Par Christine Tréguier - 11 septembre 2013
 
Hadopi : un bilan calamiteux

 

Elles en auront fait couler de l’encre, cette Hadopi et son bras armé, la riposte graduée, censée venir à bout des vilains pirates. On se souvient de Sarkozy affirmant qu’il allait « civiliser » Internet grâce à un dispositif « pédagogique » très particulier. Quiconque serait pris à télécharger illégalement recevrait un premier avertissement, puis une lettre recommandée, enfin en cas de récidive verrait son accès au Net coupé pour une durée d’un mois à un an. On se souvient des joutes oratoires à l’Assemblée et au Sénat lorsqu’a été débattue la loi Création et Internet mettant en place cette mesure répressive alors unique au monde.

D’un côté, les partisans de la coercition, convaincus que la menace de coupure allait dissuader jeunes et vieux de faire ce que le numérique leur permet depuis des années, c’est-à-dire partager la musique. De l’autre, ceux qui expliquaient qu’aucune sanction n’enrayerait des usages qui ne sont que la conséquence des mutations technologiques, que la solution résidait dans l’évolution des modèles économiques de distribution, et que de toute façon la coupure d’accès était techniquement inapplicable. Cette loi, décriée de droite comme de gauche, a finalement été adoptée en catimini, tard, un soir de juin 2009 par seize députés et l’Hadopi – Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet – créée par décret dans la foulée. 

L’organisme a été doté de budgets conséquents – 6,7 millions d’euros hors personnel en 2009, 10,58 millions en 2010, 13,8 millions pour 2011, 10,4 millions d’euros en 2012. Pourtant, bien que les officines privées agrémentées maîtrisent parfaitement la chasse aux pirates sur les réseaux P2P, l’Hadopi mettra près d’un an à envoyer les premiers avertissements, donnant raison à ses détracteurs qui la qualifient d’« usine à gaz ». On est loin des promesses de Christine Albanel, qui affirmait devant la Commission des lois que son rythme de croisière serait dès le départ de 10 000 mails d’avertissement, 3 000 lettres recommandées et 1 000 décisions pouvant conduire à une suspension d’abonnement chaque jour. 

Et ça ne s’est pas arrangé par la suite. Un bilan, publié en septembre 2012 au terme de trois ans de fonctionnement, faisait état de l’envoi de 1 150 000 mails d’avertissement, 100 000 lettres recommandées et de 340 dossiers ayant fait l’objet d’une ouverture de procédure judiciaire. Seuls quatorze d’entre eux ont été transmis aux parquets. Là encore pour des résultats plus que médiocres : neuf dossiers étaient alors toujours en cours d’enquête, une procédure en attente d’audience pour une éventuelle ordonnance pénale et une autre classée sans suite. En trois ans, seules trois procédures avaient fait l’objet de décisions judiciaires définitives : une relaxe et deux condamnations, dont une assortie d’une dispense de peine, et l’autre d’une amende de… 150 euros. Pas de quoi faire peur aux partageux et pas davantage de quoi satisfaire les auteurs, qui se seraient sans doute bien mieux portés si on leur avait redistribué les 50 millions d’euros alloués à la Haute Autorité. 

 

Sur le web :

- Article dans PC INpact

Alors que son existence est fortement remise en cause par le gouvernement socialiste, l’Hadopi annonce en juin 2013 avoir commencé «  l’analyse de la possibilité, ou non, de modéliser un système de rémunération compensatoire des échanges non marchands ». L’annonce est agrémentée d’un commentaire qui laisse pantois : « L’expérience acquise par l’institution au cours des trois dernières années tendrait à laisser penser que l’intégration de ces usages pourrait être de nature à créer un cercle vertueux favorable tout à la fois à la création, aux usages, à l’innovation et à un meilleur partage de la valeur.  » L’Hadopi prônant les possibles mérites d’une sorte de licence forfaitaire légale, jadis inacceptable pour les partisans de la riposte graduée, le revirement est savoureux ! 

Le rapport Lescure a condamné l’Hadopi à disparaître, tout en maintenant le principe de la riposte graduée, la coupure étant transformée en contravention. On attend de savoir si le CSA, qui devrait devenir le régulateur d’Internet, va récupérer tout ou partie de ses effectifs et de ses budgets. Mais son pouvoir de sanction sera jusqu’au bout resté lettre morte. Le 3 juin dernier, un juge de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) avait pour la première fois requis une coupure d’accès de quinze jours contre un internaute. Las ! La condamnation restera théorique, la coupure d’accès n’est plus. Supprimée par un décret rétroactif, publié en juin par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. De quoi réjouir les détracteurs de la loi qui avaient prévenu depuis le début que la mesure serait inapplicable.

 

SOURCE/ POLITIS

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