Nous débutons notre cinquième rentrée littéraire avec un des moments forts dans cette avalanche de romans qui laisse toujours les libraires perplexes noyés par ce flot. Il y a juste deux ans, Thierry Beinstingel nous avait enchanté avec son précédent roman "Ils désertent", et comme nous sommes ici du genre fidèle, nous attendions avec une certaine impatience son nouveau roman.

 

Faux nègres, donc.

 

C'est une photographie d'un village de la France que l'on dit profonde...

Un village qui lors de la dernière présidentielle a donné 70 % de ses voix à l'extrême droite. Et 85 % aux dernières européennes.

Un petit village assez banal, dans l'est de l'hexagone.

La banalité du mal, comme nous la décrivait Hanna Arendt.

Les médias se déplacent alors pour tenter d'examiner pourquoi.

Pourquoi ce village ?

Pourquoi ce résultat ?

Pas vraiment facile de répondre à ces questions. C'est pourtant ce que va tenter de faire Pierre, de retour après vingt ans au Moyen-Orient. Son éloignement de la France lui permettant d'éviter les clichés habituels. Il débarque donc sur les lieux, accompagné d'un preneur de son aveugle.

 

En 130 chapitres aussi brefs que denses, Pierre enquête avec toujours cette lancinante questions, pourquoi ? Le journaliste, hébergé dans un gîte rural, va rencontrer le maire et des habitants de ce village que l'on nommera ICI. Sur le village, comme sur toute la région planent les fantômes de Rimbaud (souvent présent dans les romans de Thierry Beinstingel), de Jules Ferry... Les derniers agriculteurs disparaissaient. Malgré la tendance du retour à la campagne concrétisée par l'arrivée de quelques jeunes couples, aucune nouvelle classe ne s'ouvrait, aucun commerce non plus. Les fameuses "Trente Glorieuses" étaient devenues lointaines. Une sorte d'engourdissement s'était emparé du village où les habitants vont souvent éluder les questions de Pierre. L'espoir est ailleurs, on ne sait d'ailleurs pas trop où, car ICI on met parfois en cause l'immigration... enfin disons l'insécurité ! Vieux fantasmes exploitables par d'habiles politiciens venus d'ailleurs. Et puis ICI, on a la chance d'avoir une pierre, une pierre pré-historique, enfouie sous l'église. Où se loge parfois l'identité !

 

Mais quoi d'autre pour vivre vraiment ?

 

Du règne de l'agité au Kärcher, au règne de "l'homme-à-tête-de-chérubin", les propos convenus se ressemblent, genre "Il faut se rassembler"... Mais rien ne change d'années en années pour ceux qui habitent ICI.

 

L'enquête de Pierre va se poursuivre, jusqu'au moment où... un drame va surgir.

 

Si les essais ne manquent pas depuis déjà de nombreuses années sur cette montée de l'extrême-droite dans l'hexagone, et dans toute l'Europe, de rares livres permettent de mieux saisir le mal qui se propage, dont les élections ne sont que la partie visible de l'iceberg. Comme "Autopsie d'une inquiétude" de Bernard Turle, qui n'était pourtant pas un roman, "Faux nègres" nous permet de mieux ressentir la vraie source de cette peste brune qui, progressivement, s'empare du pays. Un pays sclérosé à l'odeur de moisi, comme le disait déjà un célèbre romancier français, il y a plus de dix ans. Un roman qui ne cède rien à la littérature, un roman qui parle de notre histoire, mais aussi d'une actualité récente.

 

Thierry Beinstingel confirme donc son grand talent de romancier.

 

Dan29000

 

Faux nègres

Thierry Beinstingel

Éditions Fayard

2014 / 422 p / 20 euros

Photo de couverture Raymond Depardon

En librairie  le 20/08

 

Tag(s) : #lectures
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