Dans un entretien exclusif avec Herodote.net, l'historien Emmanuel Todd analyse l'évolution de l'Union européenne et dit son intention de ne pas aller voter le 25 mai, pour la première fois de sa vie. Un choix raisonné et, de son point de vue, civique...

 

Par ses travaux sur les structures familiales, Emmanuel Todd est l'un des principaux historiens de sa génération. C'est aussi un témoin engagé de son époque qui peut se flatter de n'avoir jamais été pris en défaut dans ses nombreux essais. Volontiers provocateur, il s'est attiré quelques inimitiés par ses interventions dans la presse et à la télévision mais rares sont les contradicteurs qui s'estiment assez armés pour lui faire front.

 

Herodote.net : À vous lire, on peut se demander si vous avez le don de prophétie. En 1976, à 25 ans, votre coup d'essai fut un coup de maître car vous avez annoncé dans La Chute finale l'effondrement à moyen terme du système soviétique sans connaître pour autant l'URSS.

 

http://www.eteignezvotreordinateur.com/wp-content/uploads/2010/09/todd.jpgEmmanuel Todd : Je vais vous l'avouer, il n'y a rien de miraculeux là-dedans ! Je fais simplement un peu plus attention que d'autres aux chiffres qui traînent partout. Par exemple, mon intuition sur La Chute finale est venue de ce que la mortalité infantile en URSS était en train de fortement remonter. C'est un phénomène exceptionnel et j'y ai vu l'effritement du système. J'en ai conclu que le pouvoir soviétique était condamné à brève échéance.

 

Plus récemment, en pleine guerre froide irano-américaine, j'ai pronostiqué avec mon ami Youssef Courbage l'entrée dans la modernité de l'Iran et de plusieurs pays arabes (Le Rendez-vous des civilisations, 2007). Ce n'était pas difficile, il suffisait de regarder le nombre d'enfants par femme et le pourcentage d'étudiantes à l'université. En adoptant une rationalité familiale proche des standards occidentaux, ces peuples étaient prêts à se convertir aussi à une nouvelle rationalité démocratique et politique.

 

En ce qui nous concerne, c'est différent. En écrivant L'invention de l'Europe, en 1990, j'ai pris conscience de l'extrême diversité anthropologique de notre continent et j'y ai vu l'illusion de réduire l'Europe à une construction étatique. Gardons-nous de sacrifier notre diversité car elle est la clé de notre dynamisme.

 

Pour cette raison, bien que partisan de l'Union européenne, j'ai voté Non au traité de Maastricht qui lançait la monnaie unique et, en 1995, quand mon livre a été réédité, je me suis hasardé à écrire dans la préface : « Soit la monnaie unique ne se fait pas, et L'Invention de l'Europe apparaîtra comme une contribution à la compréhension de certaines impossibilités historiques.


Soit la monnaie unique est réalisée, et ce livre permettra de comprendre dans vingt ans pourquoi une unification étatique imposée en l'absence de conscience collective a produit une jungle plutôt qu'une société.  »

 

Herodote.net : Nous y voilà ! Vous avez donc aussi voté Non au référendum sur le Traité constitutionnel en 2005 ?

 

Emmanuel Todd : Eh bien, pas du tout ! Quand la monnaie unique est arrivée, j'ai voulu faire preuve d'optimisme en bon citoyen européen et j'ai voté Oui au référendum. Mais la réalité nous a tous rattrapés...

 

Cela dit, j'ai été scandalisé par le viol du suffrage universel qu'a représenté le passage en force du traité constitutionnel sous le nom de Traité de Lisbonne. J'y vois un tournant historique avec le basculement dans une forme de post-démocratie. L'oligarchie s'assoit sur le suffrage universel... comme en Afghanistan où l'on affecte de prendre au sérieux des scrutins dont on sait pertinemment qu'ils sont massivement truqués. Nos parlementaires sont certes mieux élus mais ils n'ont pas plus de respect pour leurs électeurs et n'ont rien à faire de leur avis. Quand la révolte des Bonnets rouges a éclaté en Bretagne, les élus locaux n'ont rien vu venir et ils ont choisi de détourner les yeux ou de condamner les manifestants. Les discours sur la « fracture sociale » ou le « monde de la finance » ne servent que le temps d'une campagne. Rien à voir par exemple avec les débuts de la IIIe République en France.

 

Ce fossé entre les élus et les électeurs est bien plus grand encore au Parlement européen en raison du scrutin de liste à la proportionnelle, qui fait qu'on ne choisit pas une personne mais une étiquette, et plus encore parce que ce Parlement ne sert à rien !

 

Herodote.net : Le Parlement européen ne sert à rien ? Vous exagérez ?

 

Emmanuel Todd : Pas du tout. Voyez donc. Qu'il s'agisse de la crise financière ou des enjeux géopolitiques en Ukraine ou en Afrique, c'est au Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement, à la Banque Centrale Européenne et à la Commission européenne que se prennent toutes les décisions. Et c'est la Commission européenne qui détient le droit d'initiative alors que, dans toute véritable démocratie, il revient au Parlement.

 

Nous avons affaire à un « Parlement Potemkine », un vernis démocratique pour un système qui ne l'est pas. En toute confidence, les députés eux-mêmes ne se font pas beaucoup d'illusions. En réunion autour d'un verre avec d'anciens députés, ceux-ci ne m'ont parlé que de la maison qu'ils avaient pu acheter grâce à leurs indemnités !

 

Je constate que la Nation demeure le seul lieu au sein duquel nous pouvons faire valoir nos opinions par le vote. Et c'est le seul lieu où nos votes peuvent encore peser sur les choix de société.

 

Participer aux élections européennes n'a pas plus de sens pour moi que de voter aux États-Unis... quoique, si l'on me permettait d'échanger mon droit de vote au Parlement de Strasbourg contre un droit de vote aux présidentielles américaines, je choisirai ce dernier car, par son pouvoir de décision, le président américain a plus d'influence sur ma vie que les députés européens !

En conséquence, j'ai choisi de ne pas aller voter le dimanche 25 mai. Je ne veux pas apporter ma caution à une institution non démocratique et proprement illégitime.

 

Herodote.net : Comment ? Mais s'abstenir, ce n'est pas un comportement civique ! Et ce n'est pas comme ça que vous ferez bouger les choses ! Au moins, vous pourriez choisir de voter avec un bulletin blanc.

 

Emmanuel Todd : Voter blanc, c'est signifier que l'on croit en ce système et qu'il suffirait de changer le personnel pour l'améliorer et le démocratiser. Mais c'est une illusion. Même Le Monde, porte-parole des européistes, l'admet : tout ce qu'on peut attendre des élections, c'est de passer d'une orientation de centre droit à une orientation de centre gauche ! Que l'on vote ou non, cela ne changera rien au fonctionnement des institutions européennes, de la BCE comme de la Commission. Celles-ci continueront de tourner au-dessus nos têtes en ignorant le Parlement, ses députés et ses électeurs, de quelque parti qu'ils soient.

 

Ces institutions n'empêchent d'ailleurs pas les nations et les égoïsmes nationaux de s'exprimer. Quand le britannique BAE et le franco-allemand EADS ont voulu se rapprocher pour créer un géant européen de l'aéronautique, Angela Merkel y a mis son veto pour préserver les emplois allemands... En géopolitique, c'est encore plus net : chaque gouvernement agit selon ses intérêts en habillant ceux-ci d'une vague résolution européenne. La France agit seule en Afrique tandis que l'Allemagne mène la danse en Russie. Ce n'est pas un hasard si quatre des sept observateurs européens retenus en otage en Ukraine étaient Allemands.

 

S'abstenir, c'est signifier que l'on n'est pas dupe de la mascarade. C'est dénoncer l'européisme béat des partis classiques. C'est aussi dénoncer le Front National en mettant en évidence son appartenance au système. L'abstention massive aux élections européennes, si elle se vérifie, aura une conséquence pour le moins positive : elle témoignera de ce que la nation demeure le seul échelon démocratique au sein duquel peuvent s'affirmer les solidarités.

Propos recueillis par André Larané pour Herodote.net, le 12 mai 2014

 

SOURCE / comité pour une nouvelle résistance

 

Une intelligence artificielle dirige un fonds de pension
Pierric Marissal
Vendredi, 16 Mai, 2014
Un algorithme vient d’être nommé au conseil d’administration d’un fonds de pension de Hong Kong. Si les machines ont déjà amplement pris la place des traders sur les marchés, c’est la première fois qu’une intelligence artificielle va les diriger.

C’est logique, au fond. Si, dans le trading haute fréquence, les machines sont considérées comme plus fiables, rapides et rationnelles que les traders humains pour échanger des milliards de dollars sur les marchés, la place de tels algorithmes en conseil d’administration peut froidement se révéler tout aussi efficace. Deep Knowledge Ventures est un fonds de pension à haut risque, spécialisé dans les investissements dans le domaine de la santé et la biotechnologie. Comprendre qu’ils spéculent sur les médicaments, particulièrement contre le cancer, et les maisons de retraites, cliniques privées et traitements personnalisés. Selon leur site, ils se spécialisent dans la lutte contre les effets du vieillissement et la recherche en médecine « régénérative ».

VITAL (pour Validating Investment Tool for Advancing Life Sciences, littéralement outil de validation des investissements dans la science pour les progrès de la vie) est le nom de l’intelligence artificielle promue au conseil d’administration de ce fonds. C’est un algorithme assez classique dans le monde du trading haute fréquence. Même si son nom a pour but d’inspirer d’avantage confiance que celui de ses homologues qui sévissent sur les marchés (Ambush, Cobra, Guerilla, Ninja…). Il fonctionne sur une énorme base de données, ici spécialisée dans le domaine de la santé, comme des rapports financiers, cas cliniques ou encore l’état des brevets, qu’il est capable de croiser en une fraction de seconde. Il peut ainsi réagir bien plus vite qu’aucun humain à chaque nouvelle information. Deux décisions d’investissement auraient ainsi déjà été prises depuis la nomination de l’algorithme à ce poste. VITAL dispose d’une voix au conseil d’administration, tout comme ses cinq collègues humains. Si la machine n’est pas présente physiquement lors des réunions, tous les sujets à l’ordre du jour sont accompagnés de ses rapports, analyses et suggestions.

VITAL devrait petit à petit évoluer. Si pour l’heure, il se contente d’être principalement un gros algorithme d’analyse apte à faire des propositions, des équipes de développeurs de l’entreprise anglaise Aging Analytics Agency se concentrent pour le doter de capacités d’apprentissage et le rendre de plus en plus autonome. Le faire évoluer en ce qu’on nomme un algorithme génétique, au fonctionnement inspiré de Darwin. Ce type d’intelligence artificielle est capable de lancer des actions (stimuli) plus ou moins au hasard, permettant de faire évoluer en temps réel ses paramètres. Ceux produisant de bons résultats survivent et se reproduisent, ils mutent lorsque cela est nécessaire. Les autres disparaissent. Ainsi l’algorithme développe sa propre expérience, son propre bagage génétique, pour poursuivre la métaphore. Vital pourrait être à terme tout à fait capable de prendre en main les activités de tout patron, comme la rédaction et la présentation des bilans financiers aux actionnaires. Ou de rationaliser à l’extrême la gestion de l’entreprise, et tant pis pour l’humain.  

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