Scènes de désolation à Tunis, des policiers accusent des "terroristes"

 

Commissariats incendiés, voitures de police brûlées, cafés saccagés, arbres et bancs arrachés: l'avenue Habib Bourguiba à Tunis a ressemblé dans la nuit à un véritable champ de bataille, avec des policiers lancés à la poursuite de "terroristes" accusés de vouloir "semer le chaos".

 

Vendredi 23h00 : une véritable chasse à l'homme est en cours dans le centre de Tunis, où des groupes de manifestants ont provoqué durant plus de cinq heures des forces de l'ordre déployées près du ministère de l'Intérieur, réclamant la "chute du gouvernement" après une manifestation géante devant la Kasbah.

 

Rafales de tirs de sommation, gaz lacrymogènes, suivis par des tirs d'automatiques, la panique s'empare de la population dans la capitale qui se terre et n'avait pas vu une telle violence après la chute du régime policier du président Ben Ali à la mi-janvier.

 

Soldats, forces anti-émeutes, policiers en civil cagoulés armés de matraques sillonnent ensuite la ville. Des hélicoptères de l'armée survolent à basse altitude la capitale durant des heures.

 

Mais rien n'arrête une poignée d'irréductibles déterminés à vouloir pénétrer dans le ministère de l'Intérieur, entouré de barbelés et de chars de l'armée : des véhicules de police dans le parking du ministère de l'Intérieur brûlent.

 

L'avenue Bourguiba s'enfonce dans d'épaisses colonnes de fumée noire après plusieurs foyers d'incendie allumés par des manifestants. L'air, chargé de gaz lacrymogène et de fumée des incendies, brûle les yeux et est irrespirable.

 

Des policiers armés et cagoulés s'approchent de journalistes de l'AFP. Leur attitude est presque menaçante pensant qu'il s'agit de manifestants qui ont semé les troubles.

 

À proximité, deux motos de police brûlent encore. Quelque mètres plus loin, la façade d'un commissariat près de la rue de Yougoslavie, est noire de suie. Les dalles de marbre à l'entrée sont arrachées et les fenêtres brisées.

 

"Ils (manifestants) étaient nombreux, environ 200 ou plus, à vouloir s'introduire dans le bâtiment, ils ont mis tout d'abord le feu à deux voitures de police garées près du poste. J'avais peur pour ma vie surtout quand ils ont essayé de m'attraper après avoir menacé de me brûler vif", raconte un policier, Saleh, 30 ans, encore sous le choc.

 

"+Allah Akbar, Allah Akbar+, c'est votre jour, nous allons vous tuer bande d'abrutis" nous lançaient ces manifestants alors que "nous étions retranchés dans le bâtiment en attendant des secours", dit-il.

 

Ces "terroristes" ont "mené une action coordonnée", selon un autre policier, "ils nous disaient : +Vous avez été augmentés, vous les soldats de Ben Ali mais vous serez toujours des minables+".

 

Deux carcasses de voitures de police et deux motos fument encore à proximité.

 

"J'ai vraiment cru que c'était mon dernier jour, il y avait tellement de haine dans leur regards et leur paroles", ajoute un autre policier, matraque en main.

 

Plus loin encore, alors que résonnent encore des détonations, un Monoprix situé près de l'ambassade de France, saccagé, finit de se consumer.

 

Les forces de l'ordre arrêtent des manifestants à tout va, procédant à des passages à tabac musclés, certains n'hésitant pas à frapper au sol un homme interpellé et hurlant de terreur.

 

Puis soudain, elles arrêtent un tramway pour en sortir de force des hommes de l'intérieur. Les coups pleuvent. Les hommes arrêtés sont engouffrés dans des fourgons de police.

 

Alors que le centre de Tunis n'est plus que désolation, des cris résonnent. Un jeune vient d'être arrêté par plusieurs policiers. L'un d'eux le frappe violemment derrière la nuque avant de le laisser partir.

 

Le jeune traverse la rue en courant avant de s'agenouiller rapidement comme pour demander pardon avant de disparaître. Tunis s'enfonce dans une nuit secouée par des détonations.

 

Leur presse (Agence Faut Payer), 26 février 2011.

 

 

"Pas le droit de mettre un pied dehors" à Tunis

 

Des incidents ont marqué vendredi soir la plus importante manifestation tunisienne depuis la chute de Ben Ali, où plus de 100.000 personnes ont réclamé le départ du gouvernement de transition.

 

 

"Bienvenue dans la démocratie". Mehdi [Le prénom a été changé], informaticien d'une trentaine d'années, a lâché la phrase tout doucement. Comme s'il se parlait à lui-même. Nous sommes une centaine de personnes à être enfermées dans le hall de l'Hôtel International, dressé avenue Habib Bourguiba, en plein centre de Tunis. Cela fait déjà quelques heures que la plus importante manifestation depuis la chute de Ben Ali a dégénéré. Elle avait sagement commencé, après le déjeuner, devant la Kasbah. Avec ses jeunes garçons et ses jeunes filles enroulées dans le drapeau tunisien qui se photographiaient les uns les autres, leur carton "Ghannouchi dégage", décoré d'un portrait du Premier ministre, levé au dessus de la tête. Elle a pris une autre tournure en milieu d'après-midi quand plusieurs centaines de manifestants ont commencé à jeter des pierres sur la façade du Ministère de l'Intérieur avant de s'attaquer aux vitrines des magasins et à l'armée de policiers, arrivée en catastrophe.

 

Le temps des arrestations

 

À présent, la nuit est tombée, dans un vrombissement d'hélicoptères, de tirs de sommation et de lancers de grenades lacrymogènes. Les pneus de voiture et les branches d'arbres brûlent au milieu de la route. Le quartier, autour de l'avenue Bourguiba, est bouclé. Et tous ceux qui passent par là, curieux, promeneurs du vendredi soir, employés de bureaux qui s'apprêtaient à rentrer chez eux, sont repoussés par des policiers hurlants, casque sur la tête, matraque à la main, derrière les portes vitrées de l'hôtel International. Barricadés à double tour. Au début, nous n'avons pas le droit de mettre un pied dehors. Puis, très vite, même plus celui de regarder par les fenêtres. Car le temps est venu des premières arrestations. Et avec elles, celui des premiers coups. Un gamin qui ne doit même pas avoir vingt ans est attrapé par une demi-douzaine de policiers. Coups de pied à la figure. Puis, une fois qu'il est tombé à terre, coups de rangers dans les côtes. Sur un autre, ce sont les matraques qui pleuvent.

 

"Un champ de ruines"

 

Un peu plus loin, un policier s'acharne à l'arrière d'un fourgon. On ne voit que le geste de sa main, qui frappe, qui frappe. Et lorsqu'un groupe de policiers se rend compte que des occupants du hall de l'Hôtel International ont le nez collé aux vitres, ils foncent, donnent des coups de matraque sur les portes vitrées, exigent qu'on les fasse entrer. Mon voisin me traduit leurs cris. Interdiction de regarder dehors, interdiction aussi de filmer avec son téléphone portable. La rumeur court dans le hall de l'hôtel. Un client serait en train de tourner des images de la fenêtre de sa chambre au 3e étage. À dix heures du soir, le calme semble revenir. Après trois heures passées, dans le hall de l'Hôtel International, nous sommes autorisés à partir. Je sors avec deux jeunes en capuches. L'avenue Bourguiba est un champ de ruines. Trottoirs éventrés, poubelles à terre, boites aux lettres défoncées, des cadavres de pneus calcinés partout… Mes deux compagnons de route se font arrêter au bout de cinq minutes. Les policiers veulent voir la paume de leur main. Ils vérifient leur propreté. Si elles sont sales, c'est qu'ils ont lancé des cailloux.

 

Leur presse (Nathalie Funès,
Nouvelobs.com), 26 février.

 

  Source : Jura libertaire

 

Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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