Une biographie définitive du bluesman Robert Johnson
Robert Johnson, diable de bluesman
La biographie définitive du guitariste de blues Robert Johnson est enfin traduite. Elle est l'aboutissement du travail de cinquante années par les deux experts américains qui signent "Et le Diable a Surgi" (Édition du Castor Astral). Ceux-ci taillent en pièces les légendes qui entouraient la carrière fulgurante du Roi des bluesmen du delta du Mississippi dans les années trente.

 

 
 
 

L’œuvre du guitariste de blues Robert Johnson (photo, en 1935) attendait biographie de ce tonneau. Les deux spécialistes qui signent Et le Diable a Surgi (Éditions du Castor Astral) travaillent depuis cinquante ans sur la vie du natif de Hazlehurst (Mississippi), en 1911.

 

La somme de Bruce Conforth, professeur à l'Université du Michigan et Gayle Dean Wardlow, historien, se hisse au niveau des biographies de référence. A l'image du Hergé ou du Simenon, de Pierre Assouline. Ce dernier décortiquait les notes de restaurant d'Hergé. Conforth et Wardlow dénichent barèmes de rémunérations dans les champs de coton, actes de propriété, encarts de presse quotidienne, contrats de mariage, annuaires municipaux, registres de recensement. Rencontrent les derniers proches - et même les lointains (en commençant pas les plus âgés). Conforth met à contribution ses étudiants qui interviewent un défilé de témoins. Une entreprise titanesque. Tout cela pour raconter la figure légendaire du blues, qui sidéra les musiciens et les publics du delta du Mississippi. Au point d'être considéré comme le roi d'une musique qui bouleversa le monde. Qu'on en juge.

Eric Clapton, pour le moins calé sur le sujet, proclame, dans le livret de la réédition en CD des Complete Recordings en 1990 sur Columbia : " Pour moi, Robert Johnson est le plus important musicien de blues qui ait jamais vécu... Jusqu'à 25 ans, vous ne connaissiez pas Robert Johnson, je ne vous adressais même pas la parole". Barack Obama, accueillant la fine fleur du rock et du blues électrique à La Maison Blanche le 21 février 2012, entonnera (avec BB King, Buddy Guy, Mick Jagger, Derek Trucks et Jeff Beck), Sweet Home Chicago, la composition de Robert Johnson. On doit au baladin errant un répertoire somme toute maigrichon. 29 compositions. Lesquelles deviennent cependant le socle du blues rural et du blues moderne. Comment - de si peu - l'héritage prend-t-il forme, alors que Johnson meurt à 27 ans? Que d'autres, avant lui déjà, incarnaient le delta blues (Son House, par exemple)? Réponse criante : un jeu phénoménal! Robert Johnson chante, assure la rythmique, les arpèges (le fingerpicking), la slide (le bottleneck), tout cela simultanément. Il produit sur les guitaristes le même effet qu'Art Tatum sur les pianistes.On reste ahuri à l'écoute des deux seuls enregistrements existants : deux séances à Dallas et à San Antonio (Texas). Virtuoses. Rien à voir avec la légende d'un pacte avec le diable à la pleine lune, évoquée par le bluesman dans ses chansons (il aurait échangé son âme contre le jeu magique). L'une des anecdotes répétitives du blues, entretenue par des exégètes les plus sérieux de la musique (Alan Lomax). Johnson fréquenta l'école, à l'inverse de beaucoup de Noirs élevés au milieu des champs de coton. Il rencontre un mentor, Ike Zimmerman. Tous deux s'entraînent dans un cimetière. L'ouvrage, illustré d'une centaine de clichés, montre les tombes, indiquées par un témoin. Johnson développe le don. On en arrive (p. 142), autour de 1933, à cette scène qui se passe dans un bar (juke joint) de Robinsonville, l'un des centres du blues du nord du delta (et pour cause : capitale des bouilleurs de crus.). Le maître du blues, Son House, livre l'épisode à Bruce Conforth, l'un des auteurs du livre. Son House joue sur scène. Robert Johnson débarque. Il demande à Son House:

- "Laisse-moi ta place une minute

- D'accord, mais tu as intérêt à en profiter!"Son House fait un clin d’œil autour de lui

- Son House poursuit : "alors, il s'est assis et a finalement commencé. Et mec! Il était tellement bon! Quand il a fini, on était tous là, la bouche grande ouverte".

Un mari jaloux empoisonnera Robert Johnson - coureur notoire - à Greenwood, en 1938. Les stars du rock transformeront ses titres en tubes : les Rolling Stones (Love in Vain) - Eric Clapton (Crossroads) - Fleetwood Mac (Hellhounds on my Trail). De Bob Dylan, autre surdoué : "Robert était l'un des génies les plus inventifs de tous les temps".

Le périodique français de blues par excellence s'extasie. Soul Bag estime que la version originale américaine du livre (titre : Up Jumped The Devil), représente "la somme d'éléments la plus importante sur la vie de Robert Johnson... Laquelle escamote la légende entretenue par tant d'autres... Compte tenu du temps qui passe, difficile d'imaginer qu'il soit possible d'aller plus loin". Il fallait un traducteur ferré dans les musiques populaires (Bruno Blum) pour restituer la vie d'un tel artiste, et ressusciter le foisonnement du delta dans les années trente. Même s'il s'avère infranchissable d'ordonner avec harmonie pareille quantité de documents d'archive, de faits précis, de témoignages. C'est l'unique bémol (bien pardonnable) à la traduction de cette biographie. Au regard des qualités d'un travail appelé à décrocher de nombreux prix de littérature musicale cet hiver.

Bruno Pfeiffer

LIVRE

Et le Diable a Surgi (Éditions du Castor Astral, 350 pages, 24 euros, octobre 2020)

 

Le Club est l'espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n'engagent pas la rédaction.

 

SOURCE / MEDIAPART

Tag(s) : #lectures, #musiques
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :