| Par Laura Raim | 20 mars 

 

Radio France : les raisons de la coupure de son

 

Les salariés de Radio France sont entrés jeudi dans une grève illimitée pour dénoncer les projets de restructuration qui menacent aussi bien des centaines d’emplois que la qualité du service public radiophonique. Les enjeux du mouvement en cinq points.

 

Serait-ce l’effet des 100.000 euros de rénovation somptuaire du bureau du PDG Mathieu Gallet ? L’appel à la grève illimitée, la troisième à Radio France depuis un mois, a en tout cas été bien plus suivi ce jeudi que celui de la semaine dernière. Si la matinale de France Inter a été assurée normalement, les autres stations, parmi lesquelles France Info et France Culture, ont vu leurs programmes remplacés par des bandes musicales continues. Lors de la conférence de presse précédant l’assemblée générale jeudi matin, la CFDT, la CGT, le SNFORT, SUD et l’UNSA – mais pas le syndicat principal des journalistes le SNJ – étaient tous présents pour interpeller le gouvernement et leur direction quant aux projets de restructuration et d’externalisation qui menacent aussi bien les emplois que la qualité du service radiophonique.

Pourquoi faire grève maintenant, alors que les syndicats n’ont pas encore tous les éléments ?

L’État actionnaire et Radio France négocient actuellement en toute opacité un nouveau contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2015-2019. Ces discussions prennent du retard, le ministère de la Culture attendant les conclusions d’un rapport de la Cour des comptes sur la gestion de la radio publique, prévu pour début avril. Mais la direction a déjà indiqué vouloir réaliser 50 millions d’économies afin de compenser le déficit de 21,3 millions d’euros prévu pour cette année et les syndicats estiment que s’ils attendent de connaître le contenu exact du COM, il sera trop tard pour empêcher la mise en œuvre des plans de restructuration.

Comment expliquer que, pour la première fois de son histoire, le budget de Radio France soit en déficit ?

Ce déficit est la conséquence d’un effet de ciseau : d’un côté, les recettes, qui proviennent à 90% de la redevance audiovisuelle, sont en légère baisse, l’État ayant réduit la part de la taxe reversée à la radio. Austérité oblige, le montant perçu devrait ainsi plafonner à 601 millions d’euros cette année au lieu de 610 millions en 2012. Par ailleurs, Radio France a perdu, après une collaboration de vingt ans, le contrat qui la liait avec la fréquence d’autoroute 107.7.

D’un autre côté, les dépenses augmentent fortement. La contribution audiovisuelle finance désormais à 100% RFI, France 24 et TV5 Monde, pour un coût de 325 millions d’euros qui était auparavant pris en charge par le Ministère des affaires étrangères. Alors que la taxe Copé servait jusqu’à présent à compenser la suppression de la publicité sur France Télévision, cette dotation publique a été revue à la baisse en juillet. Celle-ci passant de 292 millions en 2014 à 29 millions en 2017, il revient donc à la redevance de compenser le manque à gagner, ce qui laisse moins d’argent pour la radio. Quant à la masse salariale, elle augmente mécaniquement, de 4 millions par an. Mais les dépenses qui grèvent le plus le budget sont celles qui sont liées au chantier de réhabilitation du bâtiment, entamé en 2009. 66,1 millions sont alloués cette année à la poursuite des travaux, dont le coût final avoisinerait les 584 millions d’euros pour une fin prévue en 2018, contre 333 millions initialement prévus. La livraison d’une partie des travaux de réhabilitation en 2014 fait par ailleurs grimper la taxe foncière. Ainsi, contrairement à ce que prétend Mathieu Gallet, le déficit ne révèle pas que le système est « arrivé en bout de course »

Comment la direction compte-elle revenir à l’équilibre ?

Surtout en réduisant les coûts. Matthieu Gallet entend faire 50 millions d’économies, sur un budget annuel de 664 millions. Plusieurs pistes sont évoquées dans une feuille de route distribuée aux cadres de la Maison lors d’un séminaire fin janvier. Une mesure consensuelle est d’arrêter la diffusion en ondes longues et moyennes. Mais les syndicats redoutent que le plus gros des économies passe par la réduction de la masse salariale, qui représente 60% du budget total. D’après le rapport de la députée Martine Martinel, elle a augmenté de 26% entre 2004 et 2012 (pour une hausse du nombre de salariés de 3,7%). Les syndicats craignent la suppression de 300 à 400 postes sur 4.300 salariés. Certaines branches d’activité semblent particulièrement menacées : l’Orchestre national de France, l’un des deux de Radio France, pourrait fusionner avec le Philharmonique ou bien être transféré au théâtre des Champs-Élysées sous l’égide de la Caisse des dépôts et consignations. Certaines stations à faible audience, comme Le Mouv’, Fip ou encore France Musique se sentent également vulnérables. Au-delà des suppressions de postes, c’est la qualité des émissions qui risque de pâtir d’une baisse générale des moyens pour les reportages et des restructurations visant à rendre les personnels plus “polyvalents”.

Radio France ne pourrait-elle pas accroître ses recettes propres ?

C’est difficile puisque la publicité est actuellement limitée à une cinquantaine de millions d’euros par an venant d’annonceurs publics ou d’intérêt général. Et les radios privées se sont mobilisées contre l’assouplissement de cette règle. D’autres options sont envisagées, comme la monétisation des podcasts. Mais la direction souhaite surtout continuer de développer la location des orchestres pour des événements corporate et des locaux pour des défilés de mode, des assemblées générales d’entreprises ou des tournages de film. Un dévoiement de l’espace et des moyens du service public que fustigent les syndicats.

Les syndicats proposent-ils d’autres moyens de faire des économies ?

Ils exigent en premier lieu de revoir dans le détail le projet de réha­bilitation, qui est le premier responsable de la dérive budgétaire, et éventuellement de limiter les travaux aux seuls besoins de la mise en sécurité du bâtiment. Ils évoquent notamment la construction imminente d’une porte d’entrée monumentale et d’un nouveau hall qui impliquent de casser plusieurs étages et de faire déménager des centaines de salariés dans des bureaux à louer… Une rénovation au coût faramineux qui ne vise même pas à améliorer la qualité des programmes radiophoniques puisqu’elle est conçue pour améliorer l’offre événementielle à destination des entreprises privées... Comme le résume un musicien de l’orchestre : « On refait le flacon et on paie les frais avec le parfum qui est dedans. »

 

SOURCE / REGARDS.FR

Tag(s) : #actualités
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