Syrie : chronique d'une impossible révolution Twitter

Une centaine d'opposants blessés, quatre morts, plusieurs douzaines de manifestants arrêtés chaque jour… Pourquoi les grands médias boudent-ils la tentative de révolte des Syriens ? Vendredi, des milliers de personnes se sont rassemblées dans la ville de Deraa. Des manifestations ont aussi eu lieu à Homs et à Banias, sur la côte. (Voir la vidéo de la manifestation de Banias)


A Damas, la capitale, des manifestants dont on ignore le nombre, ont été dispersés à coups de bâton par des agents de sécurité en civil déployés en masse devant la mosquée des Omeyyades.

Depuis novembre, la Syrie faisait figure de belle endormie au milieu des mouvements de révolte qui secouaient le monde arabe. La faible croissance de l'économie syrienne n'a pas permis l'émergence d'une classe moyenne dans les centres urbains, qui aurait pu, a l'instar de celle qui grossissait les rangs des manifestants égyptiens, défier la caste des fonctionnaires et autres militaires du régime en place.

« Attaqués par des sbires progouvernementaux »

A la différence de la Tunisie, l'immolation du jeune Hasan Ali Akleh, le 26 janvier, pourtant suivie d'un appel à manifester sur Facebook pour un « Jour de rage » le 4 février, n'a pas rencontré d'écho. L'omniprésence des services de sécurité syriens dans les espaces publics et le verrouillage des médias empêchent toute forme d'expression populaire collective.

Ahed al Hendi (qu'on peut suivre sur Twitter) récemment libéré de prison, écrivait début mars sur son blog politique :

« Lorsque les militants prodémocratie syriens ont osé manifester leur solidarité avec les Egyptiens et Tunisiens tués parce qu'ils se sont révoltés contre leurs dictateurs, ils ont été attaqués par des sbires progouvernementaux […].

Un groupe de 200 manifestants a été violemment attaqué par les forces de sécurité syriennes pour avoir manifesté pacifiquement. »

L'espace virtuel aussi verrouillé que l'espace public

Vendredi, après la grande prière, les manifestations ont pris une nouvelle tournure, quand les forces de l'ordre ont ouvert le feu sur les manifestants a Deraa, causant la mort de quatre civils.

Si les manifestants sont étouffés dans l'espace public, l'espace numérique n'en est pas moins étriqué. Les opérateurs de téléphonie mobile et d'Internet sont dirigés par des acteurs privés, tous proches du régime de Bashar al-Assad. De plus, ils travaillent en collaboration avec les services de renseignement et de sécurité, réduisant encore davantage l'espace de liberté potentiellement accessible aux citoyens.

En raison du retard significatif de la Syrie en matière d'accès aux nouvelles technologies de l'information, les manifestants ne peuvent prétendre utiliser largement les réseaux sociaux comme en Tunisie, dont l'audience reste aujourd'hui très limitée.

C'est pourtant Facebook qui sert de plateforme de contestation, via notamment une page intitulee « La revolution syrienne contre Bashar al Assad 2011 » qui compte au jour du 19 mars 2011 plus de 56 000 membres.

Les villes qui se sont enrichies sont les plus rebelles

Bachar al-Assad n'a pas toujours été impopulaire parmi les jeunes Syriens. Dès son arrivée au pouvoir en juin 2000, le fils cadet de Hafez al-Assad, ophtalmologue de formation, désigné comme successeur après la mort accidentelle de son frère aîné, avait su convaincre l'appareil politico-militaire d'imposer de nombreuses réformes d'envergure, ouvrant l'économie syrienne sur l'extérieur.

Mais après avoir goûté aux libertés économiques, le peuple syrien s'enhardit aujourd'hui à demander l'élargissement des réformes aux droits politiques. Il est particulièrement frappant de voir que l'agitation touche avant tout des villes comme Baniyas et Deraa qui, situées sur la plaine côtière industrialisée ou aux frontières, ont particulièrement bénéficié de la transition économique.

Dans le pays le plus pauvre du Proche-Orient, les réforme n'ont pas convaincu socialement. Surtout, le président a déçu. Alors que plus de la moitié de la population est âgée de moins de 30 ans, le mécontentement de la jeunesse est à la hauteur des attentes que les réformes de 2005 avaient suscitées.

Si l'on en croit la conclusion tranchée de la dernière note de blog de Ahed al-Hendi : « La Syrie a besoin de sa propre place Tahrir. »

 

Source : RUE 89

Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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