badges.sarko.jpgEn septembre, un journaliste télé, sur son temps de congé, filme l'interpellation d'un Indigné dans le métro. La police lui confisque son téléphone et efface la vidéo, qu'il a finalement réussi à récupérer. 

 


Depuis quelques années, les relations entre les forces de l’ordre et ceux qui les filment ou les photographient, qu’ils soient simples passants, militants ou journalistes, se compliquent. Nous avons déjà parlé ici de plusieurs épisodes conflictuels. Très récemment, le site Copwatch Nord-Île de France a été interdit par la justice. En janvier dernier, faute de carte de presse, un journaliste des Inrocks est emmené au commissariat lors d’une manifestation. En juin 2010, le Syndicat national des journalistes porte plainte après qu’un journaliste de France 3 affirme avoir été giflé par un policier en civil lors d’un déplacement du président Sarkozy. D’autres altercations sont régulièrement rapportées.

 

 


Emmanuel Raoul est journaliste sur une chaîne d'information. L’après-midi du dimanche 18 septembre, alors qu’il se promène avec sa compagne, il tombe sur une interpellation dans les couloirs du métro parisien et se met à filmer avec son téléphone portable. Un policier l’en empêche, confisque son téléphone et efface ses images. La hiérarchie policière rappelle régulièrement aux fonctionnaires qu’ils ne doivent pas s’opposer à être filmés ou photographiés sur la voie publique s'ils n'appartiennent pas à la liste des fonctionnaires protégés, et surtout n’ont pas à détruire les vidéos. Emmanuel Raoul a réussi à récupérer la sienne en restaurant les fichiers de son téléphone. Il a accepté de nous la transmettre et de raconter l’épisode.

 

Alors que je me déplace dans les couloirs du métro, Gare de Lyon, avec ma compagne et son fils, nous tombons sur une vingtaine de jeunes “Indignés” espagnols en train de se faire interpeller par des policiers. La scène se déroule au pied d’un escalator. Au moment où nous arrivons, la situation est très tendue, un policier menace le groupe, bombe lacrymogène à la main, puis se saisit violemment d’un de ces jeunes, qu’il emmène à l’écart.

Sachant que ces “Indignés” revendiquent la non-violence, nous nous étonnons de l’attitude “virile” de l’agent. Mon réflexe de journaliste et de citoyen est de documenter cette scène, en la filmant avec mon téléphone portable. Trente secondes après, le policier qui procède à l’interpellation se jette sur moi, arrache le téléphone de mes mains et le confisque. Voici le dialogue retranscrit :

- Policier 1 : “Regarde là, là là là, prends-le prends-le!”
- Emmanuel Raoul : “Je suis journaliste, je suis journaliste”
Un deuxième policier pousse le téléphone avec sa main.
- Policier 2 : “Et alors? Est-ce que vous accepteriez qu’on vous filme pendant votre travail? Non?”
- E.R : “Y’a pas de souci je suis journaliste.”
- Sa compagne : “Sors ta carte”
Emmanuel Raoul filme les indignés à genoux. Un policier attrape son téléphone et le lui retire.
- ER : “Oh oh, je suis journaliste, oh! J’ai ma carte de presse”
- Le policier : “Vous ne me filmez pas, vous n’avez pas le droit de me filmer!”

Non seulement le policier part avec mon téléphone et refuse de me le rendre durant de longues minutes, mais il efface aussi la vidéo que je viens de tourner. Pendant ce temps, un de ses collègues me prend à part, me palpe et contrôle mon identité (carte d’identité et carte de presse), en refusant de m’indiquer dans le cadre de quelle procédure, enquête ou fichier de police ces données seront conservées.

Quand le premier policier revient, bombe lacrymogène à la main, son visage à quelques centimètres du mien, il hurle qu’il refuse d’être filmé, invoquant le risque pour lui, sa femme fonctionnaire de police et leurs trois enfants, d’être harcelés si son visage est affiché sur Internet. Il ajoute que si je diffusais ces images sans son consentement, il pourrait porter plainte mais queça ne changerait rien” pour sa famille. Et d’ajouter :si je vous casse le nez, vous pouvez porter plainte, vous aurez quand même le nez cassé”. Certes il s’agit d’appuyer son discours mais c’est aussi, à mon sens, une tentative d’intimidation, voire une menace physique rendue crédible par son état d’excitation et d’énervement.

Le téléphone m'est rendu, sans la vidéo, puis les agents nous font la morale, nous accusant d’être des parents irresponsables car nous nous mêlons de cette affaire alors que nous sommes en compagnie d’un enfant de onze ans (qui assiste à toute la scène, à la fois médusé et bien sûr effrayé). En tant que citoyens et parents, nous sommes surtout choqués de voir que des agents de la force publique enfreignent les lois et se comportent d’une manière aussi agressive à l’égard de simples témoins.

Le policier m’accuse d’être partial et de ne pas avoir “vu le début”. Il m’explique que les “Indignés” ont fraudé, passant les tourniquets sans titre de transport et qu’au moment de les interpeller plusieurs d’entre eux se sont rebellés. Lorsque nous avons quitté les lieux, des dizaines de policiers étaient arrivés en renfort. Puis le groupe de jeunes a été laissé libre de quitter les lieux, sans être poursuivis. Une question me taraude donc : pourquoi tout cela ?

J’ai conscience que les policiers ont un métier difficile, extrêmement stressant, mais si un agent perd ainsi son calme face à un groupe de jeunes non-violents et de simples témoins, comment se comportera-t-il dans un contexte autrement plus tendu et menaçant ?

La semaine suivante, je me suis rendu à l’Inspection générale des services pour déposer un signalement. “En effet, il a fait un peu de zèle”, m’a répondu l’officier, m’assurant “pourtant on leur dit, ils ont des consignes” et que l’IGS allait retrouver les agents en question pour leur rappeler les règles. En sortant de son bureau, je demande à être tenu au courant des suites :Ben non, pourquoi?” conclut-elle.

 

Emmanuel Raoul, propos recueillis par Camille Polloni

 

Source : LES INROCKS

Tag(s) : #actualités
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