Métallos de Florange : le «cauchemar du gouvernement» marche sur Paris
Entre la Ferté-sous-Jouarre et Trilport, le 4 avril, avec les marcheurs de l'aciérie ArcelorMittal de Florange. (Photos S.M.)
Entre la Ferté-sous-Jouarre et Trilport, le 4 avril, avec les marcheurs de l'aciérie ArcelorMittal de Florange. (Photos S.M.)

reportageDes salariés d'ArcelorMittal ont parcouru 300 kilomètres à pied pour sauver leur aciérie . Ils sont en passe de rallier Paris. Nous les avons suivis une journée, dans la campagne seine-et-marnaise.

Par SYLVAIN MOUILLARD / Libération

En dix jours, ils auront bouclé 320 kilomètres à pied. Ils ont souvent la quarantaine bien frappée, ils sont lamineurs, métallurgistes, électriciens à l'usine ArcelorMittal de Florange, et ne pensaient jamais réaliser leur pari un peu fou. Rallier la capitale à pattes, pour clamer que «l'acier lorrain vivra». L'idée est née après leur première venue à Paris, le 15 mars, où ils avaient été accueillis à coups de gaz lacrymogène par les forces de l'ordre.

«Au début, personne n'y croyait», raconte Antoine, intérimaire au chômage. Mais sous l'impulsion de quelques motivés, un parcours est tracé. Neuf villes étapes sont retenues, au gré des réponses des municipalités. Les 17 marcheurs – la plupart syndiqués – qui s'élancent de Moselle, le 28 mars, n'ont rien de grands sportifs. Ce mercredi matin, à la Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne), la petite troupe en survêtement, baskets et blouson bleu, semble amochée.

Thierry, soutenu par une paire de béquilles, a les pieds badigeonnés de mercurochrome. Les plaies sont profondes. «J'ai explosé à Verdun à la deuxième journée de marche», dit-il. Depuis, il squatte la voiture-balai. «Mon erreur, c'était les chaussures neuves... J'en ai marre de regarder les collègues depuis le camion. Le but, c'était de marcher !»

 

L'emblématique leader de la CFDT, Edouard Martin, a craqué la veille. Il reposera ses pieds meurtris toute la journée dans la camionnette de tête. Tout le monde doit être d'attaque pour demain vendredi, date de l'arrivée à Paris. Après un passage sous la tour Eiffel – bâtie en acier lorrain –, un concert de soutien sera donné au Trocadéro par Bernard Lavilliers et le groupe Zebda. 40 000 personnes sont attendues.

9h30. C'est l'heure du départ pour la petite troupe, ragaillardie par une nuit passée à l'hôtel. Finis, les ronflements qui envahissent tout un gymnase. L'étape est plus clémente qu'à l'accoutumée. Il fait beau, les températures sont printanières. Rien à voir avec les départs sous les gelées dans la Marne, pour des parcours de plus de 45 kilomètres. Aujourd'hui, il n'y a que 15 bornes à faire, entre la Ferté-sous-Jouarre et Trilport, sur la D603, une départementale rectiligne, bordée par l'autoroute de l'est et les champs de colza.

Le groupe d'environ 25 personnes s'élance, encadré par plusieurs véhicules d'assistance et une escorte policière. En tête de cortège, les irréductibles Ben et Rachid, qui n'ont pas loupé un kilomètre depuis le départ. Ce sont eux qui assurent le rythme, au moins 5 km/h, qu'importe le dénivelé. Clope au bec, Ben distille ses conseils: des étirements réguliers, un pas souple dans les descentes... Antoine avoue ne plus regarder le parcours. «Je ne compte plus les kilomètres restants, ils sont toujours faux, sourit-il. Le gars qui a fait le trajet, son GPS, c'est celui de Sarkozy !»

Refoulés de Meaux

Les marcheurs balisent minutieusement leur route. Ils placardent un autocollant «L'acier lorrain vivra» sur le panneau d'entrée de chaque bourg traversé, saluent d'un geste de la main les habitants et automobilistes qui les encouragent. Tous s'avouent surpris et réconfortés par les témoignages de sympathie. La petite caisse de soutien est régulièrement alimentée par les dons spontanés. «Hier, un type qui bossait dans le champagne a partagé quelques bouteilles avec nous, raconte Antoine. Il a proposé d'héberger trois personnes pour la nuit.»

Les municipalités des villes traversées offrent aussi leur concours. Certaines mettent des gymnases à disposition pour l'hébergement ou offrent des repas. D'autres maires refusent d'accueillir les métallos. Comme Jean-François Copé, l'édile de Meaux (77), qui n'a pas voulu que ceux qui ont promis de devenir «le cauchemar du gouvernement» y passent la nuit. Du coup, ce mercredi soir, les marcheurs feront leur halte à quelques kilomètres de la sous-préfecture, à Trilport.

 

Chez les marcheurs, l'ambiance est partagée. La fierté d'avoir relevé le défi sportif est indéniable. «Ça montre qu'on ne lâchera rien», explique l'un. Mais tous sont assez sceptiques sur les chances de redémarrage des deux hauts-fourneaux de l'aciérie, à l'arrêt depuis octobre. «Plus ça dure, plus ils s'oxydent, et plus Mittal peut dire que leur productivité n'est pas suffisante», affirme Marc.

Pascal, venu de Moselle pour la journée, juge les salariés «résignés. Vue la situation budgétaire de l'Etat, on comprend que l'usine ne sera pas nationalisée.» Walter Broccoli, représentant Force Ouvrière, abonde: «On sait pertinemment que l'usine en l'état est condamnée, notamment la filière liquide. Notre seule chance, c'est le projet Ulcos, qui prévoit de capter et d'enfouir en sous-sol les émissions de CO2.»

La construction de ce haut-fourneau dernier cri et écologique reste suspendue au déblocage de financements, notamment au niveau européen. «Si nous sommes choisis, Mittal l'aura dans l'os, puisque cette installation sera aussi productive que celle des concurrents», explique le syndicaliste. Dans le cas contraire, la pérennité du site et de ses 2 800 salariés est fortement menacée. Tout comme la santé économique d'une région entière. «On a coutume de dire qu'un ArcelorMittal fait vivre trois personnes», appuie Marc. Aujourd'hui, un tiers des salariés sont au chômage partiel.

«On dirait qu'il parle d'un four à pizza»

Autre sujet de discussion, les attaques de Nicolas Sarkozy en début de semaine contre les syndicats de l'usine. «Il a mis de l'huile sur le feu en disant que nous n'étions pas représentatifs des salariés, regrette Bernard, 38 ans de maison. Mais je suis persuadé qu'au fond, il aimerait avoir la même représentativité que nous Les trois organisations membres de l'intersyndicale (CFDT, CGT, FO) représentent 75% des salariés. Avec un taux de participation, lors des dernières élections professionnelles, qui avait atteint 93% ! Si la plupart des marcheurs ne portent guère le président sortant dans leur cœur, Thierry, lui, n'hésitera pas à lui donner sa voix s'il «redémarre le haut-fourneau». Avant de se reprendre: «Mais je ne me fais pas d'illusion. Quand il parle de ça, on dirait qu'il parle d'un four à pizza. En plus, il dit qu'on est des agités, des casseurs, alors qu'on n'a jamais rien fait de mal.»

Une dernière ascension, et la pause midi se profile. Un barbecue est allumé, les saucisses, merguez et steak déposés sur le gril. Juste à côté, on a posé une grosse caisse à pharmacie, pour que chacun puisse soigner ses douleurs à coups de pommade ou de pansements.

Edouard Martin, de la CFDT, mène les négociations avec les policiers. En tongs et les pieds bandés, la faute à de vilaines ampoules qui ont éclaté la veille. Enjeu: deux thermos de café. «Vas-y, George Clooney !», chambrent ses camarades. A quelques pas de là, son collègue de FO, Walter Broccoli, rumine. Il n'apprécie guère le leader du mouvement. Et pourtant, l'intersyndicale doit tenir. Malgré les rancoeurs personnelles, les rumeurs qui vont bon train, à droite et à gauche, et les petits griefs sur les tentatives de certaines personnes de tirer la couverture à elles.

Il est 14h15 quand un bus de syndicalistes CGT, venus au soutien, se gare sur l'aire de repos. Une quarantaine de salariés de Florange descend. Le débat s'engage pour leur faire retirer leurs chasubles floquées au nom du syndicat. Peine perdue. Un type avec des dreadlocks et une guitare débarque. ll reprend un morceau de sa composition. «On a tourné le clip à Arcelor, il sera bientôt en ligne !»

 

Les deux derniers kilomètres jusqu'à Trilport sont vite bouclés. Le cortège est accueilli par le maire Jean-Michel Morer, écharpe tricolore en bandoulière. «On a trouvé leur initiative citoyenne et gonflée, et on a fait appel à la population pour offrir de la nourriture.» Une infirmière et un kiné doivent examiner les blessés les plus sérieux. A 48 heures de l'arrivée à Paris, il s'agit de remettre tout le monde sur pied. Le temps viendra alors de se séparer. Michaël, qui a pris des congés pour participer à la marche, redoute déjà ce moment: «Au début du parcours, j'ai dû rentrer deux jours à Florange à cause du boulot. J'étais déprimé, tout seul chez moi.» Même nostalgie chez Luis. «Quand on se quittera, ça sera comme en colo, on pleurera.»

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