En direct sur France Culture : les aboiements de Laurent Joffrin contre Acrimed

, par Julien Salinguedimanche 26 février 2017

Voir en ligne : http://www.acrimed.org/En-direct-su...

 

 

 

Le jeudi 16 février, dans la matinale de France Culture, Henri Maler, pour Acrimed, était invité à débattre de cette question : « La défiance à l’égard des médias est-elle justifiée ? ». En deux temps : 20 minutes d’interview par le journaliste Guillaume Erner, suivies d’ un « débat » d’une vingtaine de minutes avec Laurent Joffrin, directeur de Libération.

Nous reviendrons dans un prochain article sur le déroulement de l’ensemble de l’émission et notamment sur ce qu’il nous enseigne quant à la possibilité de formuler une critique des médias comme la nôtre au sein même des grands médias. Mais il valait la peine de nous arrêter d’abord sur la prestation de Laurent Joffrin lors de son « débat » avec Acrimed, tant il a donné à voir ce que l’éditocratie peut produire de pire : arrogance, mépris, mensonges… le tout en déployant des efforts constants pour tenter d’empêcher son interlocuteur d’exprimer son point de vue.

Laurent Joffrin ne débat pas, il aboie

 

Quiconque a entendu jeudi 16 février la « discussion » entre Acrimed et Laurent Joffrin a constaté à quel point ce dernier a une conception singulière du débat. Ainsi, s’il s’est un peu moins exprimé, en temps cumulé, qu’Henri Maler, il a multiplié les interventions intempestives, destinées à empêcher son interlocuteur de développer ses arguments. Nous avons ainsi décompté 27 interruptions de Laurent Joffrin alors qu’Henri Maler s’exprimait, ce qui, rapporté au temps de parole total, représente, en moyenne, environ une interruption toutes les 20 secondes.

Le tout non pour exposer un argument ou dissiper un malentendu, mais pour entraver le raisonnement de son interlocuteur, tenter de lui faire perdre le fil de son propos et le déstabiliser.

Ainsi en va-t-il, dès le début de la séquence, alors qu’Henri Maler entend répondre à certaines accusations portées par Laurent Joffrin contre Acrimed – au cours d’une intervention où Laurent Joffrin n’a pas, lui, été interrompu.

On écoute :

 

 


Ce qui, donne, une fois retranscrit :

- Henri Maler : « […] Il y a des choses que je ne peux pas laisser passer, et en voici deux. La première c’est que monsieur Laurent Joffrin a des kilomètres de papiers d’expression dans les médias, des centaines, voire des milliers, d’heures d’expression dans les radios et les télévisions. C’est la première fois que… »
- Laurent Joffrin : « C’est mon métier, c’est normal. »
- Henri Maler : [Rires] « Oui. Défenseur du pluralisme… »
- Laurent Joffrin : « Vous savez, de faire "ahahaha oui", ce n’est pas un argument. C’est un argument un peu faible. »
- Henri Maler : « Écoutez je sais pour vous avoir… »
- Laurent Joffrin : « C’est un argument nul, même. »
- Henri Maler : « … Je sais pour vous avoir entendu que vous êtes un spécialiste de l’intervention arrogante et qui coupe systématiquement… »
- Laurent Joffrin : « Non je vous contredis… »
- Henri Maler : « … et qui coupe systématiquement… »
- Laurent Joffrin : « Permettez-moi de vous contredire, c’est dommage, c’est embêtant pour vous… »
- Henri Maler : « … et qui coupe systématiquement la parole à tous ses contradicteurs. »
- [Guillaume Erner : « Laurent Joffrin, s’il vous plait, laissez répondre Henri Maler. »]
- Laurent Joffrin : « Allez-y, parlez ». [Rires]
- Henri Maler : « C’est gentil… »
- Laurent Joffrin : « Je suis très gentil. »
- Henri Maler : « J’ai quelques minutes d’expression pour vingt ans, vous avez des heures d’antenne, il y a une inégalité structurelle qui est une inégalité fondamentale, il me faudrait des centaines… »
- Laurent Joffrin : « Mais vous avez qu’à vous porter candidat à l’élection pour être directeur. »
- Guillaume Erner : « Laurent Joffrin s’il vous plait, laissez parler Henri Maler ! »
- Henri Maler : « Il continue, hein… Et il s’étonne qu’on l’épingle. Arrêtez de jouer ce rôle de chien de garde qui passe son temps à mordre les mollets de tous ses interlocuteurs, comme vous l’avez fait… »
- Laurent Joffrin : « Effectivement vous n’aimez pas la contradiction. »
- Henri Maler : « C’est ce qu’il appelle la contradiction… »
- Laurent Joffrin : « Bah oui. » [Rires]
- Henri Maler : « C’est ce qu’il appelle la contradiction : interrompre, interrompre… »
- Laurent Joffrin : « Bah allez-y, exprimez-vous ! »
- Henri Maler : « … interrompre de façon systématique, alors qu’on a un droit de parole absolument illimité, un interlocuteur qui n’a que quelques minutes pour s’exprimer, c’est la conception que monsieur Joffrin se fait de la démocratie, première remarque. […] »


Où l’on constate :

Que Laurent Joffrin considère que pérorer à longueur d’antenne est « son métier » et que, pour avoir le droit de s’exprimer équitablement face à lui, il convient de « se porter candidat à l’élection pour être directeur [d’un média] » (nous y reviendrons).

Que lorsque l’on fait remarquer à Laurent Joffrin qu’il passe son temps à interrompre ses interlocuteurs, il se défend en… interrompant son interlocuteur.

Que Laurent Joffrin, qui se croit sans doute dans une cour de récréation, pense que couper la parole à quelqu’un pour lui dire que son argument est « nul », c’est le « contredire ».

Que Laurent Joffrin se comporte d’une manière tellement insupportable que même Guillaume Erner tente deux fois de le rappeler à l’ordre (ce qu’il fera de nouveau à plusieurs reprises au cours de l’émission).

Et encore ne s’agit-il ici que d’une première « vague » d’interruptions joffrinesques : nous vous épargnons les autres [1].


 

Laurent Joffrin est arrogant

 

Les interruptions ponctuées de ricanements de Sa Suffisance Laurent Joffrin, visiblement fier de son entreprise de destruction de la discussion, sont un sommet d’arrogance. Mais le directeur de Libération ne s’est pas contenté de tenter d’empêcher Henri Maler de s’exprimer. Cette arrogance a en effet été redoublée par une succession de propos méprisants à l’égard d’Acrimed, accusée, d’une part, de ne rien connaître à la vie des rédactions et aux conditions de travail des journalistes et, d’autre part, de répéter toujours la même chose ou, dans les termes de Laurent Joffrin, d’ « écrire toujours le même article ».

Ainsi :

- « Vous écrivez le même article depuis vingt ans sur les journaux que j’ai eu l’honneur de diriger ou d’animer pour nous expliquer qu’on n’est pas indépendants. »

- « La critique ça ne consiste pas toujours à miner les choses à la base, en disant "voilà, ils sont sous influence, sous la coupe de…". C’est toujours le même article qui revient quoi, c’est toujours la même chose… »

- « J’en ai lu beaucoup, mais j’ai arrêté, c’est toujours la même chose, donc évidemment au bout d’un moment je m’arrête. »

Toujours la même chose ? C’est manifestement faux, comme n’importe quel lecteur moins occasionnel que Laurent Joffrin peut s’en convaincre. Et comme il serait excessif d’affirmer que Laurent Joffrin, cet éternel modernisateur de la gauche, écrit le même éditorial depuis 35 ans. Notons au passage que la richesse de la pseudo-argumentation de notre éditocrate est telle qu’il a répété trois fois le même propos en quelques minutes – ce qui ne manque de piquant lorsque l’on sait que « l’argument » consistait à accuser Acrimed d’écrire toujours la même chose.

« Argument » ressassé une quatrième fois, avec une dose d’arrogance supplémentaire :

- « Ce qui me frappe, bon je ne les lis pas beaucoup hein, mais j’ai regardé, puisque j’étais invité, c’est… il n’y a jamais rien de bien. Quand vous lisez ce truc-là, il n’y a jamais rien de bien. Tout est euh… critiquable. Enfin, tout est critiquable, par définition, mais la conclusion c’est toujours : c’est pas bien. »

Acrimed est donc en réalité, selon l’immense Laurent Joffrin, un « truc ». Les adhérents et les contributeurs de notre association apprécieront, de même que les dizaines de milliers de personnes qui fréquentent régulièrement notre site. On en vient même à se demander pourquoi Laurent Machin a accepté de descendre de son piédestal pour s’asseoir dans le même studio de radio que l’un d’entre nous.…

Autre ressassement accusateur, asséné avec tout autant d’arrogance : Acrimed ne connait rien à la vie des rédactions et des journalistes :

- « Je voulais vous faire une invitation, puisque si vous considérez que notre journal est mal géré, vous devriez y venir, vous voyez. Vous devriez venir, moi je vous invite. vous venez, ce matin par exemple, ou demain, quand vous voulez, au comité de rédaction, et puis vous verrez comment on travaille, ce serait intéressant pour vous de faire une enquête de terrain, pour une fois, hein ? »

- « Vous savez il y a un proverbe en journalisme, qui est un peu sarcastique, qui dit "l’enquête est l’ennemi de l’angle". Ça veut dire que si vous avez un préjugé sur quelque chose, si vous faites une enquête, c’est embêtant parce que vous êtes obligés de changer d’idée. C’est juste un conseil que je leur donne : vous devriez faire ça, dans les journaux, aller voir, vraiment, comment ça se passe ».

- Henri Maler : « […] Dialoguer avec une rédaction cela ne pose absolument aucune question… »
- Laurent Joffrin : « C’est une idée qui ne vous était pas venue à l’esprit jusqu’à présent, manifestement. »

Simples d’esprit que nous sommes ! Voilà vingt ans qu’Acrimed observe les médias, informe sur l’information, et formule des propositions de transformations des médias. Mais nous n’avions jamais pensé, avant que son altesse Laurent Joffrin ne nous éclaire gracieusement de ses lumières, à nous intéresser aux conditions concrètes d’exercice de la profession, et à « enquêter » à ce propos… De toute évidence, le directeur de Libération, qui expliquait quelques minutes plus tôt que son « métier » consistait à pérorer à longueur de temps dans les studios de radio et sur les plateaux de télévision, ferait bien, plutôt que de nous donner des leçons, d’ « enquêter » un peu plus. Cela lui éviterait de se ridiculiser en racontant n’importe quoi.


 

Laurent Joffrin raconte n’importe quoi

 

Car Laurent Joffrin a en réalité démontré qu’il possédait, entre autres qualités, une capacité à aligner les contre-vérités sur un ton empreint de l’assurance de celui qui croit – ou veut faire croire ? – qu’il sait absolument tout. Menteur ou bonimenteur ? Les deux sans doute.

Ainsi, lorsque Laurent Joffrin recommande à Acrimed de s’intéresser à la vie des rédactions et aux conditions de travail des journalistes, on se demande s’il se rend compte de l’énormité de son propos. « J’ai regardé [le site d’Acrimed] puisque j’étais invité », prétend-il. Mais si Laurent Joffrin avait effectivement regardé le site d’Acrimed, il n’aurait pas dû manquer de remarquer, par exemple, que le jeudi 16 février au soir, c’est-à-dire le même jour que l’émission de France Culture, Acrimed organisait un débat, en présence de trois journalistes (dont Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, anciens de… Libération), consacré aux conséquences de la prise de contrôle par des oligarques d’un nombre toujours plus important de médias. Une soirée au cours de laquelle a notamment été évoquée la longue grève d’i-Télé contre l’actionnaire Bolloré.

Une initiative qui est loin d’être isolée : depuis plus de quinze ans, Acrimed organise régulièrement des réunions publiques de ce genre [2], au cours desquelles nous convions régulièrement des journalistes de tout type de médias qui viennent échanger avec nous (et le public) à propos de leur travail, qu’il s’agisse de leurs enquêtes, de leurs publications ou des conditions d’exercice de la profession. Ces derniers mois, nous avons même organisé un cycle de projections-débats intitulé « À l’intérieur des rédactions », avec quatre documentaires consacrés précisément au thème que Laurent Joffrin nous accuse de ne pas traiter : le travail quotidien des rédactions. Des journalistes sont membres d’Acrimed, et notre association est en lien avec bien d’autres professionnels des médias, y compris des journalistes de « grandes » rédactions, ainsi qu’avec les principaux syndicats de journalistes. Bref : nous n’avons pas attendu monsieur Laurent Joffrin pour nous intéresser de près à la vie des rédactions et aux transformations de la profession.

Le directeur de Libération ferait d’ailleurs bien, plutôt que de nous administrer ses conseils, de s’intéresser à sa propre rédaction. Il apprendrait peut-être, par exemple, que pas plus tard qu’il y a un an, Acrimed a invité Johanna Luyssen, cheffe de service web à… Libération, pour discuter des transformations du métier de journaliste à l’heure d’internet [3]. Selon nos dernières informations, Libération ferait même partie de ces « grands médias » qui comptent au sein de leur rédaction des membres d’Acrimed. En d’autres termes : nul besoin de nous inviter dans ces rédactions, puisque nous y sommes déjà quotidiennement !

Les « enquêtes » de l’inspecteur Joffrin laissent visiblement à désirer. On comprend mieux, s’il a été aussi persévérant dans la lecture de nos articles que dans ses investigations concernant notre intérêt pour les conditions d’exercice de la profession de journaliste, pourquoi il prétend que nous écrivons « toujours le même article ». Il n’a probablement, du haut de sa superbe, pris le temps d’en lire qu’un seul, ayant mieux à faire que de se documenter davantage sur notre « truc », ce qui expliquerait pourquoi il a été incapable de citer un seul exemple à l’appui de ses élucubrations.


 

***

 


Fermement décidé, comme cela fut rappelé à l’antenne, à « prendre ses interlocuteurs pour des imbéciles » et à confirmer le rôle de « psychiatre » qu’il s’est attribué en rédigeant, sans le moindre fait à l’appui, Média-paranoïa, un impérissable ouvrage de vanité appliquée [4], Laurent Joffrin était venu sur le plateau de la « matinale » de France Culture, non pour débattre de la question posée – « La défiance à l’égard des médias est-elle justifiée ? » – mais pour régler ses comptes avec Acrimed [5]. Plus exactement : fâché parce que nous ne l’avons jamais appelé au téléphone (comme il l’a répété à plusieurs reprises), ses propres comptes personnels. Mal lui en a pris : en offrant aux auditeurs, comme nous l’avons souligné lors de l’émission, un « concentré du pire de l’éditocratie », il a involontairement justifié, et probablement renforcé, la défiance à l’égard des médias, du moins la critique de certaines de leurs sommités.


Julien Salingue

 

SOURCE / REZOCITOYEN.ORG

Tag(s) : #actualités
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