Alexandre, bénévole aux Street Medics : « Les CRS sont désormais devenus une milice de l’Etat »

Manif du 14 juin - Raphael Depret - DR

Manif du 14 juin – Raphaël Depret / DR

 

TEMOIGNAGE – Alexandre est Street Medic : un de ces bénévoles qui parcourent les manifestations pour soigner les victimes de violences policières. Il était sur le pont lors de la manifestation du 14 juin. Gazette Debout a recueilli son témoignage.

Gazette Debout : Tu suis les manifestations contre la loi travail depuis le début. Quel est ton ressenti après celle du 14 juin ?

 

Alexandre : J’estime qu’il y a eu plus de violences directes que d’habitude. De nombreuses blessures qui témoignent de coups portés sur les manifestants avec des matraques, des grenades, des projectiles. Beaucoup de traumatismes crâniens ainsi que des plaies de trois à huit centimètres.

J’ai soigné une quinzaine de personnes. Même si on s’y attendait, c’est toujours trop. Et le gouvernement savait qu’il y aurait du monde  : il avait fait venir des compagnies de CRS des quatre coins de la France : Bretagne, Toulouse, PACA, Aquitaine. Dans une situation normale, les policiers sont présents pour encadrer la manifestation et pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Ce motif justifie leur présence en masse. Mais malheureusement, ils sont aujourd’hui devenus une milice de l’Etat, la milice du capital et de la loi travail. Ils ont perdu leur rôle, celui d’arrêter les cambrioleurs ou les violeurs. J’estime qu’un policier qui va inciter à la provocation sert un message politique et non le message pour lequel il est payé et s’est engagé en recevant son insigne.

 

Gazette Debout : Pourquoi as-tu choisi de t’engager en tant que Street Medic ?

Alexandre : A la fin du mois d’avril, j’ai été placé en garde à vue car j’avais un outil tranchant dans mon sac pendant une manif. Un objet que j’utilise en régie de théâtre et que je n’avais pas eu le temps de retirer. Les policiers n’ont à aucun moment respecté ma présomption d’innocence. Pendant que j’étais enfermé, j’ai alors vécu ce sentiment humain, cet ascenseur émotionnel de colère et d’indignation dans lequel je me suis imaginé que moi aussi je pouvais me mettre à casser. Parce que la seule réponse du gouvernement à la colère argumentée d’une population debout dans la rue, c’est le non dialogue et au-delà de ça ils ont recours à des outils vicieux, dissimulés et des procédures de répression contre la rébellion des consciences et pour étouffer la révolte.

 

Mais j’ai canalisé ma haine vers l’aide des autres. Car la colère est un sentiment irrationnel comme l’amour qu’on peut canaliser, oui, jusqu’à un certain point. J’ai de la chance, car je suis dans une situation de confort : je ne manque pas trop d’argent, j’ai un appartement, des parents qui peuvent m’aider, j’ai des rêves et des projets de théâtre. Mais certains n’ont rien de tout cela. Casser la vitrine d’une banque qui dupe le fisc, c’est pas plus violent que le suicide d’un chômeur s’immolant par le feu devant une agence Pôle Emploi ou bien aussi violent que la destruction de milliers d’emplois pour des raisons de rentabilité économique et de compétitivité. Pour moi, le capitalisme est une forme de terrorisme qui ne tue pas tout de suite. Il suffit de regarder comment le monde est devenu et toujours pour le même motif : le profit, qu’importe le prix. Oui, lorsqu’on prend en otage des millions de citoyens pour gonfler le tronc de la richesse, cela montre que nous ne sommes que des pigeons au bout d’une branche. Et quand on veut s’attaquer au tronc de l’arbre,  on ne s’y prend pas avec un bouquet de fleurs car il faudrait des milliards de fleurs et de pigeons. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je préfèrerais parler de « résistants contemporains » plutôt que ce mot de « casseurs ».

 

Gazette Debout : Comment arrives-tu à garder le moral face à tant de violences ?

Alexandre : Lorsque je suis rentré chez moi mardi soir, j’ai lu la presse, le dégoût m’a saisi la gorge et j’ai fini par pleurer… Le lendemain, j’ai eu besoin d’échanger avec des amis, « est-ce que c’est moi qui suis fou ou est-ce les autres ? » comme en riait Einstein. Je fais confiance aux citoyens mais j’ai surtout confiance au courage que peut apporter l’éveil des consciences. Comme disait Jaurès, « il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience. […] C’est en poussant à bout le mouvement économique que le prolétariat s’affranchira et deviendra l’humanité. » Je suis un réaliste pessimiste mais un rêveur optimiste. Je me nourris d’arts, de scène et de culture mais aussi d’amour, de sexe et de bon vin. Parvenir à s’affranchir, il y a plein d’outils pour cela. La presse en est un. Il faut que les médias arrivent à outrepasser la censure et l’outil de propagande pour éclairer une conscience en chacun de nous. Des faits non défaits et nous serons tous juges de notre conscience. C’est une nécessité, c’est aussi cela la liberté de la presse. J’ai croisé des journalistes indépendants, courageux, qui veulent mettre en lumière la réalité brute, accablante et, oui, déplaisante et délicate. Mais ceux qui travaillent pour des grands médias, même courageux et ayant l’esprit de lanceur d’alertes, sont soumis à la validation de leur rédaction. Ils ne peuvent pas faire grand chose dans l’immédiat. Les propos de Manuel Valls et de Francois Hollande ce mercredi montrent qu’ils sont à court de solutions mais ils ont de l’imagination pour la mise-en-scène…L’État rend hommage aux familles des vitrines ; nous rendons hommage au familles des victimes.

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En complément, cet article de Slate : Pourquoi les Street Médics sont-ils devenus indispensables.

 

Edit : Par rapport à la version originale, certaines citations ont été modifiées à postériori par Alexandre. 

GAZETTE DEBOUT

 

 

SOURCE/ GAZETTEDEBOUT.ORG

Tag(s) : #actualités
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