«La pollution tue les pollinisateurs»
Interview

A l’occasion de la sortie du film «Pollen», Gilles Bœuf, directeur du Muséum d’histoire naturelle, alerte sur le danger qui menace abeilles, papillons et une multitude d’autres espèces.


Par CORALIE SCHAUB

 

 

Il paraît que notre futur dépend d’une histoire d’amour. D’une danse de séduction entre les fleurs et les pollinisateurs, ces héros discrets de la chaîne alimentaire mondiale. C’est ce que raconte Pollen, le film de l’Américain Louie Schwartzberg, produit par Disney et sorti le 16 mars au cinéma. Hormis une chanson finale sirupeuse, le documentaire est esthétiquement irréprochable. Gros plans, ralentis, explosion de couleurs. Mention spéciale à un combat de colibris, à l’envolée de millions de papillons monarques ou à un voyage au cœur d’une tomate. Mais derrière les belles images se jouent de sacrés enjeux, évoqués un peu vite à la fin du film. Car l’histoire d’amour risque de finir mal. Explications de Gilles Bœuf, président du Muséum national d’histoire naturelle.

Qu’est-ce que la pollinisation ?

C’est l’un des modes d’aide à la reproduction les plus sûrs des plantes à fleurs, qui consiste à disséminer des cellules mâles chez les plantes voisines. Beaucoup de plantes sont hermaphrodites, mais il n’est pas bon qu’une plante s’autoféconde. Le vent est le vecteur de pollinisation le plus simple, mais il est imparfait et imprécis. C’est pour cela que «l’apparition» des pollinisateurs a été géniale : grâce à eux, le pollen va beaucoup plus loin et cible précisément les fleurs. La coévolution entre fleurs et pollinisateurs a expliqué l’explosion de la vie terrestre, qui compte aujourd’hui huit fois plus d’espèces que les océans.

Parmi ces pollinisateurs, il n’y a pas que les abeilles…

Quand a démarré cette coévolution, il y a 135 à 110 millions d’années, la nature a tiré parti des espèces qui existaient déjà, comme les coléoptères, les diptères (mouches) ou encore les punaises. Mais, très vite, des groupes entiers d’insectes se sont développés dans le but de polliniser. C’est le cas des hyménoptères (aux ailes transparentes), comme les abeilles, les guêpes, les bourdons, mais aussi les fourmis. Les lépidoptères (aux ailes à écailles, c’est-à-dire les papillons), eux, se sont énormément diversifiés. Aujourd’hui, sur 1,9 million d’espèces connues, 250 000 sont des pollinisateurs, dont plus de 95% d’insectes. Parmi les autres, on trouve des oiseaux, dont les emblématiques colibris. Ou des petits rongeurs : il existe un cas de plante pollinisée par des souris. Certaines chauves-souris sont aussi pollinisatrices. Elles en tirent parti. Quand elles sont enceintes, elles fécondent une fleur qui devient ensuite un fruit dont elles ont besoin pour allaiter leurs petits. C’est le triomphe de l’instinct, du hasard et de la nécessité. Une chauve-souris s’est mise à faire cela, et c’est devenu le comportement de l’espèce.

Quel est le poids économique des pollinisateurs ?

Ils diffusent «gratuitement» la vie. Environ 35% de la production mondiale de nourriture en dépend. Sans eux, adieu au café et au cacao, adieu à la plupart des fruits et légumes, les pommes, les poires, les amandes… Travailler à leur place coûterait entre 150 et 200 milliards d’euros par an. Déjà, par endroits, en Chine, leur disparition oblige les femmes à polliniser à la main. Sans eux, une partie de la vie serait très affectée. Les fleurs disparaîtraient et, avec elles, nombre d’espèces.

Sont-ils en danger ?

Oui, ils le sont tous. Les abeilles, dont le syndrome d’effondrement des colonies s’aggrave, nous ont fait tirer la sonnette d’alarme. Selon un article publié dans la revue Nature début mars, il est plus que probable que la sixième grande extinction des espèces a commencé. Les chercheurs ont regardé ce qui s’est passé entre 2000 et 2010. Ils en concluent que, si on continue à ce rythme, on aura perdu 75% des espèces vivantes d’ici trois à vingt-deux siècles. Aujourd’hui, on est «au top» du système. Il n’y a jamais eu autant d’espèces en général et de pollinisateurs en particulier. Mais on les perd à une vitesse incroyable.

Pourquoi ?

L’homme est un éléphant dans un jeu de quilles. Il détruit et pollue, jusqu’aux glaces de l’Antarctique, jusqu’au plus profond des océans. La pollution chimique, notamment par les pesticides et insecticides, est massive. La surexploitation des ressources en mer et la destruction des forêts tropicales sont alarmantes. La dissémination anarchique d’espèces vivantes joue aussi un rôle. Comme le frelon asiatique, qui menace les abeilles. Et le changement climatique a des effets dramatiques : les espèces doivent se déplacer sans cesse. Or, si on coupe la relation entre une plante et son pollinisateur, c’est fini.

Comment y remédier ?

Il faut arrêter de traiter les champs avec des pesticides, ou au moins à des doses bien plus faibles. Le miel des villes est de meilleure qualité que celui des campagnes, car les plantes y sont moins traitées. Il faut laisser des zones en jachère. Chacun peut le faire, dans son jardin ou sur son balcon. Et il faut s’attaquer d’urgence au changement climatique. Il nous reste peu de temps : c’est une question d’années.

 

Source : Libération

 

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