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Leur amour aura duré six ans, jusqu’à ce que la mort les sépare… puis les réunisse. Diarmuid et Julie avaient 14 ans quand ils se sont rencontrés et ils ne se sont plus quittés. A Dungannon, dans le comté de Tyrone, ils se retrouvaient aussi souvent que possible dans les lieux réservés aux catholiques et se juraient un amour éternel dans leurs lettres et leurs poèmes. Ils n’envisageaient pas la vie l’un sans l’autre et avaient prévu d’annoncer leur décision de se marier. Mais, dans la nuit du 3 janvier 1993, des hommes de l’UVF (Ulster Volunteer Force) – la milice protestante – font irruption dans l’épicerie familiale et abattent Diarmuid et son père, Patrick Shields. La mère et les autres enfants échappent de justesse à la tuerie. « Cibler la famille Shields dans un endroit aussi reculé, explique Brian Rowan, journaliste à la BBC, visait à passer un message à la communauté catholique dans son ensemble : “Vous n’êtes en sécurité nulle part. Nous pourrons toujours vous atteindre.” » Dans ce triangle de la mort, où des dizaines de républicains catholiques furent abattus au cours des années 1980-1990, l’UVF bénéficie du soutien de l’armée britannique et de la police. Aujourd’hui encore, les haines restent vives : « Selon moi, c’était la conséquence de la collusion, de l’étroite collaboration entre les gens des forces de sécurité, la police, l’UDR (Ulster Defence Regiment) et l’armée, se remémore Seamus Malone, ancien vice-Premier ministre d’Irlande du Nord et artisan du processus de paix. Ils donnaient des informations, souvent erronées, pour faciliter ce genre de meurtres, comme celui qui a eu lieu chez les Shields, au lieu de protéger la population. » L’ancien major UDR Ken Maginnis, lord et député, a une autre version des faits : « Je connaissais Pa Shields, c’était un membre de l’IRA… Son magasin était la couverture idéale pour aller et venir. C’était quelqu’un de très dangereux. »
Depuis la répression sanglante de la marche pacifique des catholiques d’Irlande du Nord par l’armée britannique le 5 octobre 1968, le conflit s’est radicalisé entre catholiques et protestants. A Belfast, il est symbolisé par les murs de béton qui divisent les quartiers ouest et est, d’où s’épient et s’affrontent les deux clans. L’IRA (Irish Republican Army) porte l’étendard de la lutte de la minorité catholique pour la reconnaissance de leurs libertés de citoyens d’Irlande du Nord. Celle-ci a choisi de rester fidèle à la Couronne britannique lors de l’indépendance de l’Irlande en 1921. Mais les discriminations dont sont victimes les catholiques et les premiers événements violents font basculer le pays dans la guerre civile. Les Troubles, c’est ainsi qu’on les nomme, ont causé la mort de 3 524 personnes.
Mais un chiffre reste inconnu : les morts de chagrin. Un mois après l’assassinat de l’amour de sa vie, Julie Statham met fin à ses jours. « Personne n’est allé en prison pour la mort de Diarmuid et Patty Shields, se révolte encore aujourd’hui Michelle Gildernew, députée du Sinn Féin. Pour moi, Julie est aussi une victime du conflit. Et les coupables sont toujours libres. » Dans une lettre qu’elle avait fait publier dans le journal local quelque temps avant son suicide, Julie écrivait : « Je crois maintenant qu’on peut mourir d’avoir le cœur brisé. Je suis morte il y a dix jours. Mes fonctions corporelles sont toujours intactes, mes émotions se sont tues, en sommeil. Je veux savoir pourquoi le soleil continue de briller, pourquoi la mer se brise sur les côtes. Ne savent-ils pas que c’est la fin de mon monde ? »
Durée 52’
Auteurs Arnaud Hamelin et Frédéric Tonolli
Réalisateur Frédéric Tonolli
Production Sunset Presse, avec la participation de France Télévisions
Année 2013