Après mai 68, les seventies furent une décennie de luttes et de résistances pour la gauche radicale. Le champ des possibles semblait alors particulièrement ouvert. De grands noms sont encore aujourd'hui vivaces. Le Larzac, Creys-Malville, le Joint Français... et Lip bien entendu.

 

Lip c'est l'histoire d'un long conflit, mais aussi l'histoire d'une ville, Besançon où se situait cette usine de fabrication de montres célèbres en 1973. Quand des menaces de licenciement se mirent à circuler, les 1300 salariéEs ralentissèrent les cadences, un premier geste original peu fréquent à l'époque, en dehors des luttes ouvrières italiennes. Cela permettait de s'organiser. Après le dépôt de bilan en avril, l'usine fut occupée dès le mois de juin et ce fut alors la mise en place des fameuses commissions de travail. Les salariés en lutte rejettant le plan de sauvetage ministériel et optant pour l'autogestion, décidant de reprendre la production à leur profit :

 

"On fabrique, on vend, on se paie"

 

Une belle devise.

 

Les montres se vendent alors un peu partout dans l'hexagone.

En août l'intervention des CRS radicalisent les positions. Des comités LIP fleurissent et c'est une marée humaine de 100 000 personnes qui défile sous des trombes d'eau dans Besançon le 29 septembre 1973.

 

Cette année de résistance est demeurée dans la mémoire collective. C'est cette belle histoire sociale, politique mais aussi humaine que nous racontent Laurent Galandon et Damien Vidal, en choisissant de nous faire partager la vie de Solange, jeune ouvrière qui comprend la nécessité de défendre son outil de travail malgré l'opposition de son compagnon. Souvent, quand une lutte est longue et d'un haut niveau d'intensité, elle fait bouger les lignes politiques, mais aussi transforme les vies des acteurs. Jour après jour, l'usine fonctionne en autogestion, sans avoir besoin de patron, et Solange affirme son autonomie. Deux mouvements parallèles très bien rendus dans l'album.

 

Laurent Galandon, à l'origine photographe, publia son premier album en 2006, "L'envolée sauvage", et plus tard chez Dargaud "Quand souffle le vent" et "La Vénus du Dahomey". Quant à Damien Vidal, après une formation d'enseignant en arts appliqués, il dessine en 2005 les décors de la BD "Alex et Liza", "Les 7 Sherlock" publiée dans le magazine Okapi, avant d'écrire et de dessiner "Le Fil", un album publié en 2010 aux éditions Jarjille.

 

L'album, "Lip, des héros ordinaires", nous rappelle également que cette lutte ouvrière fut une lutte de femmes, dans cette décennie très marquée par les mouvements féministes (MLF, MLAC, Groupe de femmes...). La grande majorité des salariés de LIP étaient des femmes. Le choix de suivre Solange était donc judicieux, car pendant que les salariés remettaient en cause la nécessité du patronat dans une usine, les femmes remettaient en cause leurs rôles dans la société gaulliste de l'époque. Un slogan contestataire résumant bien cette situation :

 

"oui papa, oui chéri, oui patron"

 

Une très belle réussite afin de garder dans toutes les mémoires cette lutte ouvrière emblématique.

 

Dan29000

 

Lip, des héros ordinaires

Laurent Galandon et Damien Vidal

Préface de JL Mélenchon

Noir et blanc, couverture cartonnée

2014 / 176 p / 19,99 euros

En librairie depuis le 21/03

 

 

Tag(s) : #lectures
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