ZAD NDDL : Naturalistes en lutte et plan biodiversité de Nicolas Hulot
La ZAD sauvée par le plan biodiversité de Nicolas Hulot
Les naturalistes en lutte ont pu consulter en primeur le « plan biodiversité » de Nicolas Hulot. Surprise! La ZAD de Notre-Dame-des-Landes devient un territoire pilote de protection de la nature. Enfin presque.
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Madame la Préfète, Monsieur le Ministre,

Le 20 mars 2018, deux laboratoires scientifiques de l’État (le Muséum National d’Histoire Naturelle et le CNRS) alertaient l’opinion publique sur la disparition vertigineuse des oiseaux des campagnes françaises, concomitante de l’intensification des pratiques agricoles de ces 25 dernières années. Dès le lendemain, 21 mars 2018, Monsieur le ministre, vous avez demandé un « sursaut d’indignation » à l’Assemblée nationale face à la disparition de la biodiversité et vous avez annoncé que vous présenteriez un « plan biodiversité » dans quelques semaines.

Notre collectif, les Naturalistes en Lutte, composé de naturalistes bénévoles et salarié.e.s de diverses associations de protection de la nature, de scientifiques et d’experts dans des domaines écologiques variés, a œuvré pour remettre la biodiversité au cœur du débat sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il a apporté une expertise naturaliste indépendante1, en complément des études exigées et notifiée aux bureaux d'études spécialisées.

Nous avons pu consulter en primeur votre « plan biodiversité » (notamment son volet agricole) annoncé en mars 2018.

Évacuation de la ZAD

Avant de souligner en quoi ce plan permettra de protéger la biodiversité, nous souhaitons revenir sur un fait marquant et courageux : nous vous remercions d’avoir empêché l’évacuation de la ZAD par les gendarmes au début du mois d'avril 2018, quelques jours après votre discours à l’Assemblée nationale. Cela aurait pu avoir comme conséquence de détruire des projets agricoles visant la préservation et la restauration de la biodiversité. Vous avez aussi compris que les opérations militaires annoncées auraient pu entraîner la destruction d’espèces protégées, l’altération profonde d’habitats naturels fragiles par des engins de chantier ou encore la pollution des terres et des milieux aquatiques, par les gaz lacrymogènes notamment.

Plan biodiversité

Monsieur le ministre, nous saluons votre « plan biodiversité » et Madame la préfète, nous saluons votre initiative de proposer en site expérimental le site de Notre-Dame-des-Landes, dédié initialement au néfaste et passéiste projet d’aéroport.

Depuis plus de cinquante ans, en France, des réglementations et des lois visent la préservation de la biodiversité. Pourtant celle-ci est toujours en déclin, montrant ainsi leur inefficacité. Une majeure partie du territoire national étant agricole, la biodiversité ne peut être préservée qu’à condition que les pratiques agricoles en soient respectueuses. C’est pourquoi vous avez décidé que le premier volet du « plan biodiversité » serait agricole.

Monsieur le ministre, vous l’avez doté d’objectifs ambitieux en intégrant notamment le système « agriculture » et « biodiversité » au cœur de notre modèle économique. En soutenant et encourageant - nous vous citons, « tous les modèles agricoles basés sur le respect de la nature (absence d’intrants chimiques, limitation des produits vétérinaires au strict minimum, respect de l’intégrité des écosystèmes et des espèces qui y vivent, etc ) » et sur « le respect des êtres humains (produits sains, circuits courts, solidarité, répartition des ressources pour permettre au plus grand nombre d’accéder aux métiers agricoles et para-agricoles, etc.) » -, votre plan permettra sans aucun doute de résoudre de nombreux problèmes environnementaux et sociétaux.

Notre-Dame-des-Landes en site pilote

Madame la préfète, sachant toutes les espèces protégées (et leurs habitats) présentes sur place et l’impact que pourrait avoir une agriculture intensive sur la biodiversité, et en tant que garante du respect des lois (notamment les articles L411-12 et suivants du code de l’environnement), vous avez proposé que le site de la ZAD devienne un site pilote sur l’ensemble de l’emprise de l’ancien projet aéroportuaire ainsi que sur les surfaces de compensation prévues. En effet, vous avez considéré, et à juste titre, que l’agrandissement des structures agricoles voisines et la mise en œuvre du modèle agricole intensif, pratiqué dans l’Ouest de la France, entraîneraient une érosion de la biodiversité sur cette zone.

Vous avez noté la chance que constituait une telle zone, sauvegardée au milieu d’un des secteurs de production laitière les plus intensifs en France, remarquable aussi bien en matière de diversité biologique qu’en termes de faible fragmentation des milieux préservés, ce qui en fait un site unique.

Vous avez ainsi reconnu le travail des Naturalistes en lutte qui a permis de montrer, depuis 2013, que le territoire de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est un espace de nature exceptionnel : zone humide reliant deux bassins versants3 – la Loire et la Vilaine – avec des eaux de surface en bon état de conservation, elle présente une mosaïque de milieux, une densité exceptionnelle de haies, de mares et de prairies naturelles. Il en résulte une diversité d’espèces4 de faune et de flore et une densité des populations uniques dans l’Ouest de la France. C’est particulièrement le cas pour certains batraciens (Grenouille agile, Triton marbré), lézards (Lézard vivipare) et des oiseaux ici encore communs, contrairement à d’autres espèces du département. Ce territoire est aussi un réservoir d’espèces de faune et de flore protégées5.

Vous avez résisté à l'influence de la chambre d’agriculture et de son syndicat majoritaire, la FNSEA, qui promeuvent un modèle d’agriculture intensive et dont la violence des déclarations contre les initiatives favorables à l’environnement va grandissante. Comme cela ne peut vous avoir échappé, ce modèle est en effet en bout de course, responsable d’impacts très importants pour la société (impact sanitaire, érosion de la biodiversité, impact social, etc). Vous saviez qu’ils voulaient obtenir l’imposition de leur modèle passéiste et destructeur sur ce site extraordinaire et vous n’avez pas succombé a leurs pressions.

Le bénéfice écologique

Monsieur le ministre vous avez inscrit une notion juridique positive très importante dans le « plan biodiversité », celui de « bénéfice écologique », faisant ainsi écho à la notion trop négative de « préjudice écologique » du code civil. Nous avons souri au pied-de-nez que vous avez fait à l’ancien président de région, M. Retailleau, fervent défenseur de l’aéroport, qui avait contribué à faire rentrer le préjudice écologique dans le code civil mais jugeait aussi l’écologie trop souvent comme punitive.

Madame la préfète, vous avez su reconnaître que la ferveur des militant.e.s qui a empêché le projet d’aéroport avait permis par la même à l’État de préserver la biodiversité qui y est fortement documentée. Vous avez en ce sens demandé à ce que la ZAD soit déclaré « site pilote » pour accompagner ces militant.e.s dans leur expérimentation et ainsi les remercier pour leur action passée, à ce point méritante et salutaire que force est de reconnaître qu'elle entre dans le champ d'application du « bénéfice écologique ». Nous saluons cette initiative. D’aucuns pensent que vous avez pris cette initiative pour ne pas être tenue responsable de « préjudice écologique » par rapport aux articles 12466 et suivants du code civil. Nous tenons à vous dire que nous ne sommes pas de ceux-là.

Nous tenions donc à saluer vos initiatives qui visent à encourager et faciliter des modèles agricoles respectueux et créateurs de biodiversité développés par les militant.e.s ZADistes.

Gains de biodiversité

Hélas, au-delà de la politique fiction et d’une lettre de louanges que nous aurions aimé vous adresser réellement, c’est malheureusement avec écœurement que nous constatons que la seule réponse de l’État face au projet collectif, riche de nombreux acteurs (occupants, agriculteurs, naturalistes, artisans, architectes, etc.), se proposant de sauvegarder cette zone fragile, est la répression aveugle et disproportionnée.

Monsieur le ministre, vous avez dit avoir honte de la situation déplorable de la biodiversité de nos campagnes du fait des pratiques agro-industrielles, mais vous semblez bien la conforter au vu des dégâts commis depuis quelques semaines par les forces de l’ordre sur la ZAD : destruction de haies, de cultures, de prairies, arrachage d'arbres dans de très nombreux boisements, sans compter la pollution des sols et des ruisseaux par l'armement chimique, et cela pour une durée indéterminée.

Votre discours portant sur cette zone se limite à incriminer un mouvement très divers que vous résumez injurieusement « à une bande d’anarchistes ». A ce sujet, si Anarchie il y a, c’est plutôt à celle d’Elisée Reclus et de sa vision de la relation entre l’Homme et la nature que, pour notre part, nous nous référons.

Nous, Naturalistes en Lutte, considérons la sauvegarde de la biodiversité et des pratiques agro-environnementales comme un bien commun de l’humanité, qui de surcroît, ne peut se gérer de façon cohérente selon nous, que dans son ensemble et collectivement par les habitant.e.s de la zone.

Nous prenons acte alors de votre adoption d’une posture de dédain envers ceux qui vous mettent face à vos responsabilités. Mépriser et détruire par l’usage de la force étatique montre la limite de la démocratie que vous incarnez alors que des négociations responsables et apaisées pourraient amener à la réalisation d’un modèle agro-environnemental nouveau et prometteur, que vous espérez d’un côté et détruisez par l’autre.

Ce mouvement est bien conscient de la sixième extinction des espèces et fait partie de ceux qui ne « s’en fichent pas », soyez-en conscient ! Nous pouvons vous délivrer de la honte qui semble vous accabler1, car nous revendiquons réellement la nécessité de faire communauté avec le vivant qui nous entoure.

C'est la raison de notre accompagnement et investissement aux projets agricoles des « ZADistes », des agriculteurs et agricultrices historiques afin qu’ils puissent générer un réel gain de biodiversité sur le site de Notre-Dame-des-Landes (conseils, plans de gestion, etc.). Nous accompagnons aussi des projets qui n’ont pas de vocation agricole mais qui sont indispensables au bon fonctionnement écologique de la zone de part leurs services écosystémiques rendus. Les mesures de gestion proposées sont déjà en œuvre pour certaines, d’autres sont et seront programmées. Des gains de biodiversité sont déjà constatés localement et cette dynamique positive va se poursuivre.

Vous pouvez compter sur nous pour supplanter les futures candidats aux soi-disant projets de biodiversité qui ne manquerons pas de se manifester, ce qui permettra ainsi une économie substantielle à l'État. Sachez aussi que nous le faisons et ferons en toute indépendance financière, sans lien quelconque avec le secteur marchand. C'est ainsi qu'en aucun cas, les entreprises ne pourront utiliser le site de Notre-Dame-des-Landes pour justifier, par un marché et ses dérives mercantiles corollaires, des mesures compensatoires dont nous récusons fondamentalement le principe, le droit à bétonner sur d'autres secteurs, et ainsi s'acheter facilement une conscience écologique à faible coût.

Veuillez, Madame la préfète, Monsieur le ministre, recevoir tous nos encouragements pour la reconquête réelle de la biodiversité en France et plus particulièrement à Notre-Dame-des-Landes,

Le collectif des Naturalistes en Lutte,

1Penn Ar Bed n°223/224 Spécial Notre-Dame-des-Landes : Inventaires naturalistes

2« conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales ou végétales et de leurs habitats ». À ce jour, 11 habitats d'intérêts communautaires, avec une grande diversité d'herbiers aquatiques, des prairies oligotrophes (37 ha), des landes humides, un réseau de plus de 200 mares, un maillage de haies le plus dense des Pays de la Loire (120 ml/ha)

3Zone donnant naissance à 9 cours d'eau, dont 7 sur le bassin versant de la Vilaine et 2 sur le bassin versant de la Loire

4À ce jour, plus de 2000 espèces inventoriées

5À ce jour, 146 espèces protégées détectées, dont 10 espèces inscrites à l'annexe II de la Directive habitats nécessitant la désignation de Zone Spéciale de Conservation

6« Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer. »

1cf. discours à l’Assemblé National du 21 mars 2018.

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SOURCE/ MEDIAPART.FR

Tag(s) : #environnement, #alternatives
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