La corruption, fléau d'une Europe en crise
Voilà un phénomène face auquel les citoyens européens ne restent pas de marbre : la corruption. Un rapport de la Commission européenne présenté lundi, le premier qui concerne la lutte contre la corruption, dévoile que celle-ci prend plus d'ampleur depuis le début de la crise et estime qu'elle coûte 120 milliards d'euros chaque année à l'UE (1% du PNB).
Qu'entendre par corruption ? Au sens large, le mot désigne l' « abus de pouvoir aux fins de profit personnel ». Le rapport englobe ainsi les prises illégales d'intérêt, les favoritismes, le crime organisé, les fraudes financières et fiscales, le blanchiment, etc., mais ne se focalise que sur le pouvoir politique. Presque pas un mot sur le lobbying des entreprises, les trafics d'influence ou encore... la corruption au sommet de l'Union Européenne !
Deux sondages inclus dans le rapport indique que 76% des européens estiment que la corruption s'est étendue dans leur pays ; 56% d'entre eux notent qu'elle s'est accélérée ces trois dernières années. Enfin, un européen sur douze dit avoir été témoin ou victime d'un fait de corruption.
Or, comme l'explique Cecilia Malmström, commissaire européenne aux Affaires intérieures, « la corruption sape la confiance des [citoyens] dans les institutions démocratiques et l’État de droit, nuit à l'économie et prive les pouvoirs publics des recettes fiscales dont ils ont besoin ».
> Tour d'horizon des pays
La corruption n'épargne aucun pays mais les touche à des niveaux différents. Elle investit visiblement peu les pays nordiques : le Danemark, la Finlande et la Suède semblent les plus à l'abri du phénomène. Le jugement est mitigé en Europe de l'Ouest : en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, plus en Estonie, où un habitant sur deux trouve que leur pays est en proie à la corruption mais où seuls 6% ont été témoins du phénomène.
C'est dans les pays du Sud, ainsi qu'en République Tchèque et en Lituanie, que la corruption semble la plus marquée. Presque tous les habitants de ces pays (95 à 99%!) trouvent que la situation s'est dégradée au cours des douze derniers mois. Et pour cause, la corruption ne touche pas une petite élite mais la population entière. Un jugement d'autant plus troublant que ce sont les Italiens, les Grecs ou les Espagnols qui ont été les plus affectés par les politiques d'austérités et les plans d'aides européens.
> La France corrompue à quel niveau ?
La France est une élève moyenne en matière de corruption, située en milieu de tableau entre les pays nordiques exemplaires et les cancres méditerranéens. Elle est classée au 10ème rang européen pour l'efficacité de ses contrôles (selon Banque mondiale, 2012) et la perception des dangers (selon Transparency International, 2013).
Cependant, le rapport note que la France n'a pas pris de disposition concernant la corruption dans le secteur des marchés publics et des transactions commerciales internationales. Pourtant, elle a fait vœu de mieux prévenir les conflits d'intérêts, en particulier chez le personnel politique et les agents publics (loi sur la transparence).
Tout étant relatif, les Français pensent à 62% qu'il faut des amitiés en politique pour réussir dans ses affaires, et 58% pensent que les pots-de-vin sont chose courante dans la classe politique, locale ou nationale. Les entreprises ont aussi leur mot à dire : six sur dix estiment que la corruption, notamment en brouillant les principes de la concurrence, fait obstacle aux affaires.
> La corruption : quels responsables ?
Cecilia Malmström (photo), note que c'est d'abord le secteur des marchés publics qui est affecté, secteur qui regroupe tous les projets immobiliers et d'infrastructure et qui représente 20% du PIB européen. La corruption y est d'autant plus importante qu'elle est... « autorisée » ! La faute à une législation floue ouverte à toutes les combines.
Le secteur de la santé est, semble t-il, le deuxième a être corrompu. Le public prend de plus en plus conscience du poids de l'industrie pharmaceutique, parfois plus soucieuse de santé financière que de santé tout court.
> Un crime impuni
Les États européens, dans une sorte de laisser-aller, semblent estimer qu'il n'y a pas le feu au lac. Certaines lois se contredisent au point que des procédures retardent l'aboutissement d'une enquête : rigidité des règles d'accès aux informations bancaires ou immunité diplomatique repoussent sans cesse à plus tard les condamnations – qui n'ont parfois jamais lieu.
De fait, en France, seules 42 personnes ont été poursuivies pour favoritisme ou prise illégale d'intérêt en 2009. Un nombre descendu à 28 l'année suivante... alors que la corruption est censée avoir augmenté. Le délit d'enrichissement illicite ne semble pas non plus affoler la justice, car seules douze affaires ont été dénoncées... pour tomber ensuite aux oubliettes, puisque classées sans suite. Idem pour les cas de corruption internationale, sans plus d'effet dissuasif. Comme le met en avant le rapport : « Par exemple, des personnes reconnues coupables ont été condamnées à des peines de prison avec sursis et des amendes ne dépassant pas les 10 000 euros ».
Ce ne sont pas de simples corrections de cet acabit qui remédieront à l'euroscepticisme.
Le sentiment d'une corruption généralisée s'est accentué avec la crise. Ici, comparaison avec les chiffres de 2003.
SOURCE / MEDIAPART