Après 16 années de correspondance avec le condamné à mort Hank Skinner, Sandrine Ageorges-Skinner livre son analyse du système carcéral américain. Interview.
Sandrine Ageorges-Skinner publie "Entre nos lignes. Lettre à Hank" éd. Stock, en librairie le 24 octobre.
- D'abord parce que je ne suis pas auteure mais que c'est, en revanche, devenu mon métier de lui écrire. Ensuite parce que j'avais envie de revisiter avec lui des choses qu'on a pu oublier à la fois concernant notre histoire, ce qu'il a vécu lui ou des choses que moi j'ai vécu et dont il n'est pas forcément conscient. Il est passé tout près de la mort plusieurs fois et je me suis dit : c'est le moment.
L'idée c'était aussi de faire transparaître le ton de nos échanges qui sont sans tabou, même si, dans le livre, je n'ai pas pu aborder un certain nombre de sujets pour ne pas avoir de problème supplémentaire avec l'administration pénitentiaire avec laquelle nous avons suffisamment de problème comme ça. J'avais envie qu'il ait une vue d'ensemble de ce que j'ai voulu lui dire et de ce que je veux partager avec lui.
Que pense-t-il du livre ?
- Ca le fait rire et en même temps pas du tout parce qu'il ne lit pas le français. Il a vu la couverture du livre et il m'a dit "quand est-ce que tu m'envoies la version en anglais", mais je n'ai pas le temps, pour le moment, de faire la traduction et on ne sait pas encore si on va trouver un éditeur anglophone. Il est un peu inquiet de ne pas pouvoir répondre à des questions éventuelles de journalistes en fait.
- On a gagné. Hank a fait appel au mois de mai et on a gagné au mois de juin, j'ai donc pu aller le voir cet été. Evidemment, dès que j'ai été réinstallée sur sa liste de visiteurs, il a été changé de statut disciplinaire, mis au mitard, pour que ne lui soit permise plus qu'une visite de deux heures par mois au lieu d'une visite de huit heures. Mais bon, on le savait. Ce n'est pas la première fois qu'il nous faisait ce coup là. Et c'était un super soulagement de pouvoir le voir. En dehors des visites de veille d'exécution programmée, la dernière fois qu'on s'était vu dans un contexte normal, c'était le 2 juin 2008.
- Nous n'avons pas de nouvelle. Les tests sont soi-disant en cours mais nous n'avons aucune indication : les tests ont-ils été fait ? Les échantillons étaient-ils tous exploitables ? Nous ne savons pas. C'est très stressant.
- Oui, cela vient de bien avant que je le connaisse. Cela vient de l'adolescence, du choc d'une exécution lorsque j'avais 16 ans et demi. C'était l'exécution de Ranucci en 1976 et ça m'a mise une énorme gifle. 22 ans. Je me suis dit "Mais comment peut-on ne pas accorder une seconde chance à un homme, qui plus est aussi jeune". C'est ce qui m'a mis en colère. Et je pense souvent à lui et à sa mère.
- Cela me révolte tout autant. On utilise des êtres humains comme des marchandises. Et l'administration pénitentiaire n'est pas censée administrer la Justice, elle est censée incarcérer des gens en attente d'exécution sans les faire souffrir plus. Mais il faut souligner que la plupart des gardiens sont des gens normaux, même s'ils sont généralement assez peu instruits car cette profession est la moins bien payée dans le pays. Ils font donc tous du marché noir pour compléter leur mois. Et puis il y a quelques dingues : des sadiques, des membres du Ku Klux Klan, des membres d'extrême droite qui s'en prennent donc plus vivement aux membres des minorités raciales et qui n'aiment pas les fortes têtes et Hank est une forte tête…
- Oui, c'était sa toute première date, on savait qu'il n'allait absolument pas être exécuté et cette femme, issue d'une profession médicale l'a harcelé d'une façon totalement sadique. C'est incompréhensible.
- Par principe. Ils refusent d'admettre une erreur, et même pire car ce n'est pas une erreur. C'est un problème politique. Depuis 18 ans c'est toujours le même juge qui est réélu, année après année. Et il n'y a pas de limite d'âge donc on ne sait pas jusqu'à quand il va rester. C'est un tout petit comté dans lequel les responsables se protègent tous depuis 18 ans et Hank paie cette situation.
- Ce n'est pas qu'on ne se projette pas dans l'avenir. On fait des projets mais sans échéance. On se projette dans un futur vague. Je suis toujours en train de me demander si je peux m'engager : ne vais-je pas devoir partir s'il a une nouvelle date d'exécution ? S'il y a un procès ? Pour moins stresser, on prend tout au jour le jour. C'est difficile.
- Avec lui ou sans lui. On est obligé d'envisager les deux solutions. D'envisager ce qui va se passer s'il est exécuté. Mais on pense aussi à comment ce sera avec lui dehors. On restera un peu aux Etats-Unis. On ira voir sa mère. Et puis dès que ce sera possible on partira en France. On aura assez vite le besoin de partir s'isoler en pleine cambrousse quelque part loin des téléphones. Voilà, on sait ce dont on a envie. Mais il faut garder les pieds sur terre.
Propos recueillis par Céline Lussato – Le Nouvel Observateur
Retrouvez les bonnes feuilles du livres de Sandrine Ageorges-Skinner dans le Nouvel Observateur du 18 octobre 2012
SOURCE / NOUVEL OBS
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Dans les jours prochains, notre article sur ce livre