La déchéance de nationalité est une déchéance de la démocratie.
Actualisation du 24 décembre: F. Hollande et M. Valls ont donc décidé de maintenir la déchéance de nationalité dans les projets gouvernementaux. Ce choix a peu à voir avec la lutte contre le terrorisme et beaucoup à voir avec des manoeuvres politiciennes en direction de la droite. C'est ce qu'indique M. Valls lui-même en présentant la mesure: " L'efficacité - et tout le monde l'aura compris depuis cette annonce - n'est pas l'enjeu premier. C'est une mesure à caractère hautement symbolique..."
Le symbole est donc celui de la discrimination et de l'atteinte au principe du droit du sol, car comme l'avait déclaré la veille de cette annonce la ministre de la justice C. Taubira: «Cette déchéance de nationalité sur des personnes nées françaises, qui appartiennent depuis leur naissance à la communauté nationale, ça pose un problème de fond sur un principe fondamental qui est le droit du sol, , et qui est, dans l'histoire de la construction de la communauté française sur une base civique, un pilier fondamental". C'est ce qui est contenu dans le texte ci-dessous, qui rapelle l'importance de ces principes, mis en cause par le FN et la droite depuis 30 ans.
Désormais chacun (e) se trouve placé face à ses responsabilités. Chaque député, chaque sénateur se réclamant de la gauche, sera amené à voter et nous l'espérons à rejeter ce projet discriminatoire. Les arguments sont connus et ce sont d'ailleurs ceux qu'ont utilisé F. Hollande et M. Valls lorsqu'ils s'opposaient en 210 aux projets équivalents de Sarkozy.
Pour notre part, dans la continuité de notre engagement antiraciste, nous appellons à la mobilisation immédiate pour la défense du droit du sol, pour le rejet de la déchéance de nationalité. Avec de nombreuses associations et avec toutes les personnes désireuses de réagir à cette déchéance de démocratie, nous seront présents et ne céderons pas.
Memorial 98
La "déchéance de nationalité", y compris pour des personnes nées en France, fera-t-elle partie du projet de loi constitutionnel promu par le gouvernement et F. Hollande ? Les manœuvres semblent se multiplier autour de cette calamiteuse proposition, qui établit une inégalité entre les citoyens français, selon qu'ils disposent ou pas d'une autre nationalité. Manuel Valls fait dire par des échos de presse qu'il faudrait renoncer à cette mesure qu'il a pourtant approuvé et mis en avant. Notons qu'il avait auparavant pris la responsabilité du renvoi aux calendes grecques de l'obtention du droit de vote des étrangers.
Le 1er décembre, le Conseil d’État a été saisi par le gouvernement, pour avis, d’un projet de loi visant à consolider juridiquement l’état d’urgence et, en particulier, à autoriser cette déchéance de la nationalité, y compris pour des Français nés en France et disposant d’une autre nationalité, dès lors qu’ils auraient été condamnés pour terrorisme. Ils seraient ensuite évidemment expulsés.
Le Conseil d’État a semble-t-il choisi de ne pas se prononcer sur cette mesure et de la renvoyer à la décision du gouvernement. Le prétexte d'une "censure" du Conseil d’État est ainsi évacuée et le gouvernement et F. Hollande se retrouvent placés devant leurs responsabilités; ils doivent immédiatement et définitivement retirer cette mesure.
Parmi toutes les mesures d'ordre sécuritaire envisagées au lendemain des attentats, celle concernant la déchéance de nationalité est particulièrement nuisible et effrayante.
Elle provoque déjà un immense malaise à gauche alors que le Front National ainsi que la direction des Républicains s'en félicitent. Comme l'a rappelé comme nous l'avions noté ici) : Même Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS a été contraint de se démarquer, en déclarant: «Ce n'est pas une idée de gauche, ce n'est pas la gauche qui a mis ça à l'ordre du jour». C'est en effet une proposition émanant du FN et de la direction de LR, mais c'est bien F. Hollande qui l'a mise en avant au lendemain des attentats du 13 novembre (et
D’ailleurs Marine Le Pen s' était félicitée de ce qui apportait de l'eau à son moulin, à la veille des élections régionales du 6 et 13 décembre : « Quand vous voyez un président de la République tourner le dos à toutes les idées qui étaient les siennes et reprendre les mesures du FN, il y a un côté étonnant, un hommage au FN, qui se retrouve crédibilisé »,
Que contient le projet, tel que F. Hollande l'a lui-même présenté devant le Congrès à Versailles dès le 16 novembre? Il a déclaré ce jour-là :
"Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s' il est né Français. Je dis bien même s'il est né Français, dès lors qu'il bénéficie d'une autre nationalité", a insisté le président.
Ainsi afin de se donner un profil de fermeté et plaire à la droite et au FN, F. Hollande semblait prêt à remettre en cause les principes d'égalité et de non-discrimination.
Or, la législation française a depuis toujours accepté la binationalité. L’inscription dans la Constitution ou dans la loi de deux catégories de Français produirait des effets destructeurs sur le statut et les droits de tous ceux qui pourraient être la cible d'une déchéance de nationalité et d'ailleurs aucun effet réel contre le terrorisme.
Auparavant seuls le Front National et la droite radicale avaient mis en cause l'égalité des citoyens binationaux.
C'est Jean-Marie Le Pen qui avait inauguré ce style d’attaque dès 1989. Le 5 décembre de cette année là, à la télévision (chaîne la 5), Le Pen débat avec Lionel Stoleru (alors secrétaire d'Etat chargé du Plan), sur le thème du travail au noir.
Il commence par demander à son interlocuteur s'il a la double nationalité (israélienne) ... en faisant ainsi allusion à ses origines juives.
En 2007 le dirigeant d’extrême droite s’en prend à R. Dati dans ces termes : " question à Mme Dati: est ce que vous avez la nationalité marocaine, ou est-ce que vous avez la nationalité française? Vous devez choisir. Si vous choisissez la nationalité étrangère, vous serez des étrangers, respectés en France, mais selon le statut des étrangers sans les avantages que moi je crois devoir réserver aux Français… »
De Villiers candidat du MPF à la présidentielle de 2007, avait lui aussi inscrit à son programme" l'interdiction de la double nationalité".
En 2011 Marine Le Pen marche dans les pas de son père. Elle dénonce la candidate écologiste Eva Joly, d'origine norvégienne, au prétexte de sa double nationalité et lui conteste le droit de se présenter à l'élection présidentielle de 2012. Elle utilise pour cela la rhétorique classique de l’extrême-droite française en déclarant :
"Quand on est candidat à la présidentielle (...) il faut avoir un lien charnel avec notre pays, avec notre peuple. Je trouve profondément indécent que quelqu'un qui est devenu français à 20 ans, qui a la double nationalité, puisse poser sa candidature... Il faut supprimer la double nationalité"
La défense du droit du sol à donné lieu à de très importantes mobilisations durant toutes les années 1980-1990. La droite et le FN ont entamé la remise en cause du Code de nationalité dès les années 1980. La gauche et le mouvement antiraciste se sont mobilisés pendant plusieurs années, aboutissant à une manifestation nationale contre le projet de réforme du code de la nationalité qui a rassemblé plus de 50 000 personnes à Paris, le 15 mars 1987, sous le mot d'ordre "Faut pas décoder!"
Les théories du Front National avaient été installées dans la panoplie de la droite dans les années 1980, par l’intermédiaire du Club de l’Horloge.
Ce club, qui se positionnait comme une passerelle idéologique entre le FN et la droite, écrivait dès 1984 : « Aujourd'hui le code de la nationalité est une machine à fabriquer des "Français de papier", qui n'ont ni assimilé notre culture ni affirmé leur attachement à la patrie. Pour maintenir notre identité nationale, il est urgent de réformer cette législation. Le Club de l'Horloge, qui a lancé ce débat dans l'opinion, décrit ici la réforme qu'il faudra réaliser tôt ou tard… »
La mise en pratique de ces théories fut concrétisée par Chirac et Pasqua, en 1986, lors du retour de la droite aux affaires.
Elle fut symbolisée par la tentative de supprimer le traditionnel droit du sol et le droit à la nationalité française pour les enfants nés en France et issus de parents étrangers. "Être Français, ça se mérite" disait déjà Pasqua. Dans cette bataille du code de nationalité, le gouvernement Chirac-Pasqua, qui pensait remporter une victoire décisive, fut contraint de reculer fin 1986, en raison des grandes mobilisations étudiantes contre la loi Devaquet et les « facs-Tapie ». L’épisode tragique de la mort du jeune Malik Oussekine, battu à mort par la police le 6 décembre de cette même année, symbolisa la violence contenue dans les projets gouvernementaux .
« La carte nationale d'identité n'est pas la Carte Orange (carte de transport de la RATP) », écrivait Jean-Marie Le Pen, qui siégeait à l’’Assemblée Nationale entre 1986 et 1988, dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi n° 82 « tendant à modifier le code de la nationalité française ».
En 1993, la droite reprit son offensive et imposa notamment une "déclaration de volonté" des jeunes nés de parents étrangers; l'absence de cette déclaration avant 18 ans supprimait leur accession automatique à la nationalité.
La remise en cause du code de nationalité constitue un marqueur historique de la convergence/concurrence de la droite avec le Front National. Elle est aussi au cœur de l’obsession de l’ « envahissement », distillée depuis des décennies.
L'UMP s'est ensuite prononcée en novembre 2011, pour un retour à la loi Pasqua de 1993 sur l'acquisition de la nationalité. Le parti majoritaire entend aussi mener, lors de la campagne présidentielle, une "bagarre sans concession" contre le projet du PS d'accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales.
"La carte d'identité, elle n'est souvent que la carte bancaire, voire la carte Vitale pour certains", déclarait le 10 Novembre 2011 le député Lionnel Luca (Droite populaire/UMP)
Ils voulaient ainsi remettre à nouveau en cause en vertu du droit du sol, - et de la loi Guigou de 1998 réformant la loi Pasqua de 1993 - tout enfant né en France de parents étrangers en séjour régulier devient, sauf refus de sa part, automatiquement français à sa majorité s'il vit en France ou a vécu en France pendant cinq ans depuis ses 11 ans. Désormais, selon la droite il devrait, à 18 ans, "en faire la demande" écrite.
A l'époque l’UMP, sous la houlette de Copé et de la Droite Populaire, envisageait de relancer la guerre du Code de nationalité et tenter de remettre en cause le "droit du sol", dont bénéficient chaque année 30 000 jeunes nés ici de parents étrangers.
La situation actuelle est marquée par la rupture instaurée par l'entrée dans la durée de l'état d'urgence. Au delà des atteintes extrêmement graves que l'état d'urgence porte à des principes fondamentaux de la démocratie, comme le principe de la séparation des pouvoirs, le message idéologique envoyé par le recours à un texte inique issu de la guerre colonialiste est la marque honteuse d'un ralliement aux obsessions identitaires. La déchéance de nationalité entre également dans ce cadre là, renvoyant évidemment à la thématique des "racines", seules aptes à déterminer qui est "vraiment' français et qui ne l'est pas.
Faut-il rappeler que des hommes comme Léon Blum, né en France, ont été attaqués, calomniés, traînés dans la boue pendant toute leur vie publique, puis persécutés par Vichy, au nom de "la terre et des morts", comme disait Maurice Barrès. C'est ce dernier, antidreyfusard enragé, qui synthétisa une opposition fondamentale entre la conception universaliste de la République et celle de la Nation "charnelle", qu'allaient utiliser tous les racialistes, tous les antisémites français pour propager la plus dangereuse des haines.
Toute concession à ces forces réactionnaires, toute atteinte à l'égalité des citoyens représentent une appui à leurs idées et à la démagogie raciste qui constitue l'essentiel de leur fond de commmerce.
C'est pourquoi la déchéance de nationalité doit être
MEMORIAL 98
Concernant l'état d'urgence, Memorial 98 est signataire de l'appel " Nous ne céderons pas" initié par la Ligue des droits de l'homme et repris par de nombreuses associations et organisations
SOURCE/ MEMORIAL98.ORG