Quand on lit beaucoup depuis longtemps, il n'est pas aisé de s'étonner, pourtant cela peut arriver. C'est le cas avec Prends garde. Un objet littéraire hors norme, à l'intersection entre le roman et le récit historique, une des belles surprises de cette rentrée littéraire de janvier.

 

C'est l'histoire d'une révolte.

 

Une révolte de paysans affamés dans une petite ville italienne des Pouilles, Andria.

Juste après la guerre, en mars 1946. Des coups de feu sont tirés depuis la propriété des quatre sœurs Porro. Les manifestants vont alors investir les lieux et lyncher deux d'entre elles.

 

C'est à la fois peu, et beaucoup.

 

Car ces sœurs vivaient en dehors des soubresauts de la guerre, de la chute de Mussolini et des métamorphoses en cours dans cette partie de l'Italie. Riches, elles vivaient pourtant pauvrement, des jours de célibataires, faits de broderies et parfois de messes, bien loin des luttes de classe environnantes et du vide politique ambiant au niveau de l'État.

 

Tuées parce que propriétaires.

 

Ceci étant les faits bruts, issus d'une petite partie de l'histoire italienne.

 

D'abord la romancière sarde, Milena Agus (Mal de pierre) nous donne à lire le roman des sœurs Porro, brossant avec son talent habituel, l'intimité de ces vies de recluses, dans cette vaste propriété figée dans un autre siècle. Vieilles filles pas belles et timides, délaissées par les hommes et par l'histoire, elles vont se retrouver en première ligne de l'histoire, sans le vouloir.

 

Ensuite la journaliste Luciana Castellina, 86 ans (à l'origine de la création du mouvement et du journal Manifesto) contextualise l'évènement, le débarquement allié, la dissolution du parti fasciste, la venue des réfugiés et les révoltes paysannes dans les Pouilles. Elle nous donne à comprendre les faits historiques qui aboutissent à la mort des deux sœurs Porro.

 

Donc une histoire de femmes, racontée et documentée par deux femmes. Deux approches très différentes, mais en définitive complémentaires, qui évitent la répétition et qui démontre au lecteur fasciné, que la fiction n'est pas si loin de l'histoire, et inversement. Ce drame historique oublié, illustrant les remous d'hier, a pourtant des résonances très actuelles, illustrées par son titre issu de "Carte d'identité" du grand écrivain palestinien Mahmoud Darwich. L'Italie est aujourd'hui en première ligne face à ces milliers de réfugiés politiques ou économiques, déferlant aux frontières de cette Europe chaque jour plus barricadée.

 

Étrange et fascinant livre où le roman et l'histoire sont publiés tête-bêche, laissant au lecteur le choix de la clé pour entrer. Originalité et subtilité. Une lecture indispensable pour bien débuter cette année.

 

Dan29000

 

Prends garde

Milena Agus, Luciana Castellina

Traduit de l'italien par Marianne Faurobert et Marguerite Pozzoli

Littérature étrangère

Éditions Liana Levi

2015 / 176 p / 17 euros

 

 

 

 

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