L’UE accusée de complicité avec les crimes commis en Libye
Émilien Urbach
Mercredi, 13 Décembre, 2017
L'Humanité

 

 
 

Migrants. Après les révélations de la chaîne CNN sur l’existence de ventes aux esclaves en Libye, Amnesty International juge, dans un rapport accablant, les gouvernements européens coresponsables du sort réservé aux exilés au sud de la Méditerranée.

Le coordinateur des secours de SOS Méditerranée, Nicola Stalla, déclarait, lundi, suite au sauvetage par l’Aquarius de 450 exilés : « À bord du canot en détresse, les personnes sont terrorisées : en proie au vent, au froid, au mal de mer, sans gilet de sauvetage et sans connaissances maritimes, mais ce qu’elles craignent plus que tout est d’être interceptées et renvoyées dans l’enfer qu’elles viennent de fuir en Libye. »

L’esclavage, les viols, les tortures et les exécutions sommaires auxquelles cherchent à échapper quotidiennement des centaines de personnes ne sont pas un phénomène nouveau. Les ONG le constatent depuis des années et les États membres de l’Union européenne (UE) ont entièrement connaissance de cette situation. C’est pourquoi, en allouant plus de 46 millions d’euros au gouvernement de Tripoli, en fournissant des moyens techniques aux gardes-côtes libyens ou en négociant avec des chefs tribaux, « les gouvernements européens sont sciemment complices de la torture et des abus endurés par des dizaines de milliers de réfugiés et de migrants », accuse Amnesty International (AI), dans un rapport publié ce mardi. L’organisation dénonce ainsi le soutien des dirigeants européens à « un système sophistiqué d’abus et d’exploitation ».

Collusions entre trafiquants et autorités libyennes

Le rapport d’AI décrit comment, depuis près d’un an, dans le seul but de barrer la route aux exilés venus d’Afrique, les pays membres de l’Union européenne (UE) se sont d’abord engagés à prêter main-forte aux gérants de centres de rétention libyens où s’entassent actuellement et pour des durées indéfinies près de 20 000 personnes. Ces dernières y « sont exposées à de graves violations des droits humains, notamment à la torture », indique le texte d’AI.

On y lit également comment les États européens permettent aux gardes-côtes libyens d’organiser le refoulement, en mer, des réfugiés. Cette pratique est interdite par le droit international, mais cela ne les empêche pas de fournir aux autorités libyennes des formations, des équipements, notamment des bateaux, et d’avoir participé à la création d’un centre de coordination des opérations maritimes qui entre régulièrement en contradiction avec les opérations diligentées par le Centre italien de recherches et de secours en mer (MRCC). Les conséquences de ces politiques sont extrêmement inquiétantes. Cinquante personnes sont, par exemple, mortes noyées, au début du mois de novembre, suite à une intervention brutale des gardes-côtes libyens lors d’une opération de sauvetage engagée, sur ordre du MRCC, par l’ONG allemande Sea-Watch. Une vidéo publiée par cette dernière montre les maltraitances subies par les exilés une fois à bord du Ras Jadir, un navire italien, offert à la Libye au printemps dernier. On y voit également les militaires libyens jeter des projectiles sur les canots de sauvetage de Sea-Watch.

Le document d’AI insiste aussi sur les accords passés avec les autorités locales, les chefs de tribu et certains groupes armés, afin de les inciter à intensifier les contrôles aux frontières sud du pays. Et ce, malgré les nombreux témoignages indiquant de fréquentes collusions entre trafiquants et autorités libyennes. Malgré l’accablante accumulation de preuves de complicité des autorités européennes dans les exactions subies par les exilés en Libye, les accusations d’AI risquent peu néanmoins de trouver une traduction juridique. « Il faudrait pour cela qu’une personne ayant subi, en Libye, le type de traitements décrits puisse déposer une plainte auprès d’une Cour internationale, explique Jean-François Dubost, spécialiste de la question migratoire à AI France. Mais nous pouvons tout de même espérer que des agences de l’ONU, comme le Haut-Commissariat aux réfugiés ou le Comité contre la torture du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, se saisissent du dossier pour diligenter une enquête. » Et d’ajouter : « Le gouvernement français, en feignant de s’indigner après le reportage de CNN sur l’esclavage, tient un double langage. S’il veut être cohérent, il doit dénoncer la coresponsabilité des Européens dans les sévices endurés en Libye par les exilés. » Lors du sommet sur les migrations, organisé à Paris à la fin du mois d’août 2017, il s’est au contraire attaché à encourager les politiques européennes encore à l’œuvre aujourd’hui.

Des exilés à relocaliser

Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU a lancé hier un appel urgent pour la création d’ici à fin mars 2018 de 1 300 places de réinstallation pour des réfugiés bloqués en Libye. « C’est un appel désespéré à la solidarité et à l’humanité, a déclaré Volker Türk, du HCR. Nous devons faire tout notre possible pour que des réfugiés extrêmement vulnérables quittent la Libye dès que possible. »

Journaliste
 
SOURCE/ LHUMANITE.FR
Tag(s) : #actualités
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