Affaire Takieddine: les mensonges de l'Elysée

Au lendemain de la mise en cause par le juge Renaud Van Ruymbeke de deux intimes de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Takieddine/Karachi, l'Elysée a publié, ce jeudi, un communiqué (ici) pour tenter d'éloigner l'incendie judiciaire qui menace aujourd'hui la présidence de la République.

 


 

   
« S'agissant de l'affaire dite de “Karachi”, le nom du chef de l'Etat n'apparaît dans aucun des éléments du dossier. Il n'a été cité par aucun témoin ou acteur de ce dossier », affirment les services de la présidence.

Ces deux petites phrases posent un double problème.

Primo, dans une République où la Constitution garantit la séparation des pouvoirs — notamment politique et judiciaire —, comment l'Elysée peut, de manière aussi péremptoire, assurer que « le nom du chef de l'Etat n'apparaît dans aucun des éléments du dossier » ou qu' « il n'a été cité par aucun témoin ou acteur de ce dossier » ? Nicolas Sarkozy n'est ni mis en examen ni partie civile dans cette affaire ; en théorie, il n'a donc pas accès à la procédure. 

Secundo, ce que l'Elysée assure, de manière aussi péremptoire, est un mensonge. Oui, Nicolas Sarkozy est désigné par plusieurs témoins et plusieurs documents dans le dossier du juge Van Ruymbeke.

Comme nous l'avons rapporté avec mon confrère Karl Laske dans un article publié hier (il est à lire ici), un document, saisi par la police française en 2007 au siège de la Direction des constructions navales (DCN), puis par la police luxembourgeoise en 2009 au siège d'une fiduciaire, fait mention en toutes lettres de la participation fin 1994 de Nicolas Sarkozy dans la constitution, au Luxembourg, d'une société écran dela DCN, baptisée Heine, par laquelle ont transité les commissions occultes de l'une des ventes d'armes aujourd'hui dans le viseur des juges. Nicolas Sarkozy était alors le ministre du budget du gouvernement Balladur.

 

Dans un rapport de synthèse du 19 janvier 2010, la police luxembourgeoise écrira d'ailleurs : « Un document (...) fait état de l'historique et du fonctionnement des sociétés Heine et Eurolux (société jumelle de Heine, NDLR). Selon ce document, les accords sur la création des sociétés semblaient venir directement de M. le Premier ministre Balladur et de M. le ministre des Finances Nicolas Sarkozy.»

Un projet de lettre de François Léotard, alors ministre de la défense, dont Mediapart avait déjà fait état, laisse ensuite apparaître que Nicolas Sarkozy a bien été associé, toujours en tant que ministre du budget, aux arrières-plans financiers des marchés d'armement en cause. 

 

Plusieurs témoins, entendus ces derniers mois par la police ou par les juges, ont également évoqué le rôle crucial du ministre du budget dans la validation des plans de financement des marchés d'armement, lesquels comprennent les versements des commissions — fussent-elles occultes. 

Ancien directeur financier de la DCN-I, branche commerciale de la DCN, Gérard-Philippe Menayas a ainsi déclaré en novembre 2009 dans le cabinet du juge Trévidic (en charge du volet criminel de l'affaire Karachi) : « Je précise qu'un plan de financement d'un contrat comme le contrat Agosta comportait toutes les données, y compris les frais commerciaux (euphémisme qui désigne les commissions occultes, Ndlr). Or, ce plan de financement était soumis aux autorités de tutelle, c'est-à-dire au ministre de la défense lui-même, au ministre du budget et à la Coface qui garantissait. De ce fait, des exigences hors-normes (les commissions suspectes, Ndlr) avaient toutes les chances d'être refusées. Il y a eu quelques remarques dont je ne me souviens plus, mais c'est passé ».  

 

   
Un an plus tard, devant le juge Renaud Van Ruymbeke cette fois, le même témoin a assuré que « le volume total des commissions était validé, contrat par contrat, par les deux ministres du budget et de la défense ». Celui du budget s'appelait, entre 1993 et 1995, Nicolas Sarkozy. 

Entendu le 7 décembre 2010 par le magistrat, l'ancien patron de la Direction générale des services extérieurs (DGSE, les services secrets) entre 1993 et 2000, Jacque Dewatre, a affirmé sans détour : « L'agrément pour les commissions relève d'autres services qui dépendent du ministre de la défense et du ministre du budget ». 

Entendu pour sa part le 6 juillet dernier, l'ancien commissaire du gouvernement des sociétés d'exportation d'armement, Philippe Bros, a lui aussi pointé le rôle de Bercy dans sa déposition : « Pour ce type de contrat, le rôle du ministère des finances est important, notamment pour le bouclage des financements. Un bureau spécialisé donnait son feu vert pour le versement des commissions ». Et de quel ministre dépendait ce fameux bureau ? Celui du budget. Un certain Nicolas Sarkozy à l'époque des faits.  

Des liasses fiscales archivées à la direction générale des impôts, déjà publiées par Mediapart (voir ci-dessous), prouvent bien que le ministère du budget fut en première ligne dans le versement des commissions. 

 

Dans son communiqué de presse, l'Elysée tente par un habile élément de langage de tenir l'enquête des juges à bonne distance du président de la République en affirmant enfin que celui-ci y est « totalement étranger ». Pour preuve : « A l'époque où il était ministre du budget, (Nicolas Sarkozy) avait manifesté son hostilité à ce contrat (celui des sous-marins pakistanais, NDLR) ».

L'argument, grossier, avait déjà été développé par Le Figaro. L'Elysée aujourd'hui, comme Le Figaro hier, feignent de ne pas faire de différence entre les services d'un ministère, qui étaient en effet contre ce contrat catastrophique d'un point de vue industriel et financier — sous la gauche, les services de Bercy y étaient déjà opposés —, et le ministre lui-même, Nicolas Sarkozy, qui l'a validé.


Retrouvez en cliquant ici l'intégralité de nos enquêtes sur l'affaire Takieddine

 

 

Source / MEDIAPART

Tag(s) : #actualités
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