Pourquoi faut-il taxer le capital, annuler la dette et prendre d’autres mesures complémentaires ?

 

Compte rendu de la première partie du Séminaire sur la dette illégitime organisée à l’Université d’été européenne des mouvements sociaux

 

25 août par Owen Chartier

 

Ce mercredi 20 août se déroulait - dans le cadre de l’Université d’été européenne des mouvements sociaux organisée par ATTAC à Paris - la première partie d’un séminaire intitulé : « Dettes illégitimes des États : pourquoi et comment les annuler ? ».

 

Menée par Thomas Coutrot (porte parole d’ATTAC France et membre du CAC France – Collectif pour un audit citoyen de la dette française) et Eric Toussaint (président du CADTM Belgique et membre d’ACiDe - Plateforme pour un audit citoyen de la dette en Belgique), cette conférence a servi à prolonger le débat survenu entre David Graeber et Thomas Piketty, deux hommes opposés sur les solutions de sortie de crise : l’un prône l’annulation de la dette, l’autre propose de taxer le capital. Prenant le contre-pied de cette discussion, les intervenants, et à travers eux les organisateurs du séminaire |1|, ont démontré la nécessaire complémentarité de ces deux mesures. Celles-ci s’inscrivent dans un plan plus large de transition économie et sociale, d’où l’intitulé de ce premier volet du séminaire : « Pourquoi faut-il taxer le capital, annuler la dette et prendre d’autres mesures complémentaires ? ».

 

Intervention de Thomas Coutrot

1) Retour sur le déclenchement et la « gestion » de la crise financière de 2007-2008

Suite à la crise financière de 2008, les gouvernements ont mis en place des politiques de relance et sauvèrent les banques. Cette politique de relance dure entre 2008 à 2010. A partir de 2010, les gouvernements appliquent des politiques d’austérité, en utilisant le prétexte de l’augmentation de la dette publique. Cette dette qui a largement augmenté du fait de ces sauvetages bancaires est passée en moyenne de 70 à 90 % du PIB dans la zone euro. Rappelons que les pays de la zone euro sont contraints de se financer sur les marchés financiers (à cause des traités européens qui interdisent aux Etats d’emprunter directement auprès de la BCE), marchés financiers qui imposent des taux d’intérêts vertigineux aux pays qui ont vu une nette augmentation de leur dette. En Italie et au Portugal, les taux d’intérêts dépassent par exemple les 10 % par an. Les gouvernements décident alors de durcir les politiques d’austérité pour réduire cette dette. Or, ces politiques ont un effet récessif très fort (de 1 à 2 points de PIB). Au cœur de ces politiques, on trouve la notion de « dévaluation interne » (vocabulaire du FMI). L’idée est la suivante : pour rétablir leur compétitivité, les pays doivent faire baisser les prix intérieurs, soit les salaires, les prestations sociales et les dépenses publiques. Ces dévaluations ont été pratiquées de façon systématique pour rassurer les marchés financiers.

En réalité, ces politiques de restriction budgétaire approfondissent la crise et nous font entrer dans une situation de déflation (en moyenne, les prix ont chuté de 1 %). C’est une situation unique depuis les années 30’. La récession s’aggrave et le chômage augmente tout comme les dettes publiques. Le fait que les responsables politiques et les économistes conventionnels soient bien au fait de ce mécanisme nous conduit à penser que ce projet est bien un projet de classe mené par la bourgeoisie européenne.

2) Sur la politique menée par le gouvernement Hollande

Le président français fait le contraire de ce qu’il a promis. Il avait annoncé plus de solidarité européenne, la fin des politiques d’austérité, etc. Or, il fait tout l’inverse. Même au sein du PS, il y a une opposition croissante à la politique du gouvernement. Une centaine de députés de la majorité s’abstiennent sur les questions relatives au budget ou aux réformes centrales. C’est une première dans l’histoire de la Ve République. Malgré tout, Laurent Fabius, actuel Ministre des affaires étrangères et du commerce extérieur de la France, vient de déclarer que si le gouvernement changeait de politique « les marchés ne manqueraient pas de sanctionner la France ».

3) Comment faire face à la dette publique ? Le débat entre économistes

Nombreux sont les économistes qui prennent pour exemple la gestion de la dette publique après la seconde guerre mondiale. La France avait alors une dette équivalant à 200 % du PIB. La réduction s’est opérée grâce à l’inflation et la croissance économique (l’inflation dévalorise le stock de dette tandis que la croissance économique permet de dégager des ressources financières pour payer la dette). Pour une partie du groupe des « économistes atterrés », nul besoin de poser le problème de la dette : la solution passe par la croissance économique qui fera baisser le chômage, augmenter les salaires et donc l’inflation. D’un autre côté, les économistes du CAC France (Collectif d’audit citoyen de la dette publique française) pensent que la croissance est un problème et non une solution, car elle conduit aujourd’hui à une crise écologique. Il faut une répartition juste des richesses. Au sein du FMI, certains économistes préconisent de taxer le capital pour rembourser une partie de la dette. Cette position reste toutefois vivement critiquée au sein du FMI.

La dette illégitime est une dette contractée par les pouvoirs publics contre l’intérêt général.

Alors que ces économistes du FMI proposent une taxe unique à hauteur de 10 % du patrimoine, le CAC exige l’instauration d’une taxe progressive (et permanente) sur les patrimoines, qui soit fortement progressive sur les hauts patrimoines. Le CAC exige également l’annulation de la dette illégitime (qui représente environ 59 % de la dette française selon son dernier rapport). La dette illégitime est une dette contractée par les pouvoirs publics contre l’intérêt général. Sur la question de la dette illégitime, certains rétorquent que ce sont des parlements élus démocratiquement qui ont voté les lois et qu’on ne pourrait donc pas contester la légitimité de cette dette.

Intervention d’Eric Toussaint

Eric Toussaint souligne qu’un compromis est possible : la taxation progressive du capital et l’annulation des dettes illégitimes sont des mesures complémentaires qui s’inscrivent dans un plan plus large pour une transition écologique et sociale.

1) Identification des différents types de dettes en vue de leur annulation

Dette illégitime : La dette illégitime est une dette contractée par les pouvoirs publics contre l’intérêt général. Cette dénomination fait état d’une situation où des gouvernements dits « légaux », en raison de l’organisation d’élections, posent des actes illégitimes. Eric Toussaint rappelle que même certains créanciers comme la banque Natixis mentionnent la notion de « dette illégitime » dans une de ses brochures intitulée « Y a-t-il une dette publique illégitime ? ». À l’instar du CAC en France, une Plateforme d’audit citoyen de la dette (ACiDe) s’est mise en place en Belgique dans de nombreuses villes. Pour le CADTM, il est nécessaire de garder le cap de la dette illégitime car c’est un concept politique relié à la notion d’intérêt général utile à la mobilisation citoyenne.

Dette illégale : Des gouvernements « légaux » peuvent aussi contracter des dettes illégales. A titre d’exemple, en Belgique, le gouvernement s’est associé avec la France et le Luxembourg pour sauver la banque Dexia, avec un accord de garantie couvrant 50 milliards d’euros d’emprunts de Dexia (au cas où la banque ne peut tenir ses engagements envers ses créanciers), soit 15 % du produit intérieur de la Belgique. L’acte est illégal car il fut posé par arrêté royal, une procédure interdite par la Constitution belge. Le CADTM a ainsi posé un recours en annulation de cette garantie publique avec ATTAC Bruxelles et ATTAC Liège devant le Conseil d’Etat. Mais en mai 2013, le gouvernement belge a fait adopter par le Parlement fédéral une loi qui transforme l’arrêté royal en loi, nous prouvant ainsi que cet arrêté était donc bien illégal. En dépit de cette nouvelle loi, la garantie reste bien illégitime.
En Grèce, le parlement n’a pas pu débattre, comme le prévoit la Constitution grecque, sur le contenu du mémorandum imposé par la Troïka (Commission européenne, BCE et FMI). On peut donc également parler dans ce cas de dettes illégales.

Dette odieuse : Ce concept implique des violations caractérisées de droits fondamentaux. Suite au mémorandum de 2010 en Grèce, le commissaire européen des Droits de l’Homme a établi un rapport sur l’impact des droit humains des politiques d’austérité (en Grèce mais aussi au Portugal et dans d’autres pays). Le rapport fait état des violations de conventions internationales et nationales (abrogées en Grèce par le mémorandum). La dette est aussi odieuse parce qu’elle est dictée par des institutions non mandatées. A titre d’exemple, la BCE intervient constamment sur les relations contractuelles employeurs-travailleurs, bien que ce ne soit pas dans ses statuts.

Dette insoutenable : pour le CADTM, une dette insoutenable survient quand un gouvernement mène, au nom du remboursement de la dette, des politiques qui affectent l’exercice des droits humains fondamentaux (droit à paix publique, santé, éducation, etc...).

2) Contenu général du plan de transition écologique et sociale

Nous listons ici quelques mesures urgentes pour sortir de la crise et avancer vers la justice sociale : stopper les plans d’austérité, appliquer des mesures d’annulation de dettes, faire payer la facture par ceux qui en ont profité (grandes sociétés financières, notamment) et rembourser les petits porteurs de dettes (les ménages), renforcer le système de répartition et nationaliser les fonds de pension privés.

Sur la fiscalité, un impôt progressif sur le patrimoine est nécessaire, ainsi qu’un impôt exceptionnel sur les plus fortunés. Piketty recense que le patrimoine privé des ménages européens s’élève à 70 000 milliards d’euros, et que le 1 % le plus riche possède 25 % de ce patrimoine. Un impôt de 1 % sur ces personnes permettrait ainsi de récolter un montant supérieur au budget annuel de la commission européenne, un rendement très élevé qui rendrait possible la mise en place de politiques de transition.

Il est aussi indispensable de socialiser les banques. Il faut enfin prendre des mesures sociales au niveau européen mais avant tout refonder l’Europe, ce qui passe par l’abrogation de certains traités en vigueur.

Notes

|1| CADTM Belgique, ATTAC Espagne, CADTM France, la campagne en Pologne Nie Nasz Dlug (« Ce n’est pas notre dette »), CADTM Grèce, ATTAC-CADTM Maroc, RAID-ATTAC-CADTM Tunisie, Jubilé UK, ATTAC Norvège, CAC France.

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SOURCE / CADTM

Tag(s) : #actualités
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