Repenser une critique radicale de l’école capitaliste

Repenser une critique radicale de l’école capitaliste

 

Allons-nous abandonner la critique de l’école aux seuls courants réactionnaires ? Qui aujourd’hui porte encore une charge radicale contre l’école, contre l’école capitaliste ? Bien peu monde en réalité puisque l’essentiel de l’effort fourni, tant dans les milieux enseignants que militants, porte dorénavant sur la défense a-critique des « services publics », doublée la plupart du temps d’un corporatisme rance. Le recul se mesure par ailleurs à l’engouement renouvelé de ces mêmes milieux pour la « recherche pédagogique ». Vieille limite technicienne vidée de tout contenu politique et aujourd’hui aveu de repli afin de mieux endurer l’insupportable au quotidien ; à fortiori dans une époque où l’absence d’un projet collectif capable de renverser l’ordre social sur lequel repose cette institution fait cruellement défaut.

Le plus souvent, l’école est naturalisée, acceptée comme le lieu privilégié de la transmission des connaissances et plus rarement comprise comme une production sociale historique. Raison pour laquelle on parle toujours de « l’école », comme si cela allait de soi. Pourtant, aucun système politique quelqu’il soit n’a jamais généré de système scolaire qui aille à l’encontre de ses intérêts propres. L’école qui léviterait, comme détachée des intérêts particuliers, cette école n’existe nulle part et n’a jamais existé. Même en se convaincant comme le font certains qu’elle ne serait pas une entreprise, ce qui est vrai, ou que l’éducation ne serait pas une marchandise, la réalité est toute différente.

La fonction de l’école

Ce sont les rapports de production qui déterminent le rôle et le fonctionnement de l’école. L’école assume la fonction de reproduire le rapport entre les classes sociales et de transmettre l’idéologie de la classe dominante. Tout le discours sur les inégalités scolaires ne vise qu’à masquer cette fonction de reproduction du rapport de classe. La polarisation entre les filières d’excellence d’un côté et de l’autre les branches d’exécution n’est au final que la traduction de la division en classes de la société. Le fait que le patronat laisse en grande partie financer les coûts de la formation par les contributions générales entretient l’illusion d’une école au service de tous dans laquelle les savoirs et la culture seraient recherchés pour eux mêmes. Ce serait oublier bien vite que c’est par l’intermédiaire d’organismes nationaux et de plus en plus transnationaux que le capital marque aujourd’hui de son sceau le système scolaire. Il n’est qu’a s’instruire des listes de recommandations de l’OCDE, des enquêtes internationales à la PISA et autres outils de management plus ou moins à distance.

 

L ’école à l’heure du capitalisme néolibéral

D’une réforme à l’autre, l’organigramme se redéploie mais la permanence de la fonction subsiste ; elle se voit remodelée par la nouvelle rationalité capitaliste. L’école adopte dorénavant les formes d’organisation de la période néolibérale : culture du résultat, programmes soumis à la logique des compétences, nouveau management des services public, etc… Bref, comme on le déplore souvent dans la gauche syndicale : « On aligne l’école sur le monde de l’entreprise ! », comme si cela semblait être une nouveauté, comme si l’école n’avait jamais travaillé à autre chose qu’à cela …

Bien sûr, personne ne niera l’allongement de la durée de la scolarité même pour la catégorie ouvrière. Comme « le niveau » qui, dit-on, s’élèverait ou s’effondrerait selon les commentateurs, la massification ne peut s’entendre qu’en rapport avec l’exigence de mettre en adéquation la formation des différents secteurs de la main d’oeuvre avec l’appareil de production. Dans une période où la limite entre chômage et travail tend à devenir de plus en plus incertaine, cet allongement de la scolarité permet aussi de retarder l’entrée sur un marché du travail aléatoire et d’en masquer la réalité.

Les enseignants et le service public

La défense du service public représente désormais l’alpha et l’omega de la mobilisation enseignante. De par son antériorité, l’école publique occupe une place particulière au sein de cet ensemble bien qu’elle s’inscrive dans un compromis identique à celui que nous décrirons plus loin. Penchons-nous un instant sur ce que sont les services publics. Ensemble, ils constituent les différentes pièces de l’appareil d’Etat et furent dès 1945 les piliers de la réorganisation de la production capitaliste en France. Résultats d’un compromis passé entre les organisations ouvrières et la bourgeoisie sous la pression politique et les luttes sociales, il faut tout de même reconnaître que les travailleurs n’ont jamais eu aucun pouvoir, ni de contrôle sur l’organisation, le fonctionnement et la finalité de ces fameux services publics. Lorsque le secteur de l’énergie était encore sous le contrôle entier de l’Etat, qui eut un jour son mot à dire sur le choix fait du nucléaire, par exemple ? L’Education Nationale n’a toujours été qu’une chaîne de commandement verticale, strictement hiérarchisée et jamais ouvertement remise en question par ses fonctionnaires. Là comme ailleurs, ce fut le prix à payer en contre partie d’un peu de sécurité …

Mais désormais en position de force, la bourgeoisie entend reprendre la main sur des secteurs qu’elle estime lui être bien trop couteux pour un rendement et une efficacité quelle juge insuffisants. La classe ouvrière déchue voit désormais les services de l’Etat se retourner contre elle, et les cadres de la fonction publique, isolés, sans alliance potentielle s’accrochent à des prérogatives dont ils sont bien seuls à se convaincre qu’ils seraient un bien commun. La dernière grande grève des cheminots, restée largement isolée, fut éloquente à cet égard.

Cette défense totalement a-critique des service publics s’apparente aujourd’hui à un combat d’arrière garde. En interne, le peu d’intérêt que suscitent auprès des titulaires le sort réservé aux précaires, l’absence de solidarité active lorsque ceux-ci parviennent parfois à entrer en lutte, tout cela montre l’incapacité des fonctionnaires à faire un pas de côté. Cela signe leur impuissance à dépasser les fables que se raconte l’école sur elle-même, l’incapacité à admettre le secteur de l’enseignement comme compris dans une totalité, la totalité capitaliste.

Evolution du recrutement et raidissement idéologique

Dans leur grande majorité, les enseignants appartiennent à la petite bourgeoisie fonctionnarisée. Pour combien de temps encore, là est une autre question qui en appellera d’autres.

Les instituteurs et les institutrices recrutés à la fin des années 60 provenaient pour près de 45 % d’entre eux du milieu ouvrier-employé et de la paysannerie. Ceux issus des familles de cadres supérieurs et moyens comptaient pour un peu moins de 25 %. En 2019, le phénomène s’est inversé sous la pression de la crise et afin de parer au déclassement. Si l’idéologie que véhiculent les enseignants a toujours été pétrie de méritocratie -les enseignants sont en règle général d’anciens « bons élèves » qui « aiment l’école » et se sentent redevables-, elle se double aujourd’hui d’un raidissement idéologique.

A l’heure de la massification achevée et tandis que les contradictions s’aiguisent on évoque souvent, sans la préciser, la « crise de l’école ». On observe que la distance, parfois la rupture, qui sépare le monde enseignant des familles prolétaires, celles du moins qui n’ont tiré aucun bénéfice de l’école, confinent à la haine de classe, inconsciente ou ostensiblement affichée. Le « métier impossible » compte toujours en son sein nombre d’exécutants dévoués et investis sur qui l’institution peut d’ailleurs s’appuyer afin que l’édifice ne s’ effondre pas totalement, mais le repli est incontestable.

Il se traduit entre autre par la fonte du nombre des syndiqués et par le succès relatif des listes droitières et corporatistes aux dernières élections professionnelles. Ce sont ces mêmes listes qui, par exemple, réclament avec le ministère un statut spécifique et encadré pour les directeurs d’école. La mesure ne semble même plus rencontrer d’opposition au sein des équipes enseignantes alors qu’elle avait soulevé un fort mouvement de contestation dans les années 80, porté par des coordinations de grévistes qui avaient bousculé les syndicats.

Les notions d’exploitation sont absentes de la réflexion des enseignants. N’ayant qu’un rapport abstrait et lointain au monde de la production, leur critique se fait toujours au travers des codes de la bourgeoisie et en référence au cadre scolaire. Les courants de la gauche syndicale s’en tiennent quant à eux à une terminologie vague qui réclame une « autre école » par « l’auto-gestion » et sa « démocratisation ».

L’absence de soutien massif des enseignants à l’égard des lycéens et étudiants en mouvement ces dernières années révèle qu’avec le recul de la contestation ouvrière, ce monde de l’entre-deux bascule tendanciellement du côté de la bourgeoisie. Son absence, voire son opposition au mouvement des Gilets Jaunes n’ a été qu’une illustration supplémentaire de ce phénomène. Un des animateurs de la revue Temps Critiques déclarait que le mouvement des Gilets Jaunes représente tout ce que détestent les enseignants : le désordre, le non-respect des règles, etc … Rien n’est plus vrai ! Les « Stylos-Rouges », cette tentative avortée aux exigences corporatistes a tâché de profiter de la dynamique du mouvement des Gilets Jaunes pour se faire entendre mais sans jamais s’y fondre. On ne mélange pas les torchons et les serviettes …

 

L’école contre le prolétariat

Après l’effondrement du bloc de l’Est et l’abandon des utopies collectives, l’école allait à son tour donner le coup de grâce à un monde ouvrier désorienté et en voie d’effacement. Dans les années 70 Baudelot et Establet affirment que l’inculcation de l’idéologie bourgeoise passe par le refoulement et l’interdiction faite au prolétariat de formuler l’idéologie dont elle a besoin(1). Dans les années 90, l’école passe à la vitesse supérieure en devenant l’un des lieux de diffusion de l’identité citoyenne en remplacement de celle de l’ouvrier et du prolétaire producteur. Dans leur enquête menée au sein de l’usine Peugeot de Sochaux, Beaud et Pialoux montrent comment les Lycées Technique travaillent à leur échelle à la désouvriérisation(2). En configurant les futurs « opérateurs » par le discours patronal et l’idéologie technicienne, ces établissements travaillent à déstabiliser idéologiquement les restes du vieux mouvement ouvrier organisé. Les fils apprendront à renier leurs pères, à les déchoir et les ringardiser ; eux et la culture qu’ils s’étaient construits. Et dans cette offensive, les enseignants ont choisi leur camp. Après avoir épousé le point de vue de la légitimité industrielle ils s’appliqueront à disqualifier auprès des élèves l’identité, la culture et surtout la résistance ouvrière. 

 

L’allongement de la scolarité a également approfondi la distance qui sépare culturellement les générations de prolétaires entre elles. Le chômage de masse fera le reste et la nouvelle génération contribuera à liquider la culture d’opposition au travail de la précédente. Comme le remarquent encore Beaud et Pialoux, c’est à la transmission d’un héritage que s’est attaquée l’école en accentuant et en accélérant la crise d’un modèle. Cette crise, on la mesure au sein des nouvelles générations au recul de la culture « anti-école », jusqu’alors largement répandue et partagée au sein du groupe. Comme l’explique Paul Willis dans une autre enquête menée en Angleterre auprès d’enfants d’ouvriers, cette culture refusait de prendre au sérieux un univers imaginaire, illusoire, infantilisant et qui surtout n’avait rien à lui apporter (3). Mais comme le conclut Willis, si cette culture constitua une réelle remise en cause idéologique, elle ne déboucha pas nécessairement sur une action collective. La culture anti-école propre aux jeunes ouvriers en devenir avait intégré une part d’individualisme induite par les séparations qui clivaient le groupe : séparations d’ordre sexuel et ethnique essentiellement.

Les contradictions de la pédagogie

 

 

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