La Cimade s’inquiète du projet de révision à venir de la directive européenne « Retour », qui constituerait un recul sans précédent du cadre de protection des droits fondamentaux des personnes migrantes. Un mois à peine après un renforcement de l’agence Frontex, ce projet témoigne bien de l’impasse dans laquelle se trouve l’UE pour imaginer des politiques migratoires respectueuses des droits humains.
Le dimanche 26 mai 2019, les électeurs et électrices sont appelé·e·s à désigner leurs représentant·e ·s au Parlement européen, seule institution de l’Union européenne (UE) élue au suffrage universel direct. Cette nouvelle Assemblée aura à jouer, pour les 5 ans à venir, un rôle essentiel pour que soient garantis (ou non) les droits fondamentaux des personnes migrantes en France et en Europe, notamment dans les débats sur la Directive européenne « Retour ».
En effet, outre une réforme du régime d’asile européen commun (avortée faute de consensus entre les Etats), dont le règlement Dublin – machine infernale de l’asile en Europe –, la Commission européenne dont le mandat se termine cette semaine, avait pour objectif d’obtenir la révision de la Directive dite « Retour » de 2008, sensée harmoniser les règles nationales des Etats-membres en matière d’enfermement et d’expulsion. Obsédée par « l’amélioration du taux d’expulsion », la Commission soutenue par plusieurs Etats-membres souhaitait ainsi durcir encore plus ce texte qualifié de « directive de la honte » par la société civile. Aucune analyse d’impact n’avait pourtant été menée pour étudier de manière sérieuse les conséquences de l’application de cette directive dans les pays européens et les potentielles atteintes aux droits fondamentaux.
L’actuelle Commission européenne n’aura donc pas réussi à faire aboutir la refonte de la directive Retour durant son mandat. Cependant, il y a fort à parier que la prochaine Commission souhaite en priorité rouvrir ce dossier dès sa prise de fonction, à l’automne prochain. En attendant, l’agence européenne Frontex, chargée de la surveillance des frontières extérieures, a vu ses moyens décuplés ces dernières années, notamment en vue d’expulser plus de personnes migrantes.
Une refonte de la directive Retour visant à réduire les droits des personnes étrangères
Le 12 septembre 2018, la Commission a présenté au Conseil européen réuni à Salzbourg une proposition de refonte de la directive Retour, aux conséquences considérables sur les droits des personnes migrantes, celle-ci prévoyant entre autres :
- L’obligation explicite, pour la personne, de coopérer avec les autorités à tous les stades de la procédure d’expulsion, en particulier pour établir son identité ou obtenir un document de voyage auprès du consulat. Une telle obligation est susceptible d’exposer les personnes à des risques, notamment les personnes déboutées de l’asile et qui ne peuvent donc pas entrer en contact sans crainte avec les autorités de leur pays ;
- La suppression du délai de départ volontaire minimal de 7 jours : la logique consistant à d’abord proposer un délai de départ volontaire serait donc inversée, venant ainsi légitimer de fait la surveillance et l’enfermement dès la mesure d’expulsion prononcée (assignation à résidence ou rétention);
- Un délai de recours maximal de 5 jours pour toute décision d’expulsion prise après le rejet d’une demande d’asile. Les délais de recours actuels permettent déjà difficilement d’exercer correctement ses droits. Cette mesure réduirait à peau de chagrin le droit à un recours effectif, principe pourtant fondateur de la Convention européennes des Droits de l’Homme ;
- Un recours contre l’expulsion dépourvu d’effet suspensif de plein droit pour les personnes déboutées de l’asile, au motif que les garanties qui s’attachent au principe de non-refoulement auraient déjà été examinées (et écartées) dans le cadre de la demande d’asile. Si elle venait à être adoptée telle quelle, cette disposition s’avèrerait particulièrement préjudiciable pour les personnes en France – mais également ailleurs en Europe – puisque ni l’OFPRA ni la CNDA ne se prononceraient sur des motifs tels que le droit à la vie privée et familiale, l’intérêt supérieur de l’enfant ou les risques liés à l’état de santé, qui peuvent pourtant faire utilement obstacle à l’expulsion d’une personne ;
- Un bannissement systématique : Une interdiction de retour serait prononcée, lors du contrôle aux frontières à la sortie, contre toute personne qui quitte l’UE de sa propre initiative (sans faire l’objet d’une mesure d’éloignement) mais qui est identifiée pour la première fois comme étant en situation irrégulière ;
- L’exigence de prévoir une durée minimale de rétention initiale de 3 mois pour tous les Etats membres (exigence que la France a déjà mise en œuvre depuis le 1 avril 2019 et qui produit des effets délétères sur les personnes enfermées, sans pour autant que le taux d’expulsion n’augmente).
Le Parlement européen, saisi par la Commission en septembre 2018, a commencé à travailler sur cette proposition. Si les délais impartis n’ont pas permis à la rapporteure, Judith Sargentini, eurodéputée du groupe des Verts, de faire adopter un rapport final par l’hémicycle ; il semble que plusieurs groupes politiques aient tenté de nuancer les propositions répressives de la Commission : en axant le texte sur le retour volontaire, sur le développement d’autres moyens de régularisation des personnes (pour des raisons familiales, professionnelles, d’étude ou de santé, etc.), ou sur la remise en cause des interdictions de retour.
Frontex, une agence européenne d’expulsion ?
Cette révision de la directive Retour s’inscrit en outre dans le contexte d’un renforcement sans précédent de Frontex – agence de l’UE chargée du contrôle des frontières extérieures. Déjà réformée en 2016 en un temps record pour obtenir l’extension urgente de ses moyens opérationnels et financiers, Frontex avait déjà pris un poids très important dans l’organisation des expulsions en Europe, pouvant organiser des vols charters à destination de pays tiers. Estimant que cela ne suffisait pas, la Commission a proposé une nouvelle réforme de l’agence en septembre 2018, celle-ci ayant été adoptée à nouveau en express, le 17 avril 2019.
Le nouveau règlement Frontex continue de renforcer les pouvoirs humains, matériels, financiers et opérationnels de l’agence, notamment afin de faciliter les expulsions :
- L’agence sera dotée d’un corps permanent de 10 000 agent·e·s d’ici 2027 (actuellement, l’effectif de garde-frontières est d’un peu plus de 1 500)
- Elle peut désormais acquérir son propre matériel (navires, hélicoptères, avions, véhicules) ; la Commission estime que le coût des politiques migratoires sera de 11,3 milliards d’euros sur la période 2021-2027.
- Elle bénéficie surtout de pouvoirs d’exécution étendus, « sous l’autorité et le contrôle de l’État membre d’accueil » : aux frontières extérieures, les agent·e·s peuvent effectuer des contrôles d’identité, autoriser ou refuser l’entrée aux points de passage frontaliers et préparer les décisions de retour.
Dans un tel contexte et en fonction des résultats du scrutin du 26 mai, La Cimade demeurera vigilante et continuera de militer, en tout état de cause, pour l’adoption de normes européennes respectueuses des droits fondamentaux des personnes étrangères.
Auteur: Responsable national Expulsion
SOURCE/ LACIMADE.ORG