est moi qui suis chanteur. Et le fait construire les morceaux ensemble impose un format de groupe. Les compositions que j'amenais et que j'avais faites au piano et à la guitare étaient embryonnaires. Et on les développait ensemble. Tu laisses tout l'espace aux musiciens pour charger la baraque. C'est Joseph Racaille qui m'a appris à travailler comme ça.

Dans le livret de «Chansons ordinaires», il est écrit que le premier morceau est inspiré d'une citation d'André Gide...

C'est un copain qui m'a cité au téléphone cette phrase de Gide: «Tout a déjà été dit, mais comme personne n'écoute il faut sans cesse recommencer». Elle est très longue, du coup je l'ai un peu rabotée, et ça donne une chanson. Dernièrement, comme je n'étais pas très content d'un vers, je l'ai réécrit pour la scène. Et ça donne: «Tout a déjà été écrit mais ce n'est pas grave car personne ne s'en doute.»

Ce vers trouve une certaine résonnance avec les affaires de plagiat de ces derniers temps, notamment celles concernant le journaliste de «Marianne» Joseph Macé-Scaron, et tout le débat autour de l'intertextualité.

 Quand j'ai lu ce mot, je me suis dit que c'était un fabuleux concept !!! (il se marre franchement). En fait, c'est un problème d'emploi du temps. Avec tout ce que ce gars fait, il ne peut pas y arriver ! Même avec trois nègres ! Moi, je pompe en permanence, notamment Georges Perros, mais je ne m'en suis jamais caché.

D'où vous est venue cette thématique de «Chanson pour...»?

Par le fait que dès le départ, je voulais quelque chose de musclé. Donc j'ai fait du rock. Et j'ai trouvé que ça marchait bien de brandir des pancartes «Chanson pour...»

Avec «Chanson pour un fait divers», c'est votre passé journalistique qui est remonté et votre goût pour les histoires sociétales ?

C'est pour sortir du «je». Il y en a deux dans cet album. La chanson française est encombrée de textes en «je».

De qui s'inspire ce fait divers qui concerne une famille unie, sans problèmes particuliers, avant «cet étrange événement un mercredi»?

Ca pourrait être Dupont de Ligonnès. Il a utilisé quarante pseudos. Cela témoigne d'une intelligence supérieure. En cas psychiatriques de l'histoire criminelle française, il n'y a que lui et Jean-Claude Roman qui sont à ce niveau-là.

«Chanson pour un homme couvert de femmes» est pour DSK?

Elle raconte la vanité des hommes de 50-60-65 ans, qui sont en pleine maturité et qui draguent de façon complètement condescendante en étant certains de leur aura et de leur charme. Et qui se permettent tout.

La schizophrénie racontée dans «Chanson pleine de voix» se réfère à la dualité qui nous concerne tous, comme dans Tintin avec le bon et le mauvais Milou?

Ce texte est lié à un fait divers terrible qui concerne un copain. C'est extrêmement trash pour que je puisse le raconter.

Dans «Chanson protestataire», vous faites parler le goût pour la provocation qu'on vous connaît : «Y a pas que des saints chez les Tibétains, y a pas que des scélérats dans les commissariats, y a pas que des SS chez les CRS, y a pas que des salauds chez les cocos, y a pas que des dégonflés à la CGT...» Il faut reconnaître que c'est assez drôle !

Ce texte est très déstabilisant, hein? On se demande ce que je pense au fond, tellement c'est incohérent! Ça a été une marrade à écrire. D'autant qu'il ne fallait pas que ça sonne intelligent, il fallait absolument que ça sonne con.

Sur ce plan, c'est très réussi !

Merci.

«Chanson sympathique» va assez loin dans l'ironie : «Ce n'est pas parce que tu te sens seul qu'on a envie de voir ta gueule/ Ce n'est pas parce que t'as rien à dire qu'il faut tenter de l'écrire/ Ce n'est pas parce que tu te sens vieux que tes conseils deviennent précieux/ Ce n'est pas parce que t'es parano que personne ne veut ta peau.»

Il y a quand même 641 romans qui sont sortis en septembre. Le vers «ce n'est pas parce que t'as rien à dire qu'il faut tenter de l'écrire» leur est dédié. C'est sympa, non?


La chronique de «Chansons ordinaires» paraîtra dans «Libération» de demain mardi.

 

 

Source : Libération

Tag(s) : #musiques
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