En Egypte, les droits des salariés sur la pente raide – Une vague « sans précédent de harcèlement, de licenciement et d’emprisonnement des leaders des travailleurs »"
 
30 avril 2014
 

Après deux ans de progrès relatif, les salariés égyptiens ont de plus en plus de mal à faire entendre leurs voix.

Tareq est un membre élu du syn­dicat indépendant des tra­vailleurs à l’Université améri­caine du Caire, un syndicat qu’il a créé avec ses collègues en 2012. Aujourd’hui, il n’est plus le leader enthou­siaste qu’il était deux ans auparavant. A ce moment, il avait réussi à doubler les salaires des travailleurs, après deux grèves réussies et des négociations difficiles, mais toutes les négociations qu’il a menées récemment pour augmenter le salaire minimum ont échoué. « Le vent ne tourne plus à notre avantage », regrette-t-il.

Que ce soit à cause des mauvaises condi­tions économiques ou en raison de la transi­tion politique chaotique, il semblerait que Tareq et ses collègues de l’AUC ne soient pas les seuls à éprouver des difficultés pour convaincre leur boss d’augmenter les salaires. En 2011 et 2012, les demandes d’augmentation salariale n’étaient pas reje­tées. « En revanche, au cours des deux der­nières années, presque toutes les négocia­tions dans lesquelles je me suis engagé ont échoué », affirme Fatma Ramadan, numéro deux de l’Union des syndicats indépendants, créée en 2011. Elle note que les employeurs acceptent les demandes lorsqu’ils sont soumis à des pressions politiques, puis, ils tentent de se dérober. Dans tous les cas, ajoute-t-elle, il y a une vague « sans précédent de harcèlement, de licenciement et d’emprisonnement des leaders des travailleurs ».

En 2013, le nombre de protestations pour rai­sons socioéconomiques a atteint le record de 7 000, selon le Centre égyptien des droits éco­nomiques et sociaux. Ce chiffre avait nettement reculé après la destitution du président Mohamad Morsi, pour repartir à la hausse avec le début de l’année 2014. En janvier dernier, il y a eu une cinquantaine de protestations ouvrières dans une dizaine de gouvernorats, ce qui a obligé le gouvernement à démissionner. Cependant, la plupart des revendications n’ont pas été satis­faites. Pour le premier ministre, Ibrahim Mahlab, la situation économique n’est pas favo­rable à une hausse des salaires. Mais pour Fatma Ramadan, ce revers en ce qui a trait aux droits ouvriers s’explique par le fait que ces droits gagnés au lendemain de la révolution, comme le salaire minimum et autres, n’ont jamais été ins­titutionnalisés. Résultat : ils sont tombés dans l’oubli. L’Union des syndicats indépendants est un bon exemple. « Des dizaines de milliers d’employés et d’ouvriers ont créé des syndicats indépendants, mais la loi sur la liberté syndi­cale n’a jamais été approuvée par les trois régimes qui se sont succédé depuis 2011 », affirme Fatma.

Ceramica Cleopatra est un exemple vivant de revendications ouvrières non satisfaites. Le pro­priétaire de l’entreprise a dû signer un « accord collectif » avec les ouvriers qui prend la force d’une loi en vertu de la législation égyptienne. C’était sous la pression des grèves de 2013 et l’intervention des représentants de l’armée. Les travailleurs accusaient la police et les officiels de l’armée qui gèrent la région de Suez – où est située l’usine - de protéger les intérêts d’Aboul-Einein, milliardaire et ancien ami de Moubarak. Après la dernière grève, certains leaders ouvriers ont été arrêtés. Mais la grogne a continué et les représentants de l’armée se sont posés en média­teurs pour conclure un accord selon lequel Aboul-Einein s’engage à payer aux ouvriers une part des profits dictés par la loi, mais qu’il n’a jamais payés, en plus d’une compensation men­suelle contre les risques industriels de 900 L.E. Cependant, Aboul-Einein n’a pas tardé à inten­ter un procès contre ses ouvriers, les accusant de l’avoir forcé à signer cet accord en menaçant sa vie.

Les ouvriers en Egypte n’ont jamais réussi à obtenir leurs droits sans protestations. « Il n’y a pas de droits sans révoltes », affirme Fatma, qui a une longue expérience. Elle explique que c’était toujours la norme avant la révolution. Il y a toujours eu des négociations. Plus les ouvriers sont organisés, et mieux sont les résul­tats des négociations. « La grève a alerté la direction qu’elle devait s’asseoir avec nous. Ce sont les négociations qui nous ont donné nos droits », raconte Tareq, chef de la maintenance à l’AUC, en expliquant l’avantage des négocia­tions collectives.

L’Organisation Internationale du Travail (OIT) définit la négociation collective comme étant « un processus de négociations entre l’em­ployeur et l’employé qui détermine la relation du travail, particulièrement les salaires, les conditions et les normes du travail ». L’Organisation onusienne attribue à ce proces­sus beaucoup d’avantages : « Il est associé à des salaires moyens plus élevés et à moins d’inéga­lités salariales », d’après son Rapport mondial sur les salaires de 2010. Les études aussi prouvent que les négociations collectives mènent effectivement à mieux lier les salaires à la croissance.

En Egypte, cependant, les négociations collectives n’ont réussi que temporaire­ment. Il est remarquable que les employeurs étaient plus disposés à répondre aux demandes ouvrières dans les mois qui ont suivi la révolution de 2011. « C’est comme si la trajectoire de la révolution et les droits du travail étaient juxtaposés. Nous témoi­gnons à présent d’une pente descendante pour les deux », note Fatma. Achraf, un collecteur de factures d’électricité, se sou­vient de ce temps non lointain où les protes­tations successives des ouvriers ont mis à l’écart trois directeurs de l’Organisme de distribution de l’électricité, où il travaille, parce que les employés les accusaient de corruption. Les employés qui ont formé un syndicat indépendant le lendemain de la révolution ont également réussi à faire payer aux employés des millions de livres en bonus qui étaient exclusivement réservés aux hauts responsables.

En résultat, Achraf a vu son salaire passer de 400 L.E. à 700 L.E.

En 2011, les syndicats indépendants ont pous­sé comme des champignons. Et quasiment toutes les protestations ont connu une fin relati­vement heureuse, se rappelle Fatma. Par consé­quent, même si le salaire minimum approuvé en 2011 n’a profité qu’à 2 % des employés de la fonction publique et n’a guère inclus le secteur privé, les protestations et les négociations qui ont suivi ont créé un effet positif. Par exemple, à l’AUC, 800 ouvriers ont signé des contrats permanents, ont vu leur salaire doubler pour atteindre 1 200 L.E. et ont eu des assurances sociales et médicales. Beaucoup de syndicats « officiels », c’est-à-dire créés et parrainés par l’Etat, ont été poussés à améliorer leur soutien aux ouvriers, sous la pression de la concurrence. Mohamad, jardinier à l’AUC qui avait été inter­viewé par l’Hebdo en 2012, affirme : « On nous regardait avec mépris, comme si nous n’étions pas dignes de nos droits. Maintenant, si vous avez un problème avec votre supérieur, vous n’avez pas peur de présenter une plainte for­melle contre lui ».

Salma Hussein


* Al Alhram Hebdo du 30 avril 2014 : http://hebdo.ahram.org.eg/NewsConte...

Mis en ligne le 30 avril 2014
 
SOURCE / ESSF
Tag(s) : #Monde arabe - Israël
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