Le parti des livres

Stéphanie Chevrier. La créatrice de la maison Don Quichotte est une éditrice discrète, tenace. Et la compagne d’Olivier Besancenot.


Par EDOUARD LAUNET


 

La jolie jeune femme dont les traits se dessinent en haut de cette page est une sinistrée d’Internet. Les quelques centaines de pages dans lesquelles Google déniche son nom contiennent, pour la plupart, soit des informations erronées, soit des calomnies. «C’est l’un des plus hauts salaires de l’édition mais c’est surtout une habituée des médias», lit-on. Ou encore : «Dirigeant une armée d’attachées de presse, elle a certains moyens de pression et de rétribution, ce qui incite sans doute les journalistes à plus de modération dans les attaques.» Ces gentillesses copiées-collées de site en site s’achèvent sur cette perle : «Tous ces faits sont strictement exacts, je vous incite à en parler autour de vous, puisque la presse française oublie de faire son travail.»

Mais la presse a fait son travail, remontant jusqu’à la source ou du moins le principal relais de cette campagne de désinformation : un olibrius proche du FN. Stéphanie Chevrier est la victime collatérale d’un tir de barrage dirigé contre le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, qui se trouve être son compagnon à la ville. La «grande bourgeoise» qui était censée faire vivre le facteur de Neuilly dans le «luxe» a grandi dans une cité d’Epinay-sur-Seine, mère secrétaire, père évaporé peu après la naissance. Elle a ensuite connu des pavillons des Yvelines et de Seine-Saint-Denis. Mais de collège en lycée, Stéphanie a aussi découvert les livres, portes entrebâillées sur d’autres mondes, et ces objets formidables sont devenus pour elle les véhicules d’une ascension sociale qui ne l’a hélas pas encore propulsée aussi haut que le voudrait la rumeur. Stéphanie Chevrier, 41 ans, dirige depuis quelques mois sa propre maison d’édition, Don Quichotte, qui fait d’assez jolis débuts.

Discrète, réservée, exigeante, tenace, l’éditrice vous fait parler avant de consentir à parler à son tour. Au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble proche de la place Saint-Michel, où elle travaille seule avec une assistante, Stéphanie Chevrier égrappe avec méticulosité les faits saillants de sa vie. Cela commence à 6 ans avec un paquet au pied du sapin de Noël. Tristesse : ce n’est pas un jouet mais un livre. Joie : c’est Casse-Noisette, le conte d’Hoffmann. L’armée des souris voulait faire prisonnier le général Casse-Noisette, mais Stéphanie, pardon, Marie a jeté son soulier sur les souris et elles se sont enfuies. Cela continue à 15 ans avec le choc de Céline et de son Voyage… Puis ce sont les grands romans du XIXe, les français, les russes. Aujourd’hui plutôt les américains : thrillers de chez Sonatine, Steinbeck, Dos Passos et quelques autres jusqu’à William T. Vollmann. D’Hoffmann à Vollmann, on peut parler d’un apprentissage.

Bien, mais la vie hors du papier ? Ah là, c’est un terrain dont la cartographie reste indisponible, à l’exception de quelques croquis à main levée. A l’âge de 20 ans, après une licence de lettres à la Sorbonne, fuite vers le Pérou et la Bolivie avec le fiancé du moment. Puis liaison avec l’écrivain-chanteur Yves Simon, parmi d’autres. Enfin rencontre d’Olivier Besancenot en 2002 - ils ont un garçon de 6 ans - à l’occasion de l’édition d’un livre chez Flammarion. Mais attention, insiste l’éditrice - considérée avec suspicion par un milieu professionnel qui la trouve trop jolie pour être honnête - son cercle d’auteurs, elle se l’est construit toute seule.

Car Stéphanie Chevrier, juste après avoir soumis les souris, a entrepris de gravir la montagne de l’édition par sa face nord. Au retour de son escapade sud-américaine, la jeune femme voit par terre les fragments du cordon ombilical qu’elle vient de couper, et au-dessus d’elle l’Himalaya de sa vie rêvée. L’envie d’un métier dans les livres lui est venue dès le lycée, reste à voir comment le sort va distribuer les cartes. Résumons : petit boulot dans une société de production télé, qui se trouve être liée à Hachette-Carrère, éditeur qui fait dans le bouquin de people. Passage aux Editions n°1, toujours chez Hachette, où la préoccupation première n’est pas de dénicher un nouveau Proust. Une école où l’on découvre vite toutes les facettes du métier, commente l’apprentie. Le livre, n’est-ce pas d’abord un commerce ?

Lors d’un bref passage chez Calmann-Lévy, elle reçoit un coup de téléphone de Charles-Henri Flammarion qui l’invite à rejoindre sa maison. Avancez de trois cases, relancez les dés. Elle édite des auteurs aussi divers qu’Alexandre Lacroix, Florence Hartmann, Fatou Diome, Coline Serreau. Quelques romans, mais surtout des documents, sa spécialité. Qu’est-ce qu’un éditeur ? Quelqu’un qui sait faire travailler ces feignants d’auteurs. Comment se lie-t-on des auteurs ? Un réseau peut aider. C’est par Gérard Davoust, producteur qui fit démarrer un certain Yves Simon, que Stéphanie Chevrier rencontre Charles Aznavour, un soir dans sa loge du Palais des congrès. Le chanteur lui tend d’emblée deux feuillets relatant sa rencontre avec Piaf. C’est parti pour trois ans de travail et, à l’arrivée, l’autobiographie du grand Charles, le Temps des avants (2003), qui fait un joli carton.

C’est Aznavour qui, avec un nouveau livre de souvenirs (A voix basse), a signé en octobre 2009 le premier livre de la maison Don Quichotte, lequel vogue vers les 60 000 exemplaires. Depuis, il y a eu six autres titres, dont une bio d’Akhenaton et un bilan critique de la présidence Sarkozy par l’équipe de Mediapart, bouquins qui se sont bien vendus aussi.

Don Quichotte à l’assaut du libéralisme ? Pas vraiment. Stéphanie Chevrier, de sensibilité certes antilibérale, n’est encartée nulle part et ne milite pas. Elle a signé deux ou trois pétitions (notamment contre la Constitution européenne), a réfléchi un peu avec la Fondation Copernic, voilà tout. Avec Olivier, elle parle bouquins, mais pas des siens, en tout cas pas avant qu’ils soient publiés. Lui est plutôt essais politiques et livres d’histoire.

Son père, plus ou moins aventurier, vivrait du côté de la Thaïlande. Elle l’a connu, un peu, quand elle avait entre 11 et 14 ans. Ne l’a pas revu depuis. Stéphanie aime bien l’Auvergne, le Cantal en particulier et ses pays perdus. Est très branchée musique, de l’opéra jusqu’au rap. Olivier Cohen (l’Olivier) et Eric Hazan (la Fabrique) sont les éditeurs qu’elle admire le plus. Mais elle ne se sent ni la capacité d’aborder la littérature ni l’envie de se lancer dans le livre de combat, bien qu’elle ait envie de défendre des livres de conviction. L’amie du général Casse-Noisette et de Ferdinand Bardamu a réalisé son rêve : avoir sa maison à elle, même si son entreprise est filiale du groupe la Martinière (elle n’avait pas le capital pour se lancer) et que son catalogue ne lui appartient pas. Sa devise : «Never Explain, Never Complain». Ainsi ne nous dira-t-elle pas qu’elle a horreur d’être présentée en compagne de, ou en ex de. Elle voudrait que l’on ne parle que de l’éditrice. Il lui reste à trouver son identité.


Source : Libération

Tag(s) : #lectures
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