Tunisie: la presse sous influence dénonce les «lubies» des manifestants

Par ELODIE AUFFRAY (Source Libération.fr)

 

 

Au lendemain de son intervention télévisée et d'une nouvelle journée d'affrontements en Tunisie, le président Ben Ali peut compter sur le soutien d'une partie de la presse du pays. Ainsi l'édito du Temps, l'un des principaux quotidiens francophones de Tunis, qui se définit comme «indépendant», est sans ambiguïté. Intitulé «Lubies», il fait écho point par point au discours du président tunisien (reproduit par ailleurs en intégralité, via l'agence de presse tunisienne).

Raouf Khalsi y dénonce la violence, n'hésitant pas à convoquer Sartre («La violence n'est pas accoucheuse d'histoire»). Pour l'éditorialiste, «l'écrasante majorité des Tunisiens» refuse la violence parce qu'ils «savent qu'[elle] est instrumentalisée». Dans son viseur notamment, les élites du pays, «qui se disent libérales ou de gauche», «confondues dans ces brumes narcissiques où l'on en arrive à pavoiser quand nos enfants vont à leur propre mort». «Les Tunisiens sont trop attachés à leur acquis pour les suivre dans leurs lubies», écrit-il.

Raouf Khalsi raille aussi les leçons de démocratie livrées par les Etats-Unis. «La démocratie? C'est 300.000 postes d'emploi qui seront créés avant la fin 2012, temps fort du discours présidentiel d'hier», s'emballe-t-il.

Les «quatre jours de Kasserine»

Quant à savoir comment la Tunisie en est arrivée là, l'éditorialiste a son explication: «les enfants des ouvriers, les enfants de paysans, les enfants des pauvres réussissent à l'université. Et c'est ainsi qu'ils viennent grossir le rang des chômeurs aux côtés des enfants de la classe moyenne». Le Temps livre également une version des faits sur les «quatre jours de Kasserine», ville très touchée par les répressions de manifestations ce week-end:

«Dans la nuit du vendredi au samedi, après un calme apparent, de nouveaux troubles éclatèrent lorsqu'on apprit que le jeune Hosni Ben Mohamed Klii (36 ans, chômeur et non diplômé du supérieur) est mort au centre de Ben Arous des suites de ses blessures puisqu'il s'était immolé par le feu. Ainsi, ce furent des actes de vandalisme aux alentours du quartier où habitait le jeune malheureux.»

L'autre quotidien francophone important du pays, La Presse, est inaccessible ce jour.

«Toute crise est une preuve de vie et de vitalité»

Un petit peu plus audacieux, l'hebdomadaire tunisien francophone Réalités. Dans son éditorial daté du 6 janvier, Zyed Krichen, le rédacteur en chef, dénonce «les surenchères et l'appel à la reddition», «plutôt partie de la crise que de sa résolution». Mais estimant aussi que «toute crise est une preuve de vie et de vitalité», il y fustige le «retard» des pouvoirs publics, qui n'a livré «aucun débat public, aucun traitement politique de ces évènements et de leurs causes profondes». Ringards, également, les médias, à l'heure où la Tunisie dénombre «1, 4 million de comptes Facebook. C'est-à-dire autant de sources d'information et de diffusion». «L'antienne politique favorite de nos médias publics "ce dont on ne parle pas, n'existe pas" n'a pas seulement perdu sa légitimité mais aussi son efficacité».

Même écho dans l'édito de l'hebdomadaire Jeune Afrique, daté du 10 janvier. François Soudan y souligne que l'une des principales raisons à la crise actuelle au Maghreb est «l'absence de communication entre le pouvoir et le peuple», qui engendre chez ce dernier un «sentiment de hogra (mépris)». Ce «véritable mal maghrébin», les autorités semblent, selon l'éditorialiste, en «avoir pris la mesure en procédant au renouvellement accéléré de gouverneurs, préfets et autres agents locaux d'encadrement». «Reste à savoir, juge-t-il, si ces remèdes seront suffisants pour en résorber les métastases».

«Désaveu international»

Dans son édito du jour, c'est «le black-out international» qu'a choisi d'évoquer le quotidien algérien El-Watan. Pointant les prises de position «tardives» de la France et de l'Union européenne. Djaffar Tamani écrit toutefois que «le sentiment d'être entendu et compris hors des frontières apporte, pour les protestataires, de vraies raisons d'espérer». Etablissant le lien avec l'Algérie, l'éditorialiste souligne le manque d'alternative politique. «Les deux pays voisins ont ceci de commun que l'alternance au pouvoir a été méthodiquement bannie des mœurs politiques locales». Les politiques «parient sur l'essoufflement après s'être longtemps investis dans l'éradication de toute vie politique libre. Ce qui n'entrait pas dans leurs calculs, c'est sans doute le désaveu international», conclut Djaffar Tamani.

Enfin, sans surprise, et alors que s'organise une répression gouvernementale qui n'a rien de virtuel, c'est sur la Toile que se trouvent les discours les plus durs. C'est notamment le cas sur le blog DébaTunisie, animé par _z_ qui publie ce mardi un dessin sans équivoque:

 

Source: blog Débatunisien

 

Tag(s) : #actualités
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